Un mariage malheureux et des succès guerriers
Où il est question de marier un prince. Avec qui ? Et pourquoi ? Le destin de Philippe, duc d’Orléans, est en marche. Rien ne va pouvoir arrêter la formidable machine du pouvoir et le jeu des ambitions…
La rumeur, inouïe, enfle, passe de salon en antichambre, frémit, rebondit sur les miroirs de la galerie des Glaces, irise l’eau du bassin d’Apollon. Louis XIV songerait à marier son neveu Philippe, fils de Monsieur son frère unique. Dans l’ombre, une femme, toutepuissante, s’agite. Madame de Maintenon, la favorite en titre – qui sera bientôt l’épouse secrète et morganatique du roi de France –, a un projet caché sous son éventail.
Une catastrophe annoncée
Madame de Maintenon, si dévouée, a tout donné aux bâtards du Soleil, s'est occupée comme d'une mère des enfants que le souverain a eus avec La Montespan. Aujourd'hui, elle souhaite les voir s’élever jusqu’au firmament de cet Olympe que sont devenus la Cour et l’État français. Deux jeunes princes sont ainsi dans le viseur de la veuve Scarron : Mademoiselle de Blois, Françoise-Marie de Bourbon, et le duc du Maine. Elle les destine respectivement à Philippe et à sa soeur ÉlisabethCharlotte. Ce qui revient à planifier une catastrophe absolue pour la mère des deux derniers, la princesse Palatine. Qui ne décolère pas. Elle n’a pour La Maintenon qu’un absolu mépris, maugréant contre cette courtisane férue de religion, indigne selon elle de son royal beau-frère, qui ose se mêler de politique et désormais d’unions matrimoniales. Elle trempe sa plume rageuse dans l’encre et écrit à sa tante, la duchesse de Hanovre: « On m’a dit, en confidence, les vraies raisons pour lesquelles le roi traite si bien le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat. C’est parce qu’ils ont promis d’amener Monsieur à le prier très humblement de vouloir bien marier les enfants de La Montespan avec les miens, à savoir ma fille avec ce boiteux de duc
du Maine, et mon fils avec Mademoiselle de Blois. » Pourquoi « prier » Effiat et Lorraine ? Parce qu’ils sont les proches et tendres amis de Monsieur. De plus, le chevalier de Lorraine, le plus bel homme de la Cour, a été exilé quelques mois plus tôt par le roi en personne. Monsieur a pleuré, supplié qu’on lui rende le cher Lorraine! Louis XIV adore son frère, mais il n’a pas cédé. Mais là, peut-être que…
La princesse FrançoiseMarie de Bourbon, une fiancée capricieuse
Lorraine, égal à luimême, fieffée crapule, accepte de convaincre son princier amant à la condition de figurer dans la prochaine promotion de… l’ordre du SaintEsprit ! La marquise de Maintenon a dans son jeu l’abbé Dubois, précepteur dévoré d’ambition de l’aîné des Orléans, qui voit là de quoi asseoir définitivement sa fortune. Savamment, il distille dans l’oreille de son disciple les trésors de bienfaits à obtenir d’un semblable consentement. Mais l’élève renâcle. À près de 18 ans, un brin empoté, d’un solide embonpoint, il observe d’un oeil ennuyé sa promise, petite princesse capricieuse, timide, réfugiée sans cesse sous les jupes de sa gouvernante. L’abbé lui rétorque qu’il fera ainsi immensément plaisir au roi, que l’honneur est grand. Réaction toujours aussi butée. Dubois emploie alors d’autres arguments. Il fait comprendre à celui qui rêve de s’illustrer sur les champs de bataille, que le brevet d’officier a un prix et que ce prix passe par l’autel. Et qu'on ne discute pas les ordres du Soleil. Reste à convaincre la mère. Autre affaire.
