Les phares des côtes françaises : un patrimoine au péril des flots
La plupart des phares sont de véritables chefs-d’oeuvre d’architecture, qui vous impressionnent s’ils ne vous émeuvent, au même titre qu’une cathédrale. D’ailleurs, tout comme on observe différents styles dans les édifices religieux, il en va de même avec les phares : question d’époques, de matériaux disponibles, d’adaptation aux lieux où ils se trouvent édifiés… L’AVENIR MENACÉ DES CYCLOPES DE PIERRE
Naturellement, on pense que la mer est l’ennemie numéro un des phares édifiés en leur coeur. Même si à force de subir le choc des vagues, leur structure finit par s’affaiblir, c’est plus par l’intérieur que les tours se détériorent. Désertés, les édifices sont rongés par l’humidité. Plus grave, les petits travaux d’entretien qui occupaient le quotidien des gardiens ne sont plus assurés. Et l’on sait à quelle vitesse une demeure inhabitée devient une ruine. Alors un phare… Par ailleurs, on entend régulièrement affirmer que la généralisation du GPS rend les feux de navigation inutiles. Faut-il rappeler que pour l’heure, le miraculeux dispositif tient au bon vouloir de l’armée américaine d’en faire profiter la planète entière. Cela n’a pas toujours été le cas et pourrait le redevenir un jour. Si ces cyclopes de pierre de nos mers sont depuis les années 2000 tous orphelins de leurs gardiens (hormis le phare de Cordouan à l’entrée de la Gironde), l’esprit de famille perdure. Et dans la grande famille des phares, on distingue : l’Enfer (phare totalement isolé en pleine mer), le Purgatoire (phare situé sur une île) et le Paradis (phare situé à terre). Sur les 220 phares ou maisons-phares balisant les côtes de France (métropole et Outre-mer), 95 bénéficient d’une protection au titre des monuments historiques.
PLOUMANAC’H : LA TOUR NÉOMÉDIÉVALE DE MEAN RUZ - PARADIS
En breton, Mean Ruz signifie « pierre rouge » et en effet, Ploumanac’h dont il baptise l’entrée du port se trouve en pleine côte de granit rose. Au coucher du soleil, les rochers à son pied et les pierres de taille de sa construction rougeoient bel et bien. Avec sa galerie crénelée et dotée de faux mâchicoulis, Mean Ruz présente une curieuse architecture néomédiévale. D’autres phares en Bretagne ont été édifiés dans un style comparable, comme le cap Fréhel par exemple. Dans la seconde moitié du xixe siècle, le directeur des Phares et Balises Léonce Reynaud publia Éclairage et balisage des côtes de France, recueil de planches proposant aux ingénieurs des plans types de phares dont ils pouvaient s’inspirer pour être certains de respecter les canons de l’esthétique. Une esthétique qui devait beaucoup aux concepts néomédiévaux de Viollet-le-Duc!
LES ROCHES-DOUVRES : COMME UNE ABBAYE AU GRAND LARGE - PURGATOIRE
À 30 km au nord-est de Bréhat, voici le phare en mer le plus éloigné des côtes françaises, situé dans des parages aux récifs nombreux, où les marées provoquent des courants puissants. Les difficultés de son approche amenèrent les Phares et Balises à y édifier, en 1861, un phare métallique transporté en 1200 caisses plus aisées à manipuler que d’énormes et pesantes pierres de taille. Elle fut dynamitée en 1944 par l’armée allemande. C’est le granit qui fut choisi pour le reconstruire. Et quel édifice ! Lorsqu’on arrive aux Roches-Douvres, ce n’est pas la tour qui frappe, mais le colossal bâtiment de cinq étages, percé de nombreuses fenêtres, sur laquelle elle se dresse pour porter la lanterne à 65 mètres audessus de la mer. On penserait volontiers à une abbaye ou une lamaserie tibétaine ! Le dernier des phares de mer alors érigés en Manche devait apparaître comme le chef-d’oeuvre des hommes de l’art! Ses architectes s’offrirent même quelques fantaisies, comme en témoigne le dernier étage du soubassement : ses hublots ronds au-dessus d’une galerie dotée d’un bastingage ne seraient-ils pas un clin d’oeil au style paquebot des années 1930?
