Secrets d'Histoire

Calixte III, un pape espagnol à Rome

- Par Coline Bouvart

Devenu cardinal, Alfonso Borgia décide de garder l’évêché de Valence. Il s’installe tout de même à Rome, où il va servir le Vatican. Le 8 avril 1455, il devient le premier pape espagnol et, malgré un pontificat très court, réussit à imposer sa parentèle dans le paysage italien, dont son prometteur neveu, Rodrigo.

Lorsqu’il s’installe à Rome, les talents du cardinal Borgia s’avèrent utiles. S’il doit en partie sa carrière fulgurante à la protection du roi d’Aragon, Alphonse V le Magnanime, il s’est aussi attiré les faveurs des papes successifs, qui ont reconnu en lui un interlocut­eur précieux. Très avisé, Alfonso Borgia se garde de se fâcher avec l’un ou l’autre des deux camps. Familier depuis de longues années des cercles diplomatiq­ues, loué pour ses compétence­s juridiques, d’une discrétion extrême, il réussit à se fondre dans le microcosme romain. Il a surtout la sagesse de ne pas afficher de carriérism­e, ce qui endort la méfiance des grandes familles italiennes. « C’est un grand serviteur de l’Église, qui a des ambitions pour elle, pas vraiment pour luimême, confirme le biographe Jean-Yves Boriaud. Il est animé par une foi sincère et attaché à de grandes causes politiques. Il est humble, pacifique, austère. » Une élection de compromis Le conclave de 1447 élit Nicolas V. Le pape confie au cardinal Borgia plusieurs missions, dont celle de présider l’examen du dossier de canonisati­on de Vincent Ferrier, un dominicain très lié à son histoire personnell­e. Au conclave suivant, en 1455, la situation à Rome s’est tendue. Et les attentes par rapport au nouveau souverain pontife sont grandes : Constantin­ople a été prise deux ans plus tôt par les Ottomans. Aucun candidat, toutefois, ne se distingue. Aussi, pour éviter de raviver la rivalité entre Colonna et Orsini, familles princières habituées à prendre place au Saint-Siège, s’impose le choix d’un pape de compromis. Le grand âge du cardinal (77 ans) rassure les récalcitra­nts : de toute évidence, il ne sera que de transition. Estimé par ses pairs, discret, politique, modeste, Alfonso Borgia est élu le 8 avril 1455. Il prend le nom de Calixte III. « C’est le premier pape

espagnol, et un vrai atout pour Alphonse V, souligne Jean-Yves Boriaud. Mais à Rome, cela ne défraie pas la chronique: le cardinal Borgia s’est tellement bien intégré à la vie romaine qu’on ne le voit plus comme un étranger. Les cours étrangères sont plus circonspec­tes, craignant que Calixte III ne reste au service du Magnanime. »

Le sens de la famille

« Et s’ils ne sont pas italiens, les Borgia comprennen­t très vite comment cela fonctionne, poursuit Jean-Yves Boriaud. Alfonso, notamment, est clairvoyan­t et doté d’un sens politique très poussé. Il va placer ses pions, faire venir les membres de sa famille auprès de lui et favoriser leur avancement. » Ce sens de la famille est déjà manifeste à l’époque où il est évêque de Valence. Menant un train de vie confortabl­e, il en fait profiter sa famille en la logeant au palais épiscopal. Par la suite, devenu cardinal, il obtient du pape Eugène IV des faveurs pour ses proches, comme le canonicat de Valence pour son neveu Luis Juan del Milà. Il fait également venir auprès de lui ses neveux Rodrigo, Pere Luis et Luis Juan. Pere Luis est envoyé à la cour du roi de Naples pour faire une carrière militaire, les deux autres suivent des études de droit à Bologne. En 1456, Calixte III nomme Rodrigo, cardinal de San Nicola in Carcere ; et Luis Juan, cardinal des Quatre-Saints-Couronnés. Grâce à son oncle, Rodrigo est même désigné vice-chancelier de l’Église, soit le deuxième personnage du Vatican. Calixte III s’entoure de Catalans pour son administra­tion. « Exactement comme les grandes familles romaines, il fait appel à des gens de confiance, des affidés, note Jean-Yves Boriaud. Mais comme il n’est pas issu du sérail, cela passe mal à Rome et ces tensions resurgiron­t à sa mort. »

L’allié devenu ennemi

Pour l’heure, si Alphonse V d’Aragon imaginait disposer d’un obligé sur le trône de Saint-Pierre, il déchante. Beaucoup plus énergique que certains ont pu le croire, le nouveau pape prend fermement ses distances avec celui qui fut son protecteur. Le Magnanime s’empresse pourtant de lui transmettr­e de nombreuses demandes, notamment de nomination­s. La première d’entre elles est la pomme de discorde entre les anciens alliés: l’évêché de Valence. C’est le plus lucratif d’Aragon et le roi veut le récupérer pour le fils bâtard de son frère Juan II, Juan d’Aragon. Or, ce dernier n’est âgé que de 15 ans! Devant l’insistance d’Alphonse V, qu’il a déjà publiqueme­nt humilié, en

lui refusant d’autres faveurs, Calixte III trouve un biais : il nomme le neveu du roi évêque de Valence, mais seulement en titre, jusqu’à l’âge de 27 ans. En réalité, tous les proches du roi d’Aragon sont écartés du pouvoir, Calixte III entendant affirmer son indépendan­ce. Les tensions vont s’accroître. La guerre entre les deux hommes atteint un paroxysme quand le pape menace le roi d’excommunic­ation. En 1458, Alphonse V meurt. Calixte III peut faillir, nommer Juan d’Aragon évêque de Saragosse ; il en profite pour attribuer l’évêché de Valence à son propre neveu, un de plus, Rodrigo.

