Secrets d'Histoire

Marie-Thérèse de Savoie, « le cher coeur »

Son entière existence sera fondée sur les couleurs grises de la mélancolie. Douce et sage, aimante, pieuse, la princesse de Lamballe paiera de sa vie l’absolue amitié qu’elle vouait à la reine de France.

- Par Philippe Séguy

Dieu, que cette enfance est triste. La fille du prince Louis-Victor de Savoie et de Christine-Henriette de Hesse Rheinfels-Rotenburg naît dans la capitale du royaume de Sardaigne, le 8 septembre 1749. À Turin, rien n’est fait pour distraire une petite fille, à part peut-être des leçons interminab­les d’Écriture sainte. Marie-Thérèse, douce et discrète, ne demande rien et semble ne rien attendre de la vie. Pieuse, très tôt préoccupée par le sort des pauvres gens, la réputation de quasi-sainteté de la jeune fille se répand dans toute l’Europe. Assez pour attirer le regard de l’un des plus riches hommes de France, le duc de Penthièvre et d’Aumale, grand amiral de France, petit-fils de Louis XIV, le fameux comte de Toulouse, bâtard légitimé et fils de Madame de Montespan. Ce puissant seigneur ne songe pas à lui, mais à son fils, Louis-Alexandre, fieffé coquin, roué jusqu’à la moelle, beau gosse, et dont le roi Louis XV et son épouse sont le parrain et la marraine!

Un mariage bref et tragique

Entraîné par son cousin le duc de Chartres, il multiplie les conquêtes, joue un jeu d’enfer et fréquente les bordels de Paris. Son père décide de le marier à Marie-Thérèse, espérant que le caractère doux et tranquille de l’une assagisse l’autre… Et c’est la catastroph­e. Le jeune prince

de Lamballe s’ennuie à périr avec cette bigote et devient l’amant d’une comédienne qui le ruine gentiment et, pour éponger ses dettes, n’hésite pas à vendre les diamants de sa femme. La belle crapule contracte plusieurs maladies vénérienne­s, contamine, c’est un comble, sa malheureus­e épouse et en meurt un an plus tard. À 20 ans.

La nouvelle amie de la reine

Marie-Thérèse est veuve et son beau-père ravagé par le chagrin. Dès lors, tous les deux, sincèremen­t épris de paix et du bonheur des plus humbles, se rapprochen­t encore. La jeune veuve habite une dépendance du château de Rambouille­t, la chaumière aux coquillage­s, où son beau-père a délicateme­nt fait placer un miroir recouvert de nacre. Ainsi, la jeune femme ne peut voir son visage meurtri par les traces de la petite vérole, cadeau de son défunt époux. Elle ne quitte plus cet homme si bon et multiplie les oeuvres charitable­s. Lors du mariage du dauphin Louis-Auguste et de la jeune archiduche­sse Marie-Antoinette, la princesse de Lamballe est invitée à toutes les cérémonies. Première rencontre entre les deux femmes, l’une à 21 ans, l’autre 14. Assez vite, une amitié sincère et profonde naît. Ce qui suscite bien des jalousies et des complots de cour, tous absurdes, car il n’est guère d’être plus désintéres­sé que Marie-Thérèse. En 1775, la princesse est nommée surintenda­nte de la Maison de la reine, fonction importante qui consiste à organiser les plaisirs de la souveraine, bals ou soupers élégants. Marie-Thérèse s’ennuie dans sa nouvelle tâche, s’y sent déplacée. Une nouvelle étoile est en train de monter à la Cour : la comtesse Jules de Polignac, pleine d’esprit et de répartie, si séduisante. La princesse en souffre et sa santé s’en ressent. Celle qui a toujours connu des crises de mélancolie s’évanouit trop souvent et ses vapeurs agacent quelque peu la jeune reine.

Une fidélité qui coûte cher

La princesse de Lamballe quitte la Cour pour la campagne, se plonge à nouveau dans ses oeuvres charitable­s. Cette intellectu­elle se passionne pour la philosophi­e des Lumières, se fait initier à la franc-maçonnerie, sa loge, cela ne s’invente pas, se nomme « la Candeur », et s’intéresse à la condition des femmes. Lorsque la Révolution éclate, Marie-Antoinette se sent de plus en plus isolée. Les Polignac sont en exil et les amis se font rares. La princesse ne bronche pas. Elle est l’amie de la reine, « le cher coeur ». Sa place est auprès de la famille royale. Lors des terribles journées d’octobre, Louis XVI, Marie Antoinette et leurs enfants sont ramenés de force à Paris. La reine supplie Marie-Thérèse de quitter la France. Destinatio­n Londres, via Dieppe. La princesse est chargée d’une mission secrète à Aix-la-Chapelle dont on ignore tout et, bravant les conseils de prudence de sa souveraine, elle se précipite à Paris afin d’être là, près d’elle. Elle scelle ainsi son destin. Conduite à la prison du Temple, aux côtés de la famille royale, elle en sort le 19 août 1792 pour être transférée à la prison de la Force. Elle est présentée devant un tribunal de fortune, mais son procès est une parodie de justice. Sa mort est un abominable supplice. Une tache indélébile sur la Révolution française.

 ??  ?? Marie Antoinette et Louis XVI, dans le jardin des Tuileries, avec Madame de Lamballe (1749-1792), de Joseph Caraud (1821-1905), 1857.
Marie Antoinette et Louis XVI, dans le jardin des Tuileries, avec Madame de Lamballe (1749-1792), de Joseph Caraud (1821-1905), 1857.
 ??  ?? Peinture anonyme de MarieAntoi­nette en compagnie de MarieThérè­se de Savoie, vers 1770.
Peinture anonyme de MarieAntoi­nette en compagnie de MarieThérè­se de Savoie, vers 1770.
 ??  ?? Le Supplice de la princesse de Lamballe en 1792, de Gaetano Ferri (1822-1896).
Le Supplice de la princesse de Lamballe en 1792, de Gaetano Ferri (1822-1896).

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