TÉVENNEC, DÉCLARÉ HANTÉ PAR L’ADMINISTRATION - PURGATOIRE
À contempler cette maisonnette édifiée sur un îlot situé en dehors du redoutable Raz de Sein, on ne soupçonnerait pas les drames que connurent les lieux. Si la construction de la maison-phare ne posa aucun problème technique, dès le début du chantier, dans les années 1870, les ouvriers observèrent des phénomènes qui les persuadèrent que l’îlot était hanté. Puis le premier gardien devint fou à force d’entendre des voix lui répéter en breton « Va-t’en! Ici, c’est chez moi! » Son successeur perdit la raison à son tour… L’administration fit venir le prêtre exorciste du diocèse qui arrosa l’Île d’eau bénite, et on érigea une croix au pied du phare. Enfin, on fit garder Tévennec par deux hommes, mais les drames se succédèrent : accidents, maladies… de telle sorte qu’en 1910, l’administration décida de laisser le feu brûler en permanence reconnaissant le caractère paranormal des lieux!
GATTEVILLE-BARFLEUR : LA SOBRIÉTÉ ABSOLUE - PARADIS
En 1738, le port du Havre s’affirme comme un port de commerce important, les armateurs réclament qu’un phare soit édifié à la pointe nord-est du Cotentin, afin de baliser l’entrée de la baie de Seine. Il faudra attendre les 40 naufrages survenus pendant l’hiver 1765 pour que des projets soient lancés : en 1775 enfin s’allument les feux de Gatteville-Barfleur, La Hève et L’Ailly. Approcher Le Havre de nuit devient enfin possible! En 1835, à l’époque où le trafic maritime s’intensifie et s’accélère avec l’arrivée des navires à vapeur, les Phares et Balises conçoivent un feu puissant installé sur une tour à l’architecture audacieuse. Avec ses 71 m, c’est le deuxième phare au monde par sa hauteur, après celui de Gênes; en 1944, l’armée allemande qui se replie après le bombardement est à deux doigts de le dynamiter. Le gardien, se prétendant luimême artificier, déclenche une explosion spectaculaire qui n’entraîne heureusement que des dégâts réparables.
KÉRÉON, L’ENFER EN SON PALACE - ENFER
Avec la Jument et Nividic, le phare de Kéréon éclaire le Fromveur, comme on appelle le passage qui relie la Manche au golfe de Gascogne par le détroit qui sépare l’île d’Ouessant et l’archipel de Molène. Dans ces lieux où tout se ligue contre le navigateur – les récifs nombreux, la forte houle de l’Atlantique et les courants de marée impétueux – la construction de ces trois tours releva de l’exploit. Elle relevait même de l’impossible, et ce sont les legs qui leur furent consacrés qui amenèrent les Phares et Balises à lancer des chantiers héroïques. Ainsi, le phare érigé sur la roche de Men-Tensel a-t-il pris le nom d’un gentilhomme guillotiné pendant la Révolution, Charles-Marie Le Dall de Kéréon, dont une des descendantes voulait perpétuer le souvenir. La qualité de son bienfaiteur explique les aménagements somptueux du phare. Mais si les gardiens vivaient entre lambris en bois précieux et planchers marquetés, jusqu’à la fin, ils ne disposèrent ni de douche ni de W.-C.! Ce fut d’ailleurs le dernier phare gardé de l’archipel ouessantin, la dernière relève ayant eu lieu le 29 janvier 2004.
LE PHARE DU BOUT-DUMONDE, CURIOSITÉ ROCHELAISE - PARADIS
Le Phare du Bout-du-Monde est surtout connu comme titre d’un roman de Jules Verne situé en Patagonie, sur l’île des États où dans les années 1880, se dressa le phare d’Año Nuevo. À la fin des années 1990, de jeunes navigateurs rochelais ont l’idée un peu folle de reconstruire le phare de leur lecture de jeunesse. Ils arment donc un voilier, chargent les éléments préfabriqués de la construction, prennent le large… et en 1998, le feu d’Año Nuevo s’allume à nouveau. De retour en France, ces romantiques de marins n’auront dès lors de cesse qu’une copie de l’étonnant phare se dresse devant le port de plaisance des Minimes, en baie de La Rochelle. Il sera inauguré le 1er janvier 2000!
