Marie-Antoinette, l’insoumise
Victime expiatoire d’une époque en pleine mutation ou tête trop légère ? Rarement reine de France aura connu tant de calomnies ni suscité autant de critiques. Et si sa vie entière n’était qu’un terrible malentendu ?
Tout semblait ressembler à un conte de Charles Perrault. À Vienne, une jolie princesse de 13 ans n’a pas dormi de la nuit. Celle que sa mère appelle Antoine a des projets pour elle. Et quels projets! Il a fallu que cette maman poule prononce un seul mot, France, pour que la jolie fille aux cheveux blond cendré soit au comble du bonheur. En Europe, la donne diplomatique a changé. Sous les bons auspices de la marquise de Pompadour et du ministre Choiseul, l’Autriche de l’impératrice Marie-Thérèse se rapproche de la France de Louis XV. Afin de mettre un terme à la guerre, le dauphin Louis-Auguste épousera la jeune
archiduchesse Marie-Antoinette de HabsbourgLorraine. Et la principale intéressée est aux anges. « Quoique Dieu m’a fait naître dans un rang que j’occupe aujourd’hui, écrit-elle à sa mère, je ne puis m’empêcher d’admirer l’arrangement de la Providence qui m’a choisie, moi, le dernier de vos enfants, pour le plus beau royaume de l’Europe. » Celle qui est née le 2 novembre 1755, quinzième enfant du couple impérial, se forge vite une réputation de sang d’aquarelle : facétieuse, charmante, indolente, au charme délicieux, elle excelle dans la danse, les arts, les mots choisis et pleins d’humour. Est-ce suffisant pour régner? On peut hélas en douter. Lacunes. Voici le mot qui la résume toute. Elle ne parviendra jamais à les combler.
Un jeune couple embarrassé
Pour l’heure, et en grande pompe, elle doit quitter l’Autriche. Durant le voyage, ce ne sont que joies, discours amphigouriques, bals, réceptions et arcs de triomphe fleuris. 14 mai 1770. Orée de la forêt de Compiègne. La suite autrichienne des 57 voitures vient de s’immobiliser. En descend de l’une d’elles, la jeune et ravissante princesse. Apercevant le roi de France, elle se jette à ses pieds et l’embrasse. Louis XV semble être en paradis. Son petit-fils, Louis-Auguste, 15 ans et 9 mois, embarrassé, timide, beaucoup moins. À peine ose-t-il regarder sa fiancée et dans le carrosse qui ramène ce couple d’enfants à Paris, il baisse le regard. À Versailles, ce sont des centaines et des centaines d’yeux qui épient les moindres gestes de cette petite princesse parfois maladroite avec l’étouffant cérémonial de cour. Madame la dauphine se cabre souvent au goût des courtisans. Trop tôt, on la surnomme l’Autrichienne.
Un mariage tardivement consommé
La future reine ne sera jamais heureuse à la cour de France. Elle s’ennuie au milieu de ces gens compassés, le grand couvert lui coupe l’appétit, et son humour un peu rosse lui voue bien des inimitiés. Marie-Thérèse s’en émeut et par courriers entiers lui reproche son attitude. Marie-Antoinette souffre également en tant que femme. Le mariage, célébré avec un faste inouï le 16 mai 1770, n’est toujours pas consommé dix mois après. Lorsque le dauphin rejoint enfin sa jeune épouse dans son lit, c’est pour y dormir. La jeune princesse, embarrassée, écrit à sa mère « qu’il n’en est pas encore résulté les suites qu’on aurait pu s’en promettre… » Le futur roi souffre d’un phimosis. Il lui faudra attendre sept longues années avant de consentir à se faire opérer grâce aux bons conseils de son beau-frère, le futur
empereur d’Autriche, Joseph II. Le 18 août 1777, le mariage est enfin consommé. Inouï, quand on sait les calomnies, bien souvent d’ordre sexuel, qu’aura à supporter la reine! Marie-Antoinette s’isole en ses Trianon, en ce hameau où elle joue à la bergère. Elle allège le protocole, lance les « tendances », protège et encourage sa modiste, Rose Bertin et le style Louis XVI est en fait le sien! Meubles épurés et exquis, grâce aux ébénistes Jacob, Riesener, Weisweiler, Potarange… Douceur de vivre, simplicité, éducation personnelle donnée aux enfants, respect de la vie, féminisme... et beaux arts, la part belle étant faite à Élisabeth Vigée Le Brun, l’artiste-peintre du règne. Louis XVI ne lui tolère aucune influence politique : la reine ne se mêle de rien et même son entrée au Conseil du roi, un an avant le début de la Révolution, reste symbolique.
Le peuple et sa reine
« Je ne m’aveugle pas sur mon crédit, écrit-elle à son frère Joseph II ; je sais que, surtout pour la politique, je n’ai pas grand ascendant sur l’esprit du roi. Serait-il prudent pour moi d’avoir avec son ministre des scènes sur des objets sur lesquels il est presque sûr que le roi ne me soutiendrait pas? Sans ostentation ni mensonge, je laisse croire au public que j’ai plus de crédit que je n’en ai véritablement, parce que, si on ne m’en croyait pas, j’en aurais encore moins. » Autre calomnie, ce comité autrichien, peuplé de favoris, qui aurait imposé la politique de Vienne à Paris. Marie-Antoinette est tout entière française et la transmission intacte du pouvoir de droit divin hérité des Bourbons à son premier puis second fils est sa seule préoccupation. Le pathétique épisode de la fuite à Varennes ne fait que renforcer le formidable fossé qui se creuse depuis des années déjà entre la reine et les Français. La « putain de Versailles », la « Sapho de Trianon » est une sangsue qui suce le sang du peuple. Les libellés orduriers pleuvent. MarieAntoinette, dans sa longue et tragique marche vers l’échafaud, est une victime expiatoire.