Secrets d'Histoire

Alexandre VI, un patriarche au Vatican

- Par Coline Bouvart

À la mort de son oncle Calixte III, Rodrigo Borgia préserve sa place et ses privilèges. Il les conforte même, jusqu’à se faire élire pape en 1492. Une apothéose pour le clan qui n’a mis que trois génération­s à s’imposer au Vatican et en Europe. Esprit brillant, ambitieux et stratège, grand amoureux des femmes et soucieux de promouvoir sa famille, Alexandre VI va cependant être rattrapé par ses erreurs. Avec ses enfants César et Lucrèce, il forme une hydre à trois têtes qui va être accusée des pires turpitudes. Sa mort scellera le début de la fin pour les Borgia.

Très tôt distingué par son oncle Calixte III, Rodrigo Borgia s’impose comme le plus prometteur de ses neveux. C’est lui qui est choisi pour être vice-chancelier, le poste le plus prestigieu­x – et l’un des plus stratégiqu­es – du Vatican. « C’est à la chanceller­ie que sont attribués tous les bénéfices relevant de l’autorité pontifical­e, confirme le biographe Jean-Yves Boriaud. C’est donc le coeur de toutes les intrigues. Il y acquiert une excellente connaissan­ce des réseaux, des personnes, des cardinaux, abbés… ainsi qu’une maîtrise des rouages de l’Église extrêmemen­t utile par la suite. » Ses contempora­ins soulignent sa beauté, son charisme, son intelligen­ce, son amabilité. Il aime les mondanités, c’est un hôte ou un convive charmant. « C’est un excellent juriste, comme Calixte III, un homme qui a de l’ambition pour l’Église, sa famille et lui-même. Il est avide de plaisirs, d’argent et d’honneurs. Et sincèremen­t très amoureux des femmes. Sans être un débauché, sa vie privée défraie la chronique et lui porte préjudice. »

Une vie amoureuse passionnée

Rodrigo Borgia reconnaît d’abord, vers 1458, un premier enfant, Pedro Luis, légitimé par le pape Sixte IV, en 1481. Envoyé au service de Ferdinand II d’Aragon, Pedro Luis y combat avec une telle bravoure qu’il est fait grand d’Espagne. Sa famille lui achète alors le titre de premier duc de Gandie. Un mariage prestigieu­x, avec Maria Enriquez de Luna, cousine du roi, conforte cette belle destinée, malheureus­ement stoppée net par le décès du jeune homme en 1491… Le cardinal Borgia a d’autres enfants, de mères inconnues, avant de mener une vie amoureuse plus rangée auprès de Vannozza Cattanei, belle femme blonde qui lui donne ses plus célèbres enfants : Giovanni (Juan), César, Lucrèce et Joffré. Même lorsque leur liaison prend fin, Borgia continue de veiller sur Vannozza, la mariant plusieurs fois à des obligés et lui assurant de confortabl­es revenus. Il tombe ensuite passionném­ent amoureux de Giulia Farnèse, qu’il marie à Orsino Orsini. Issue d’une très noble famille, Giulia a 43 ans de moins que lui et leur liaison est publique. Il n’est pas le premier cardinal à avoir des maîtresses ou des enfants. Néanmoins, Pie II le rappellera à l’ordre. En vain.

Faiseur de papes

Ses années en tant que vice-chancelier de son oncle le pape Calixte III ont permis au cardinal Borgia d’acquérir une connaissan­ce précieuse de l’Église et de ses représenta­nts, comme le détaille Jean-Yves Boriaud : « Il sait comment fonctionne­nt les réseaux en place, même s’il n’a pas le sien propre. Il joue des rapports de force entre les différents acteurs, connaît les faiblesses des uns et les ambitions des autres, et sait sur qui compter.

« Alexandre VI est un excellent juriste, comme Calixte III, un homme qui a de l’ambition pour l’Église, sa famille et lui-même. Il est avide de plaisirs, d’argent et d’honneurs. Et sincèremen­t très amoureux des femmes. »

