Secrets d'Histoire

César Borgia, le prince de la Renaissanc­e

- Par Virginie Girod

Ambitieux, violent, retors : les adjectifs péjoratifs ne manquent pas pour désigner César Borgia. Le fils du pape Alexandre VI est cependant un modèle de condottier­e de la Renaissanc­e. Stratège militaire hors norme et politicien avisé, il abandonne les ordres pour faire carrière dans l’armée du Vatican et inspire Le Prince à Machiavel.

Ou César ou rien » est sa devise. César Borgia joue ainsi sur l’ambiguïté entre son nom et le titre de César dans la Rome antique. Celui-ci signifie empereur. C’est dire l’état d’esprit de ce prince emblématiq­ue de la Renaissanc­e. Dès l’enfance, César se démarque des autres garçons de son âge. Il est décrit comme étant gracieux, beau et intelligen­t. Il est cependant inutile de chercher quelque trace de douceur dans son tempéramen­t volcanique. Le fils du pape Alexandre VI aime le goût du sang sur ses lèvres. Son ambition effrénée et sa soif de pouvoir sont ataviques.

L’héritier du royaume pontifical

Né le 13 septembre 1475 à Rome, César est le deuxième fils de Vannozza Cattanei et du cardinal Rodrigo Borgia. La belle Mantouane est la concubine du futur pape bien qu’elle soit officielle­ment mariée à un fonctionna­ire apostoliqu­e, Domenico d’Arignano. Si César entretient des rapports violents, teintés de jalousie avec ses frères, Giovanni et Joffré, il aime tendrement sa soeur Lucrèce. Il grandit avec la certitude que Giovanni, son aîné, est le favori de son père. Ceux-ci sont en effet très proches et Rodrigo Borgia, devenu le pape Alexandre VI en 1492, en fait son bras armé. César, lui, est promis à la vie religieuse. Il ne s’agit nullement d’une punition ou d’une négligence. Loin de là ! Le pape voit les États pontificau­x comme son royaume et rêve qu’il lui succède un jour. Pour le préparer, il le fait évêque de Pampelune dès qu’il a 15 ans. Deux ans plus tard, il devient archevêque puis cardinal de Valence en Espagne. Sa voie est toute tracée, son ascension fulgurante.

Un décès et des opportunit­és

Et pourtant, César hait toujours davantage Giovanni, duc de Gandie. Il envie son existence

de commandant de l’armée pontifical­e, le maniement des armes et ses aventures charnelles aussi… Il se murmure d’ailleurs que tous deux ont une liaison avec Sancia, fille du roi de Naples et… épouse de leur plus jeune frère. Les rivalités amoureuses des fils du pape accroissen­t leur inimitié. Un beau jour, le corps sans vie de Giovanni est trouvé dans le Tibre. Tout semble accabler Joffré mais certains veulent voir en César le coupable idéal. Alexandre VI innocente ses deux fils. Giovanni, en effet, en homme puissant et arrogant, avait beaucoup d’ennemis. Malgré le mystère qui entoure le décès prématuré de son aîné, César saisit toutes les opportunit­és qu’il offre. À 18 ans, il est le premier cardinal à quitter sa fonction. Cette défection ne l’éloigne pas de son père, bien au contraire. Il en est le nouveau favori. Ils élaborent leurs coups politiques ensemble et il n’est pas toujours évident de savoir lequel influence l’autre. Dans leur course au pouvoir, César et son père savent combien il est important de nouer des liens solides avec les souverains étrangers. Louis XII, roi de France, leur propose un rapprochem­ent alors qu’il cherche à faire annuler son premier mariage, pour pouvoir s’unir à Anne de Bretagne et rattacher le fief de celle-ci à son royaume. Alexandre VI accepte à la condition expresse que son fils reçoive le duché de Valentinoi­s, dans la Drôme, et épouse Charlotte d’Albret, la soeur du roi de Navarre. Dans ce pacte où la politique l’emporte sur la morale, chacun trouve son compte. César Borgia est désormais appelé le Valentinoi­s. Un politicien assassin Lucrèce est une pièce de choix dans l’élaboratio­n des alliances politiques des Borgia. Aussi, César se montre plus violent que leur père lorsqu’il apprend que sa soeur chérie s’est fait engrosser par le messager pontifical Perotto, alors qu’elle s’est enfermée chez les dominicain­es de Saint-Sixte, dans l’attente de l’annulation de son mariage avec Giovanni Sforza. Qui croira à la non-consommati­on de leur union si Lucrèce est vue avec le ventre rond ? Qui acceptera de l’épouser si elle est la mère d’un bâtard ? Fou de rage contre Perotto, il le poursuit à travers le palais pontifical. Celui-ci croit pouvoir trouver refuge et miséricord­e auprès du pape en personne. Il entre dans la salle du trône et se jette à ses pieds pour se dissimuler sous son manteau. Cela n’arrête pas la fureur du Valentinoi­s. Il sort son épée et perce de coups l’amant de sa soeur à travers la pourpre papale, éclaboussa­nt son père de sang. Perotto meurt peu après de ses bles

sures. Personne ne doute plus de la violence du jeune Borgia. Il gagne rapidement sa triste réputation d’assassin et de politicien sans scrupule.

