Madame de Montespan L'éclat ou la part d'ombre
Elle est d’une beauté à nulle autre pareille : des cheveux d’or, longs et soyeux, de grands yeux couleur d’azur, un nez aquilin fin et racé, une bouche ourlée, vermeille, de belles mains un peu potelées, un corps souple et harmonieux, admirablement bien proportionné. Louis XIV en fait sa favorite. L’éclat de cet astre dure dix années, entre la passion d’un roi encore juvénile pour Louise de La Vallière et l’attachement de l’homme mûr puis vieillissant pour la dévote Madame de Maintenon.
Née le 5 octobre 1640 à Lussac-lesChâteaux, en Poitou, Françoise dite Athénaïs de Rochechouart de Mortemart appartient à l’une des plus anciennes familles de France. Sa devise « Ante mare undae » (qu’un élégant distique traduit ainsi : « Avant que la mer fût au monde / Rochechouart portait les ondes ») laisse éclater tout l’orgueil de ses origines. Son père Gabriel, premier gentilhomme de la Chambre du roi, et sa mère Diane de Grandseigne, dame d’honneur d’Anne d’Autriche, l’épouse de Louis XIII, guident son entrée dans le monde. Après avoir été élevée au couvent Sainte-Marie, à Saintes, elle paraît à la Cour comme demoiselle d’honneur de la jeune reine Marie-Thérèse, sous le nom de Mademoiselle de Tonnay-Charente. En janvier 1663, elle fait un mariage d’inclination avec Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, Gascon incommode et atrabilaire, joueur, coureur, vagabond dans l’âme.
Comment résister au plus grand roi de la terre ?
Louis XIV ne tarde pas à la remarquer. La coquette, d’abord, se pique de vertu. « Si j’étais assez malheureuse pour que pareille chose m’arrivât, dit-elle à ses compagnes à propos de mademoiselle de La Vallière, je me cacherais pour le reste de ma vie. » Mais comment résister au plus grand roi de la terre? En juin 1667, à l’étape d’Avesnes, alors qu’il a entrepris la conquête des Pays-Bas espagnols, elle capitule, acceptant enfin l’inéluctable. Il est vrai qu’auparavant, sentant sa
moralité défaillir, elle a conjuré sans succès son mari de l’emmener sur ses terres. Quelques mois plus tard, celui-ci apprend son infortune. Jetant feu et flamme, étourdissant les courtisans du fracas de ses imprécations et de ses terribles menaces, il fait un esclandre au château de Saint-Germain-en-Laye. Vite, on le renvoie dans les Pyrénées, en son domaine de Bonnefont, sur la Baïse. On raconte qu’ayant drapé de crêpe son carrosse, l’époux bafoué demande à entrer dans sa demeure par la grande porte à cause, dit-il avec amère ironie, de la hauteur de ses cornes.
Trois « reines » pour un seul roi
À la Cour, cependant, Louise de La Vallière, créée duchesse de Vaujours en guise de cadeau de congé, refuse de céder la place, acceptant tout pour raviver les braises mourantes de son amour : les rebuffades de Louis XIV, les railleries de sa nouvelle favorite, le mépris des courtisans. Au prix de cette situation dégradante, elle parvient à se maintenir quelques années, obtenant du monarque quelques retours d’affection… surtout pendant les grossesses de sa rivale. En province, le roi, tel un satrape oriental, s’affiche donc avec son épouse Marie-Thérèse et ses deux maîtresses dans le même carrosse. Les paysans éberlués parlent, à leur passage, des « trois reines ». Pour contraindre Louise à quitter définitivement la Cour, Madame de Montespan, odieuse, la traite en femme de chambre. En avril 1674, ce surcroît d’épreuves et d’humiliations incite la malheureuse Louise à entrer au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. C’est le triomphe de la dominatrice Athénaïs. Un triomphe, toutefois, traversé de crises. En 1675, prêchant le carême pour la troisième année consécutive, le père Bourdaloue interpelle le roi sur sa conduite, tandis que Bossuet, précepteur du Dauphin, cherche à
Madame de Montespan est alors la vraie reine de la Cour. Ses toilettes, ses équipages, son train de vie sont somptueux.
convertir son coeur. Au même moment, un vicaire de Versailles refuse l’absolution à Madame de Montespan, contrainte de se retirer au château de Clagny, que vient de lui offrir son royal amant.
