Les Borgia, une fulgurante ascension
Premier pape espagnol sous le nom de Calixte III, Alfonso de Borja parvient, en quelques décennies, à tirer son clan de l’anonymat, l’entraînant dans son sillage, de sa Valence natale jusqu’à Rome. Les Borja, devenus Borgia, ont réussi à s’imposer parmi les grandes familles italiennes et à briguer les plus prestigieux honneurs en profitant des troubles du temps. Et à marquer l’Histoire de la papauté.
Les Borja prennent vraisemblablement racine dans la région de Saragosse, à… Borja. La ville a donné son nom à leur famille, non qu’ils en aient été les seigneurs, mais simplement parce qu’ils en sont originaires. Le premier Borja dont on retrouve une trace est un certain Esteban « de Borja », chargé, fin xiiie début xive siècles, de répartir les terres conquises aux colons chrétiens.Des origines très modestes L’Espagne, alors, est en pleine reconquête. Sous l’impulsion du roi d’Aragon, Jacques Ier, et avec le soutien du pape et des corts catalans (assemblées représentant les nobles, le clergé et la bourgeoisie), les Baléares puis la région de Valence ont été reprises aux Maures entre 1229 et 1261. « Les Borja n’ont alors aucune terre et cherchent à en obtenir, éclaire Jean-Yves Boriaud, auteur des Borgia – La Pourpre et le Sang (Perrin). Ce sont des paysans relativement pauvres, qui vont profiter de la Reconquista. L’un d’eux, Esteban, chargé de distribuer les terres reprises aux Maures, en attribue généreusement à sa famille. Les Borja mettent ainsi la main sur l’un des domaines les plus lucratifs, dans la région de Xativa, en 1244. »
Un Borja prometteur
Dès lors, la famille Borja prospère. Certaines de ses branches rejoignent même la petite noblesse, en s’unissant notamment par le mariage à la famille Oms Fenollet, un lignage ancien, prestigieux et important propriétaire terrien. Une autre ramification, établie à Torre del Canals, donne naissance à Alfonso de Borja, le 31 décembre 1378. Parvenus à un niveau d’aisance suffisant, les Borja envoient Alfonso faire ses études à Valence puis à Lérida, où il suit un double cursus en droit civil et en droit canon, porte d’entrée à une carrière ecclésiastique. Cet étudiant, bientôt chargé de cours, est si brillant que sa renommée parvient jusqu’au roi d’Aragon Martin Ier, qui lui confie une charge de conseiller juridique. Il est également repéré par le pape schismatique Benoît XIII, pour qui il va assurer différentes missions. Sa carrière est lancée.
L’entrée en diplomatie, à l’occasion du Grand Schisme
À partir de 1378, l’élection de deux papes concurrents divise la chrétienté. L’un des papes qui suivront, Benoît XIII, élu en 1394 pour succéder à Clément VII, est un juriste espagnol, proche des souverains d’Aragon. C’est certainement ainsi qu’il fait la connaissance d’Alfonso de Borja. Benoît XIII est décidé à mettre fin au schisme mais ses efforts ne sont pas soutenus. Le concile de Pise, en 1409, où les deux papes avaient envoyé des représentants, est un échec. Pire, cette assemblée élit un pape supplémentaire ! C’est alors qu’en prévision du concile de Constance, Alfonso de Borja est désigné pour représenter le diocèse de Lérida. Mais, finalement, il n’y assiste pas. Les trois papes sont déposés par le concile, qui élit Martin V pour les remplacer (en 1417). Benoît XIII, réfugié en Espagne, refuse de céder. Ce faisant, il devient un atout précieux et une belle monnaie d’échange dans le jeu du roi d’Aragon, Alphonse V le Magnanime, au service duquel Alfonso de Borja oeuvre désormais.
La créature du roi d’Aragon ?
Protégé d’Alphonse V, Alfonso de Borja devient, en 1416, l’un de ses plus proches conseillers. « On ignore dans quelles circonstances le roi a rencontré Alfonso, mais son arrivée à la Cour constitue un bond énorme pour la famille Borja, souligne Jean-Yves Boriaud. C’est une promotion qu’il ne doit qu’à son talent. » Il lui donne de précieux avis juridiques et l’aide à s’affranchir de la tutelle
papale sur certains bénéfices que réalisent les ecclésiastiques dans le royaume. En échange, Alphonse V accepte de retirer son soutien à l’antipape Benoît XIII. Il montre alors beaucoup de talent en tant que diplomate et s’attire la reconnaissance royale – parfois sonnante et trébuchante! Il est au coeur des négociations entre le pape et le roi d’Aragon qui aboutissent, enfin, en juillet 1429: envoyé auprès de Clément VIII, qui a succédé à Benoît XIII – mort six ans plus tôt –, il le convainc d’abdiquer. C’est la fin du Grand Schisme, et c’est un triomphe pour Borja. Pour le remercier, le roi et le pape Martin V le nomment évêque de Valence, dès le mois suivant, en août 1429.
Le plus grand des juristes
Alphonse V tourne maintenant son regard vers l’Italie. Le roi d’Aragon possède déjà la Sicile et il rêve de s’emparer de Naples. Encore lui faut-il être reconnu par le pape Eugène IV, qui en est le suzerain. Alfonso de Borja, le plus grand des juristes, est missionné pour défendre ses prétentions face à celles de René d’Anjou – qui a déjà reçu l’adoubement papal. En parallèle, Alphonse V parvient, en 1442, à conquérir Naples par les armes. Eugène IV est alors contraint d’entériner ce coup de force. « Alfonso de Borja avait établi la base de sa notoriété en contribuant à la résolution du Schisme, explicite Jean-Yves Boriaud. Le roi d’Aragon l’apprécie beaucoup et, lorsqu’il s’empare de Naples, il fait encore appel à ses talents. Le royaume est en effet constitué de petites seigneuries qui dépendent du pape et qui sont donc difficiles à gérer. Alphonse V confie à Borgia l’administration – et la réorganisation – juridique de son royaume. Il réussit à démêler des situations très complexes. » À la faveur de la Reconquista, du Grand Schisme, de la guerre contre la Castille puis en Italie, dans le sillage du roi d’Aragon, le fin diplomate et juriste très avisé qu’est Alfonso de Borja a réussi à gagner la confiance, l’estime et même l’admiration d’Alphonse V et du pape. C’est ainsi qu’il est titré cardinal des Quatre-Saints-Couronnés, le 2 mai 1444, sous le nom désormais italianisé de « Borgia ».