Reprendre Constantin­ople

Calixte III ne peut empêcher l’héritier d’Alphonse V, Ferrante, de s’emparer du royaume de Naples.

Un portrait de Ferrante d’Aragon, détail de L’Adoration des Mages (1519), de Marco Calabrese.

La priorité du pontificat de Calixte III reste la croisade. Il a conscience de l’ampleur du désastre provoqué par la chute de Constantin­ople. Lors de son élection, il a solennelle­ment prêté serment de se consacrer à la libération des peuples chrétiens du joug ottoman. Comme il peine à convaincre les cours d’Europe, il décide de se croiser lui-même, engage ses propres revenus et monte une flotte de bateaux. En dépit de renforts venus de souverains alliés, l’expédition manque de moyens et a recours au piratage en Méditerran­ée. Un scandale qui éclabousse le Vatican. La seconde tentative de croisade pontifical­e débute dans le ridicule: le jour du départ, lors de la cérémonie de bénédictio­n, les rameurs, affamés et pas payés, se révoltent ! Ils finissent par regagner les navires, mais c’est de mauvais augure! Malgré quelques victoires en Méditerran­ée, la croisade devient un sujet de railleries. L’action de Calixte III, pourtant, a stoppé l’avancée ottomane. La crise de succession à Naples devient alors sa préoccupat­ion majeure: il ne peut empêcher l’héritier désigné par Alphonse V, son fils illégitime Ferrante, de s’emparer du royaume.

« Dehors les Catalans ! »

Épuisé, Calixte III s’éteint le 6 août 1458. Depuis quelques mois, Rome baigne dans une ambiance de fin de règne, qui ne fait qu’exacerber les tensions. À l’annonce de sa mort, les cris: « Mort aux Catalans! Dehors les Catalans! » résonnent. Tous les partisans du pape défunt fuient, y compris sa famille. « Ces troubles sont courants à chaque fin de règne, et donnent lieu à de nombreux pillages, précise JeanYves Boriaud. Tout l’organigram­me est ensuite revu, les postes redistribu­és aux affidés du nouveau pape. Dans le cas de Calixte III, ils sont un peu plus violents parce qu’il est l’étranger, celui que les grandes familles italiennes n’ont jamais vraiment accepté. »

 ??  ?? La place SaintPierr­e, à Rome, coeur battant du Vatican. La cité est, depuis deux mille ans, le centre de la chrétienté. Lequel fut un temps « délocalisé » puis partagé avec Avignon. Son retour dans le giron italien fut l’objet d’âpres négociatio­ns auxquelles participe Alfonso Borgia.
La place SaintPierr­e, à Rome, coeur battant du Vatican. La cité est, depuis deux mille ans, le centre de la chrétienté. Lequel fut un temps « délocalisé » puis partagé avec Avignon. Son retour dans le giron italien fut l’objet d’âpres négociatio­ns auxquelles participe Alfonso Borgia.
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(xve siècle), de Justus van Gent. Alfonso Borgia (1378-1458), né à Canals dans le royaume de Valence, est le 209e pape de l’Église catholique, élu en 1455.
Calixte III (xve siècle), de Justus van Gent. Alfonso Borgia (1378-1458), né à Canals dans le royaume de Valence, est le 209e pape de l’Église catholique, élu en 1455.
 ??  ?? 29 mai 1453 – La Chute de Constantin­ople (xviie siècle), de Jacob Matthias Weyer. Après deux mois de siège, la prise de la capitale par l’armée ottomane signe la fin de l’Empire romain d’Occident et pose un jalon historique, celui de la fin du Moyen Âge.
Basilique SaintDenis
29 mai 1453 – La Chute de Constantin­ople (xviie siècle), de Jacob Matthias Weyer. Après deux mois de siège, la prise de la capitale par l’armée ottomane signe la fin de l’Empire romain d’Occident et pose un jalon historique, celui de la fin du Moyen Âge. Basilique SaintDenis
 ??  ?? Vincent Ferrier (xviie siècle) ; anonyme. Le moine (1350-1419) est canonisé en juin 1455 par Calixte III.
Vincent Ferrier (xviie siècle) ; anonyme. Le moine (1350-1419) est canonisé en juin 1455 par Calixte III.
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 ??  ?? 8 mai 1429 – L’Entrée de Jeanne d’Arc à Orléans (1855), de JeanJacque­s Scherrer.
8 mai 1429 – L’Entrée de Jeanne d’Arc à Orléans (1855), de JeanJacque­s Scherrer.

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