« Cette poute me fera mourir ! »
La résolution de Louis XIV de s’éloigner de sa maîtresse tient une année. Mais au printemps de 1676, tout recommence. Et La Montespan de revenir triomphante à la Cour, telle une « beauté à faire admirer à tous les ambassadeurs » (Madame de Sévigné). Étincelante d’esprit – l’esprit des Mortemart, disaiton, fait de railleries pétillantes et d’ironie hautaine –, elle est alors la vraie reine de la Cour et de ses fêtes, la royale déesse des Arts et des Lettres. Au faîte de la gloire, grisée d’orgueil, elle passe des soirées entières à miser des fortunes que règle le souverain. Ses toilettes, ses équipages, son train de vie sont somptueux. Le duc de Noailles, capitaine des Gardes du corps, en personne, porte sa traîne alors que la reine n’a droit qu’à un simple page. MarieThérèse d’Autriche enrage: « Cette poute, gémit-elle, me fera mourir! » Les années passant, la beauté de la royale Mortemart s’émousse; elle prend de l’embonpoint. Louis XIV se lasse de ses caprices et de ses scènes. À la quarantaine, il multiplie les passades: Mesdemoiselles de Grancey, de Rouvroy, de Rochefort-Théobon, de La Mothe-Houdancourt, la princesse de Soubise, madame de Ludres et, surtout, Marie-Angélique de Scorailles, demoiselle de Fontanges, magnifiquement belle mais « sotte comme un panier » (dixit Madame Palatine), qui supplante un temps La Montespan comme favorite officielle, avant de mourir le 28 juin 1681, des suites d’un accouchement.
Avec Louis XIV, le même goût du faste et de la grandeur
Athénaïs a eu deux enfants de son mari, avant d’en être séparée de corps et de biens. Elle en a sept du roi, dont six sont légitimés. Quatre atteignent l’âge adulte: Louis-Auguste, duc du Maine; Louise-Françoise, demoiselle de Nantes, qui épousera le duc de Bourbon, petit-fils du Grand Condé; Françoise-Marie, demoiselle de Blois, mariée à Philippe, duc de Chartres, futur duc d’Orléans et régent de France; et LouisAlexandre de Bourbon, comte de Toulouse. La plus grande faute tactique d’Athénaïs est de choisir la veuve Scarron pour élever sa progéniture adultérine. Cette discrète personne de bonne réputation, aimable et instruite, d’apparence dévote et réservée, mais terriblement ambitieuse, va devenir, sous le nom de marquise de Maintenon, sa plus redoutable rivale: elle finira par la jeter à bas après avoir épousé secrètement le roi, à la mort de Marie-Thérèse. Avant l’« âge Maintenon » s’étendant sur deux grandes
saisons du règne, l’automne et l’hiver, celui de Madame de Montespan, époque de plaisir et de frénésie sensuelle, est le plus éclatant. Louis XIV partage avec cette femme superbe le goût du faste et de la grandeur. Sans jouer aucun rôle politique, Athénaïs pousse sans vergogne parents et protégés: son frère Vivonne, Boileau, Racine, Lully, le librettiste Quinault, le musicien Michel Lambert, Monsieur de Montausier, le maréchal d’Albret ou encore le médecin d’Aquin. Ses années de faveur s’achèvent pourtant au tournant des années 1680.
Impliquée dans l’affaire des Poisons
En décembre 1684, Madame de Montespan quitte son appartement du premier étage à Versailles, pour un autre situé au rez-de-chaussée du château, signe de son irréversible disgrâce. Elle s’accroche à sa condition de mère d’enfants légitimés mais finit, en 1691, par se retirer de la Cour. Elle part vivre en protectrice bienfaisante et en dame d’oeuvres au couvent des Filles de SaintJoseph de la rue Saint-Dominique, à Paris. Elle s’éteint pieusement à Bourbon-l’Archambault, le 27 mai 1707. En apprenant la nouvelle, Louis XIV se contente de déclarer que, depuis qu’il l’a congédiée, il la considérait déjà comme morte… Tout a-t-il été dit? Non, reste la part d’ombre, une part terrible. À partir de 1679, Madame de Montespan est impliquée dans l’affaire des Poisons. Plusieurs des prisonniers de la Chambre ardente l’accusent d’avoir participé à des cérémonies magiques et sacrilèges pour garder le coeur du roi, d’avoir fait avaler à celui-ci des poudres aphrodisiaques, d’avoir fait célébrer quatre ou cinq messes noires accompagnées de sacrifices de nouveaunés, enfin d’avoir voulu attenter à la vie du roi et à celle de Mademoiselle de Fontanges. Les deux premières accusations sont pour ainsi dire établies, la dernière est invraisemblable. Quant aux messes noires, le mystère demeure à jamais.
Sans jouer aucun rôle politique, La Montespan pousse sans vergogne parents et protégés : son frère, Boileau, Racine, Lully, le maréchal d’Albret, le médecin d’Aquin… Pour contraindre sa rivale dans le coeur du roi, Louise de La Vallière, à quitter définitivement la Cour, Madame de Montespan, odieuse, la traite en femme de chambre.