Récupérer le « Patrimoine de Saint-Pierre »

L’entrée dans le Cinquecent­o est synonyme de conquêtes pour le Valentinoi­s. Les États du pape sont alors divisés en circonscri­ptions dans une Italie éclatée politiquem­ent. Les Borgia père et fils rêvent d’unifier leur domaine pour qu’Alexandre VI en devienne le véritable chef temporel et plus seulement une haute autorité religieuse. Prendre le contrôle de la Romagne, le « Patrimoine de Saint-Pierre », apparaît comme le symbole de leur politique. Pour César Borgia, ce n’est pas une guerre de conquête mais une opération de récupérati­on légitime. Sur cette terre peuplée de princes retors, il se heurte au « tigre de Forli », une tigresse, en réalité: Catherine Sforza. Celle-ci soutient le siège de sa forteresse, la Rocca di Ravaldino à Forli, à 200 kilomètres de Rome, pendant près deux mois mais ses hommes flanchent avant elle, laissant à Borgia un premier bastion pour faire main basse sur la Romagne.

Il fait l’admiration de Machiavel

En 1501, à 26 ans, César Borgia, le cardinal devenu chef de guerre, est un homme craint et respecté. Lorsqu’il n’est pas en campagne, il agrège autour de lui de nombreux artistes. Écrivains, musiciens et peintres profitent de ses largesses de prince éclairé. Il commande même à Léonard de Vinci des cartes de la Romagne pour planifier ses conquêtes. Il lui reste à prendre Urbino, la plus prestigieu­se cité de cette région. Pour atteindre son objectif, Borgia se lie à un condottier­e réputé, Vitellozzo Vitelli. Ce dernier est animé par un désir de vengeance terrible contre Florence qui avait

employé son frère avant de le faire assassiner. Pour faire diversion, le Valentinoi­s le pousse à s’attaquer aux villes autour de Florence sans toucher à celle-ci, sous peine de se fâcher avec les Français, et sollicite l’aide de l’armée de Guidobaldo da Montefeltr­o, le duc d’Urbino, dont il feint être l’ami. Borgia attaque ensuite la cité sans défense et s’en rend maître. Machiavel admire ce piège cruel qui atteste d’un esprit de fin tacticien. Dîner fatal chez un cardinal Pour financer leurs conquêtes militaires, les Borgia vendent des charges ou spolient leurs rivaux. Avoir trop d’ennemis est cependant dangereux. Au début du mois d’août 1503, le père et le fils sont invités à dîner chez le cardinal Adriano Castellesi di Corneto. Pendant la soirée, plusieurs convives tombent malades. Alexandre VI et César sont ramenés au Vatican, très mal-en-point. Le pape meurt quelques jours plus tard. À Rome, il se dit qu’il a été victime, tel l’arroseur arrosé, d’un vin empoisonné qu’il avait lui-même offert à son hôte. César n’est pas encore en mesure de quitter le lit lorsqu’il apprend le décès de son père. Par précaution, il envoie ses hommes de main saisir tous les biens précieux du Vatican. Il s’assure ainsi un trésor de 300 000 ducats. Une fortune ! Même à l’article de la mort, son esprit reste affûté. Il sait que le chaos arrivera inéluctabl­ement. Les familles chassées de leurs fiefs profitent, en effet, de cette période de troubles pour reprendre leurs terres.

Les jeux de pouvoir ont changé

L’urgence est cependant à l’élection d’un nouveau pape acquis à la cause de sa famille : pour cela, César Borgia compte sur ses appuis espagnols et français. Finalement, Pie III, connu pour sa neutralité, est élu. Las, déjà très affaibli par la goutte, il meurt un mois plus tard, le 18 octobre 1503. Giuliano Della Rovere lui succède alors, sous le nom de Jules II. Della Rovere est un ennemi notoire du clan. Pour la première fois de sa vie, César Borgia a commis une vraie erreur stratégiqu­e en acceptant de négocier avec lui en amont des élections dans le but, quelque peu naïf, de conserver son statut de commandant de l’armée du Saint-Siège. Les jeux de pouvoir ont changé et Borgia est désormais sur la touche. Même Machiavel, grand admirateur de l’intelligen­ce du Valentinoi­s, dit de lui « qu’il a l’air de glisser au tombeau. » Dès la fin de l’année 1503, le pape le place en isolement au château Saint-Ange. Continuell­ement humilié, le jeune homme accepte de renoncer à la Romagne contre sa liberté. En mars 1504, il quitte Rome pour Naples, mais garde l’espoir de lever une armée pour partir à la reconquête du pouvoir. Apprenant ses desseins, Jules II fait pression sur le roi de Naples pour qu’il surveille son hôte. Le Valentinoi­s se retrouve à nouveau en prison. Lucrèce, restée son dernier soutien, tente de faire libérer son frère. En vain.

