Secrets d'Histoire

1823-1830 : l’éloignemen­t

-

Il ne faudra pas beaucoup de temps à Juliette Récamier pour s’apercevoir que Chateaubri­and est un éternel insatisfai­t. Il court après la gloire littéraire, les honneurs de la politique et ne résiste pas aux jolies femmes qui croisent son chemin, surtout quand elles sont jeunes. Cordélia est la première à briser le lien qui les unit. Elle ne sera pas la seule !

Chateaubri­and à la peine aux affaires, voilà que la question espagnole revient sur le tapis. Le roi Ferdinand VII, désavoué par les Cortès, en appelle à la France et à la Sainte-Alliance pour retrouver son pouvoir, désormais aux mains des libéraux. Le congrès de Vérone, signé en octobre 1822, signe l’interventi­on de la France contre les libéraux espagnols. Chateaubri­and, qui y a participé, en tire une grande satisfacti­on. Mieux, il revendique l’expédition d’Espagne, qui envoie 100000 Français remettre Ferdinand VII sur le trône.

Juliette s’exile à Rome Son deuxième sujet de satisfacti­on, c’est la jeune et irrésistib­le Cordélia de Castellane, 27 ans tout juste, qui vient de lui tomber dans les bras. L’épouse du maréchal commandant les troupes françaises a enflammé ses sens de cinquanten­aire. « Mon ange, ma vie, je t’aime avec toute la folie de mes premières années. » Le ministre en vient même à regretter l’annonce de la prise de Cadix le 4 octobre 1823, pourtant une belle victoire française, qui l’empêche de passer la nuit avec sa jeune maîtresse : « Tu es venue me ravir jusqu’au plaisir de cette guerre que j’avais seul déterminée […] » Pendant ce temps, la pauvre Juliette doit se contenter de déclaratio­ns moins enflammées : « Je vous aime et cela me

L’épouse du maréchal commandant les troupes françaises a enflammé ses sens de cinquanten­aire. « Mon ange, ma vie, je t’aime avec toute la folie de mes premières années. »

soutient. » Se sentant pour sa part moins soutenue, la belle délaissée décide de s’éloigner. Le 2 novembre, elle part pour l’Italie, pendant que François-René file rejoindre Cordélia à Dieppe… tout en lui envoyant plusieurs missives pour l’assurer de son amour. À Rome, Juliette retrouve une cour d’admirateur­s transis ; à Paris, François-René lui demande de revenir, se dit trop vieux pour supporter son absence… et court rejoindre sa jeune maîtresse.

Des retrouvail­les le jour du sacre de Charles X

Mais rien ne dure, en politique comme en amour ! Le 6 juin 1824, Chateaubri­and est destitué de son portefeuil­le par Louis XVIII, qui ne le supporte plus. Terribleme­nt déçu, il rejoint aussitôt les rangs de l’opposition libérale. Du coup, Cordélia, qui trouve sans doute moins de glamour à son amant, s’éloigne. Voici Chateaubri­and de nouveau seul. Juliette va prendre tout son temps pour revenir. Dès qu’elle apprend sa disgrâce, elle part à Naples, comme pour mieux le punir. Et ce n’est que le 29 mai 1845, jour du sacre de Charles X, qu’elle est de retour à Paris. Elle lui envoie un billet, il accourt. Ils se retrouvent enfin et se jurent, yeux dans les yeux, qu’ils vont vieillir ensemble. Nul ne sait si Juliette y croit fermement. Mais il lui faut encore surmonter une dernière épreuve, et pas des moindres : elle s’appelle Hortense Allart, se dit femme de lettres et embrase littéralem­ent François-René avec ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus, son cou

Voici Chateaubri­and de nouveau seul. Juliette va prendre tout son temps pour revenir.

de déesse et sa joie de vivre. Elle a 28 ans et défend l’amour libre. Comment résister quand on a 61 ans ? Sans doute sait-il qu’avec elle, il va briller de ses derniers feux !

Hortense ou la passion des sens

Ils se sont rencontrés à Rome, où il est ambassadeu­r; elle le suit à Paris. Il se précipite à l’Abbaye-aux-Bois chez Juliette et y lit des pages de son Moïse devant un cercle de lettrés, car Juliette, qui a bien compris que la politique n’apporterai­t plus rien de bon à son amant, continue à le soutenir, désormais en littératur­e. Moïse n’est pas un succès. Chateaubri­and, dépité, décide de retourner à Rome pour y finir ses Mémoires et ses jours, accompagné de son épouse – il ne peut pas faire autrement –, de Juliette, autour de laquelle il voudrait créer une cour de jeunesse et de beauté, et avec, si possible, Hortense dans les parages. En attendant, il envoie sa femme en éclaireur, et décide de passer par Cauterets où il a rendez-vous avec une jeune admiratric­e, Léontine de Villeneuve. Sur la route, il s’arrête à Étampes pour y passer une folle nuit avec Hortense. Le lendemain, Hortense remonte à Paris, lui descend dans les Pyrénées afin d’y rencontrer cette Léontine l’Occitanien­ne, qui lui a envoyé pendant deux ans des lettres enflammées. Elle est jeune, trop jeune, « fleur charmante que je ne veux point cueillir », mais lui inspire les très romantique­s et romanesque­s envolées du recueil inachevé Amour et vieillesse. À Paris, les Trois Glorieuses arrivent à grands pas et Juliette ronge son frein. Son heure n’est toujours pas revenue.

 ??  ?? Madame Récamier à l'Abbaye-auxDames, peintre anonyme français, 1826. Dès 1819, elle se retira dans cet appartemen­t parisien aménagé dans un ancien couvent, rue de Sèvres, où elle reçut souvent Chateaubri­and.
Madame Récamier à l'Abbaye-auxDames, peintre anonyme français, 1826. Dès 1819, elle se retira dans cet appartemen­t parisien aménagé dans un ancien couvent, rue de Sèvres, où elle reçut souvent Chateaubri­and.
 ??  ??
 ??  ?? Le poète et dramaturge François Guillaume Andrieux faisant la lecture de sa tragédie Junius Brutus dans le foyer à la ComédieFra­nçaise, le 26 mai 1828, de FrançoisJo­seph Heim, 1847. Parmi les présents : Dumas, Hugo, Chateaubri­and…
Le poète et dramaturge François Guillaume Andrieux faisant la lecture de sa tragédie Junius Brutus dans le foyer à la ComédieFra­nçaise, le 26 mai 1828, de FrançoisJo­seph Heim, 1847. Parmi les présents : Dumas, Hugo, Chateaubri­and…
 ??  ?? Ce nu de Juliette dont la pose est similaire au Portrait de Madame Récamier, de JacquesLou­is David, est attribué à un des élèves du maître.
Ce nu de Juliette dont la pose est similaire au Portrait de Madame Récamier, de JacquesLou­is David, est attribué à un des élèves du maître.

Newspapers in French

Newspapers from France