Les lunettes en mettent plein la vue !
Les lunettes font aujourd’hui partie intégrante de notre vie quotidienne, et nombreux sont ceux qui ont, ont eu ou auront besoin de ces correcteurs de vue. Pourtant, il faut attendre la fin du xiiie siècle, voire le début du xive pour voir se populariser dans toute l’Europe cet instrument, d’abord sous forme de besicles, sans branches.
UNE INVENTION VENUE D’ITALIE
Si on ne sait pas précisément qui les a inventées et à quelle période, une première mention est faite des lunettes dans le Traité de conduite de la famille d’un certain Sandro di Popozo. Dans ce texte de 1299, il note : « je suis si altéré par l’âge, que sans ces lentilles appelées lunettes, je ne serais plus capable de lire ou d’écrire. » Il précise qu’elles ont été « inventées récemment pour les gens âgés dont la vue est devenue mauvaise ». Il tient les siennes, dit-il, d’un dominicain pisan, Alessandro Spina. Pour autant, rien ne permet d’affirmer que ce fabricant en est le concepteur.
L’OPTIQUE ET L’HISTOIRE
Dès l’Antiquité, Aristote évoque, dans Problemata, la myopie et la presbytie. Plus tard, Pline rapporte que Néron regarde les combats de gladiateurs à travers une émeraude. Par nécessité ou coquetterie? Sénèque, lui, constate qu’au travers d’un globe rempli d’eau, les lettres semblent plus grosses et plus faciles à déchiffrer. Et c’est au ixe siècle que le savant Abbas Ibn Firnas perfectionne la technique de taille du béryl, et invente la « pierre de lecture », sorte de loupe qu’on appose à même le texte et qui en facilite la lecture. L’objet devient vite indispensable dans les monastères et chez les copistes.
LE DÉBUT DES VERRES
À la fin du xiiie siècle, le franciscain Roger Bacon fait des essais de réfraction sur du béryl, lequel va donner son nom aux premières lunettes, les fameuses « bésicles » que l’on tient à la main, avant qu’un Vénitien n’en invente qu’on pose sur le nez. C’est également à Venise qu’est produit le verre qui va remplacer le cristal pour la fabrication des lorgnons, des binocles et des faces-à-main à manche. Après les verres convexes qui corrigent la presbytie, les verres concaves, conçus pour les myopes, se fabriquent à Florence dès les années 1440. Les lunettes sont désormais, outre leur fonction correctrice, le symbole de la sagesse et de l’érudition de leur possesseur.
LES PROGRÈS DE L’OPTIQUE
Si les lunettes connaissent le succès auprès des lettrés, il faut avouer que leur correction, qui ne concerne d’abord que la myopie et la presbytie, demeure empirique. Il faut attendre le début du xviie siècle pour que l’astronome Johannes Kepler fasse faire un bond aux progrès de l’optique en expliquant les mécanismes de réfraction de la lumière à travers le verre. Au siècle suivant, le médecin anglais Thomas Young met à jour les phénomènes d’accommodation de l’oeil et décrit un autre défaut de la vue affectant une grande quantité d’individus, l’astigmatisme. Enfin, le physicien américain Benjamin Franklin invente les verres à double foyer.
DERNIÈRES AMÉLIORATIONS
Désormais, en cette fin de xviiie siècle, outre la myopie, la presbytie et l’astigmatisme, d’autres défauts sont corrigés : hypermétropie, amblyopie, strabisme. Mais les pince-nez demeurent inconfortables. Il faudra attendre l’intervention d’un lunetier anglais, qui fabrique des « lunettes à oreilles » munies de branches qui font tenir les montures derrière les oreilles justement. En 1796 enfin, Pierre-Hyacinthe Caseaux, maître-cloutier à Morez dans le Jura, remplace le clou central par un cercle de métal qui enserre les verres. Les lunettes modernes sont nées et Morez devient pour un siècle leur capitale !