Marié à Madame Lucifer
C’est Monsieur qui se charge de la princesse Palatine. Il lui déclare tout de go: « Madame, j’ai une commission de la part du roi qui ne vous sera pas trop agréable et vous devez lui rendre réponse ce soir vous-même ; c’est que le roi vous mande que, lui et moi et mon fils étant d’accord du mariage de Mademoiselle de Blois avec mon fils, vous ne serez pas la seule qui vous y opposerez. » La Cour retient son souffle. Le soir, vers les 20 heures, la princesse paraît devant le roi. Qui, fort charmant, lui demande quelle décision elle a prise. Exaspérée, lui tournant presque le dos, elle répond d’un ton cassant que, lorsque le roi et son mari lui parlent ainsi en maîtres, elle n’a qu’à s’incliner. Louis XIV sourit mais, prudent, n’ajoute pas un mot. Le 17 février 1692, les fiancés sont bénis par
le grand aumônier de France. Pensions formidables, cadeaux somptuaires, diamants par centaines pleuvent sur le jeune couple. Le lendemain, le mariage est célébré avec un faste inouï; il y a grands soupers et concerts, feu d’artifice. La princesse Palatine va vite se consoler: quelques semaines plus tard, le duc du Maine épouse, non sa fille comme prévu, mais l’une des petites-filles du grand Condé, Anne-Louise de Bourbon. Ce mariage, on s’en doute un peu, sera une tragédie. Certes, huit enfants naîtront; mais rien ne pourra réellement rapprocher deux êtres si dissemblables. Le surnom que Philippe donne à son épouse est, à ce titre, évocateur : Madame Lucifer… Un prince courageux et audacieux à la guerre À présent qu’il est marié, Philippe attend que son royal oncle tienne sa promesse: lui concéder la responsabilité d’un régiment. Louis XIV n’a qu’une parole. Mars succède à Vénus. La guerre, affaire formidable du siècle, oppose les Français aux armées de Guillaume III, prince d’Orange puis roi d’Angleterre. Philippe rejoint les troupes du maréchal de Luxembourg et, le 5 juin 1692, marche vers Namur. Une fois la ville prise, seconde bataille, celle de Steenkerque, dans l’armée française, les princes prennent une place formidable. On voit là Philippe, le prince de Conti, le duc de Bourbon, les princes de Vendôme. Quand, par une manoeuvre redoutable du prince d’Orange, tout semble perdu, le vieux maréchal de Luxembourg, gardant son sang-froid, organise la victoire. Tous remarquent combien le neveu de Louis XIV a montré de courage et d’audace, chargeant à la tête de ses hommes, n’épargnant aucunement sa peine, continuant à s’élancer sous la mitraille, malgré les remarques de son gouverneur et une blessure au bras. De retour à Paris, salué pour sa bravoure, il retrouve famille, amis et épouse. Nouvelles scènes de ménage, fréquentations assidues des maisons closes et des filles d’Opéra. Mais l’action militaire lui manque!
Le duc d'Orléans est mort, vive le duc d'Orléans !
L’année suivante, la campagne de Flandres l’appelle encore sous les drapeaux. Recevant le commandement de la cavalerie, il réalise de nouvelles prouesses, refusant de suivre les conseils de prudence. À Versailles, fusent les comparaisons avec le Grand Condé. Elles irritent Louis XIV, toujours jaloux des excès de popularité. De guerre lasse, celui-ci rappelle l'ensemble des princes. Philippe doit se rendre à la réalité. Rien ne lui est donc acquis et le roi préfère toujours les fils et les filles de son sang, même s’ils avèrent être bâtards. En outre, son comportement libertin exaspère: il tombe en disgrâce. La chose semble entendue en avril 1701: d’un seul trait de plume, le souverain décide des commandements de l’armée. Il octroie à ses fils, le duc de Maine et le comte de Toulouse, la lieutenance générale en Flandres. Son neveu ? Il ne part pas. Au désespoir, celui-ci songe à gagner l’Espagne, revendiquer on ne sait quelle chimère auprès de Philippe V. Louis XIV, choqué, reproche à son frère son manque d’autorité. Pour la première fois de sa vie, Monsieur ose répliquer, que son fils passe après les bâtards et qu’il est insupportable de voir son frère lui reprocher ses débordements privés, quand on sait les siens! Puis outré, il part s’enfermer à Saint-Cloud. Le 8 juin, il est à Marly. Nouvelle algarade entre les deux frères. Violente. Le soir, lors du souper, Monsieur s’effondre. Crise d’apoplexie. Le roi pleure amèrement ce frère aimé, s’estimant, non sans raison, responsable de sa disparition, le 9 juin 1701. Le duc d’Orléans est mort. La Cour salue le nouveau duc d’Orléans.