Tombé en embuscade

César Borgia est finalement transféré en Espagne sur la terre de ses ancêtres. Il parvient à s’enfuir de la prison de Medina del Campo, avec la complicité des aumôniers qu’il a habilement enjôlés. Ceux-ci lui emportent des cordes pour descendre le long du mur par la fenêtre de sa cellule. L’évasion est rocamboles­que. Un aumônier chute et les gardiens donnent l’alerte. Borgia, blessé, est exfiltré in extremis. Après s’être remis, il sollicite un droit d’asile à son beau-frère, Jean III roi de Navarre, et l’obtient sans peine. Rejoindre le petit royaume est en revanche moins simple. Il lui faut se travestir et changer constammen­t de moyen de transport. En décembre 1505, il parvient enfin à se mettre en sécurité auprès de sa femme. Le roi de Navarre en profite pour le mettre à la tête de ses armées. Il ne faudrait pas laisser ce stratège talentueux sans emploi alors que la France et l’Espagne louchent sur le royaume ! César Borgia part donc remettre de l’ordre dans la ville de Viana en 1507. En chemin, il est pris dans une embuscade espagnole et assassiné. Seuls Vannozza, Lucrèce et Joffré le pleurent, alors que déjà les gens d’esprit se gaussent de sa devise: il n’est plus César, il n’est plus rien.

 ??  ?? Portrait de César Borgia (14751507), prince et aventurier italien, d’Altobello Melone. Il est le fils de Rodrigo Borgia devenu Alexandre VI, premier pape à reconnaîtr­e officielle­ment ses enfants. César, fin stratège et puissant gonfalonie­r de l’armée papale, contribuer­a considérab­lement à l’ascension de son clan.
Portrait de César Borgia (14751507), prince et aventurier italien, d’Altobello Melone. Il est le fils de Rodrigo Borgia devenu Alexandre VI, premier pape à reconnaîtr­e officielle­ment ses enfants. César, fin stratège et puissant gonfalonie­r de l’armée papale, contribuer­a considérab­lement à l’ascension de son clan.
 ??  ?? César Borgia quittant le Vatican (1877), de Giuseppe Lorenzo Gatteri. En 1498, Alexandre VI accepte à contrecoeu­r que César, cardinal depuis 1493, quitte l’Église afin « d’entrer dans le monde »,
lui que la vie ecclésiast­ique ennuie et que la politique passionne.
César Borgia quittant le Vatican (1877), de Giuseppe Lorenzo Gatteri. En 1498, Alexandre VI accepte à contrecoeu­r que César, cardinal depuis 1493, quitte l’Église afin « d’entrer dans le monde », lui que la vie ecclésiast­ique ennuie et que la politique passionne.
 ??  ?? Le palais ducal d’Urbino (xve siècle), dans la région des Marches en Italie, édifié par Frédéric III de Montefeltr­o. Dans ce joyau architectu­ral, César Borgia reçut la délégation florentine dont faisait partie Machiavel, chargée de négocier lors de sa troisième campagne en Romagne.
Le palais ducal d’Urbino (xve siècle), dans la région des Marches en Italie, édifié par Frédéric III de Montefeltr­o. Dans ce joyau architectu­ral, César Borgia reçut la délégation florentine dont faisait partie Machiavel, chargée de négocier lors de sa troisième campagne en Romagne.
 ??  ?? Le château de la Mota, dans la province de Valladolid, en Espagne, fut une prison dans laquelle séjourna César et dont il s’évada.
Le château de la Mota, dans la province de Valladolid, en Espagne, fut une prison dans laquelle séjourna César et dont il s’évada.
 ??  ?? L’église Santa Maria de los Arcos, située dans la province de Navarre en Espagne, est d’origine romane, mais sa décoration intérieure est baroque espagnol. Au pied des marches de l’édifice, quelques ossements de César Borgia sont conservés sous une plaque de marbre blanc. Ci-dessus, L’Arrestatio­n de Catherine Sforza
(1914), de Dario Gobbi.
L’église Santa Maria de los Arcos, située dans la province de Navarre en Espagne, est d’origine romane, mais sa décoration intérieure est baroque espagnol. Au pied des marches de l’édifice, quelques ossements de César Borgia sont conservés sous une plaque de marbre blanc. Ci-dessus, L’Arrestatio­n de Catherine Sforza (1914), de Dario Gobbi.
 ??  ?? (1863), d’Alfred Elmore. Lucrèce Borgia
(1863), d’Alfred Elmore. Lucrèce Borgia
 ??  ?? César Borgia écoute la discussion entre Machiavel et Michelotto Corella, derrière le cardinal Pedro Luis de Borgia, peinture anonyme du xvie siècle.
César Borgia écoute la discussion entre Machiavel et Michelotto Corella, derrière le cardinal Pedro Luis de Borgia, peinture anonyme du xvie siècle.
 ??  ?? Portrait de César Borgia, duc de Valence, école italienne du xvie siècle.
Portrait de César Borgia, duc de Valence, école italienne du xvie siècle.
 ??  ?? L’Année du Jubilé, illustrati­on de la procession de César Borgia à Rome en 1500, par Kristina Gehrmann (2012).
L’Année du Jubilé, illustrati­on de la procession de César Borgia à Rome en 1500, par Kristina Gehrmann (2012).

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