LE PLANIER, L’ART DÉCO À L’HONNEUR - PURGATOIRE
Sa situation à l’ouvert de la rade de Marseille donne depuis toujours un caractère mythique au Planier. Marseille était en effet le principal port desservant l’empire colonial français, aussi, pour ceux qui faisaient carrière à l’autre bout du monde, ce phare représentait-il le premier signe aperçu du pays lorsqu’on rentrait pour un congé ! Ceci explique pourquoi, après la guerre, quand il fallut remplacer le phare dynamité par les Allemands, on fit appel à un cabinet d’architectes prestigieux : Arbus et Crillon. La tour construite en pierre de Cassis blanche comme neige, haute de 66 m, est parfaitement lisse, ce qui lui donne, aujourd’hui encore, un air de modernité qu’aucun autre phare ne possède. En 1992, à la suite de l’automatisation du phare, le bâtiment où logent les gardiens est abandonné et pillé. Un beau mobilier Art déco disparaît ainsi. Mais avec la création d’un centre de plongée dans ces locaux, la détérioration du site est enrayée, mettant en valeur un monument exceptionnel.
CORDOUAN, LE PHARE CONÇU POUR LES ROIS - PURGATOIRE
L’histoire de Cordouan commence à la fin du xie siècle, quand une communauté d’ermites entretient un feu sur ce qui est alors un véritable îlot. En 1360, une tour à feu est édifiée par le Prince noir, gouverneur de la Guyenne, alors anglaise. Deux siècles plus tard, la tour est si détériorée qu’on n’y allume plus de feu. Henri III confie alors le soin de la reconstruction à Louis de Foix, l’ingénieur qui a détourné le cours de l’Adour! Les folles dépenses engagées menacent le projet. Henri IV, arrivé sur le trône, poursuit les travaux et décide de faire de Cordouan un monument dédié à la gloire du roi et de Dieu. C’est pourquoi le second étage de la tour est occupé par une chapelle. Le phare mis en service en 1611 porte ainsi une lanterne située 37 m au-dessus de la mer, mais pour atteindre cette hauteur, il a fallu d’abord concevoir un socle de 123 m de diamètre! Le précieux monument finit cependant par faiblir sous les attaques permanentes des éléments. Vers 1780, on décide donc de renforcer le phare tout en le rehaussant jusqu’à 66 m. C’est le Cordouan qu’on connaît aujourd’hui.
ÎLE LOUËT ET SA CHARMANTE MAISONNETTE - PARADIS
Dans la baie de Morlaix, 250 m au large de la pointe boisée de Pen-al-Lann, près de Carantec, se trouve un îlot charmant. On évoque souvent la vie sévère des gardiens isolés par la tempête, tandis que l’île Louët a pour sa part connu des heures heureuses… Au tournant du xixe au xxe siècle, un couple de gardiens occupa la maison. Ou plutôt son rez-de-chaussée, les deux chambres mansardées étant réservées, l’une à l’ingénieur des ponts et chaussées lors de ses visites d’inspection, l’autre au conducteur de travaux quand des chantiers s’ouvraient dans la baie. Ils y furent heureux et eurent plusieurs enfants. Pour aller à l’école, les gamins embarquaient sur un canot mené à l’aviron! Pour la lessive, on se rendait à un lavoir naturel formé par une rivière débouchant sur la grève voisine. L’été, les rochers de l’Île servaient de plongeoir… Il y eut un gardien de phare jusqu’en 1962, qui fut ensuite chargé du phare de la Lande, sur la terre ferme d’où il commandait l’allumage et l’extinction du feu. Le gros rocher n’est pas pour autant revenu à sa solitude : il est en effet possible de louer l’île Louët pour un week-end.
GOULPHAR, UN DONJON SUR BELLE-ÎLE-EN-MER - PARADIS
Érigé sur une île étendue sur un site facile d’accès, Goulphar aurait dû être un chantier simple. Cette fois, les difficultés furent humaines. Les plans de cette tour de 52 m avaient été tracés par le fameux Augustin Fresnel (l’inventeur des lentilles éponymes), que l’ingénieur en chef départemental des Phares et Balises refusait de suivre. Les travaux commencèrent avec trois ans de retard, en 1829. Il apparut très vite que le sol de l’Île n’était peut-être pas assez ferme pour supporter l’édifice envisagé. Le chantier fut interrompu jusqu’en 1833, après que le frère d’Émile Fresnel – Léonor – a vérifié les calculs de son frère, décédé entre-temps.