Alliés à ses talents incontesta­bles, ces atouts l’ont rendu indispensa­ble. » Ainsi, à la mort de son oncle, alors qu’il a le courage de rester à Rome, il réussit à survivre à la purge et même à être confirmé dans ses fonctions de vice-chancelier par le nouveau pape, Pie II. Lors de l’élection de ce dernier, en août 1458, le soutien du vice-chancelier, qui dispose d’une certaine autorité morale, a un rôle non négligeabl­e. En 1464, il soutient Pietro Barbo, allié fidèle des Borgia, qui est élu sans difficulté, devenant Paul II. Au conclave suivant, en 1471, son engagement en faveur de Francisco Della Rovere – Sixte IV – est encore une fois capital et il en est généreusem­ent récompensé. Lors de l’élection d’Innocent VIII, en 1484, le vote de Borgia est moins déterminan­t, même s’il se range derrière le bon candidat, Giovanni Battista Cibo: Innocent VIII. Durant tous ces pontificat­s, le cardinal mène sa barque, jouant même les diplomates avec succès, notamment auprès des cours d’Aragon et de Castille qu’il contribue à rapprocher. Il n’y a guère que sous Innocent VIII, à l’occasion de la première guerre d’Italie, que les relations se tendent. En effet, le soutien du cardinal à l’alliance espagnole et napolitain­e s’oppose à celle que défendent le clan Della Rovere et la France. Plus hostile à Naples qu’à l’Espagne, Innocent VIII consacre Ferdinand et Isabelle de Castille « rois catholique­s », à la grande satisfacti­on de Borgia. Un luxe digne d’un prince Sous le pontificat de Calixte III, et les suivants, le cardinal Borgia accumule les bénéfices et s’enrichit considérab­lement. Il dispose, au fil du temps, des revenus de villes (Nepi par exemple), d’abbayes et d’évêchés en Catalogne, à Erlau (Hongrie), ainsi qu’à Subiaco (banlieue de Rome), l’une des plus lucratives. Pour faire jeu égal avec les grandes familles, il se dote d’un palazzo, qui devient la chanceller­ie du Vatican, et d’une résidence d’agrément. Un luxe digne d’un prince. Si sa fortune est l’une des plus importante­s de Rome, elle n’est pas exceptionn­elle. Les Borgia n’ont rien inventé. Les papes successifs font cardinaux leurs

Le roi de France Charles VIII décide de fondre sur l’Italie. Ses vues sur Naples sont aiguillonn­ées par Della Rovere, qui aimerait, du même coup, destituer Alexandre VI.

neveux, leurs obligés. Ces charges sont autant de revenus pour leur clan. Ces manoeuvres créent une ambiance délétère à Rome. À l’approche de chaque conclave, on frise la guerre civile.

1492 ou l’année du triomphe

Les derniers mois du règne d’Innocent IV sont marqués par la maladie de celui-ci et la rivalité entre les cardinaux Della Rovere et Borgia. Après la mort du pape en juillet 1492, le nouveau conclave s’ouvre avec deux favoris, Giuliano Della Rovere, soutenu par la France, et Ascanio Sforza. Contre toute attente, et parce qu’il avait les fonds pour acheter les voix nécessaire­s, c’est le cardinal Borgia, 61 ans, qui s’impose finalement, à la grande fureur de Della Rovere. Frustré d’être battu, scandalisé par cette élection entachée de corruption, il n’aura de cesse de poursuivre le nouveau pape, Alexandre VI, de sa vindicte, tentant par tous les moyens de le faire déposer.

L’assaut français

En 1494, le roi de France Charles VIII décide de fondre sur l’Italie. Ses vues sur Naples (en tant qu’héritier de la maison d’Anjou) sont aiguillonn­ées par Della Rovere qui aimerait, du même coup, destituer Alexandre VI. Lâché par les Colonna, par les Sforza, par les Médicis et Florence – qui achètent la paix avec la France par le biais de Jérôme Savonarole –, par Venise et par les autres puissances étrangères, le pape est contraint de négocier et de donner les clés de Rome à Charles VIII, qui y fait une entrée triomphale, fin décembre. Le roi se soumet à Alexandre VI en échange d’otages (dont César Borgia qui s’échappera), d’une place forte et du droit de traverser les États pontificau­x. Les Français, qui pillent tout sur leur passage, repartent ensuite vers Naples, qu’ils conquièren­t en février 1495. Soucieux de reprendre la main, Alexandre VI réussit à rallier la

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 ??  ?? Au premier plan, le pape Alexandre VI, détail de La Madonna dei Raccomanda­ti (xvie siècle), de Cola da Orte et Giovanni Antonio da Roma.
Au premier plan, le pape Alexandre VI, détail de La Madonna dei Raccomanda­ti (xvie siècle), de Cola da Orte et Giovanni Antonio da Roma.
 ??  ?? La Dame à la licorne (1505), de Raphaël. Un portrait de Giula Farnèse qui souligne sa beauté… tout en affirmant sa pureté : la licorne, en effet, est un symbole de chasteté.
La Dame à la licorne (1505), de Raphaël. Un portrait de Giula Farnèse qui souligne sa beauté… tout en affirmant sa pureté : la licorne, en effet, est un symbole de chasteté.
 ??  ?? La ville historique de Subiaco, bourgade de la banlieue romaine. Sur la colline, l’abbayefort­eresse.
La ville historique de Subiaco, bourgade de la banlieue romaine. Sur la colline, l’abbayefort­eresse.
 ??  ?? 12 mai 1495 – L’Entrée de Charles VIII à Naples (1837), d’ÉloiFirmin Féron. Le souverain de France a pris la succession de Ferrante d’Aragon, à la tête du royaume de Naples.
Charles VIII
(xvie siècle), de Cristoforo Fiorentino.
12 mai 1495 – L’Entrée de Charles VIII à Naples (1837), d’ÉloiFirmin Féron. Le souverain de France a pris la succession de Ferrante d’Aragon, à la tête du royaume de Naples. Charles VIII (xvie siècle), de Cristoforo Fiorentino.
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