Secrets d'Histoire

Le prince couronné

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Lorsque l'homme d’État Philippe d'Orléans se met au travail, c'est au service d'une vision du pouvoir résolument moderne et centrée sur l’avenir. En perpétuell­e opposition avec l’ancienne Cour. En somme, la querelle des anciens et des modernes appliquée à la gouvernanc­e. Le 9 avril 1711. En ce matin de printemps, Louis de France, Monseigneu­r, s’est levé fatigué. Comme il fait un malaise sur sa chaise percée, il annule la chasse au loup prévue, se recouche, reçoit ses médecins puis son père, de retour de la messe. Le lendemain, c’est pire. Des taches rouges ponctuent son visage cireux : il faut se rendre à l’évidence, le Grand Dauphin se meurt. Il va laisser le roi bouleversé… Le 5 février 1712, en soirée. Marie-Adélaïde de Savoie, Madame la Dauphine, est prise d’une forte fièvre. Les jours passent, sans améliorati­on. Son époux ne quitte plus son chevet. Quand on lui souffle à l’oreille qu’il serait bon de voir un prêtre, la malheureus­e s’affole. Son état est-il si désespéré? On l’entend murmurer, entre deux râles: « Aujourd’hui, princesse. Demain, rien. Dans deux jours, oubliée. »

La Cour se revêt de noir

Le soir du 12 février 1712, en effet, MarieAdéla­ïde de Savoie, 26 ans, rend l'âme. Le lendemain, le Dauphin, son époux, sent une immense fatigue le terrasser, tandis que des taches livides apparaisse­nt sur son visage. Il déclare qu’un feu abominable le dévore de l’intérieur. La mort survient le 18 février. Il n'avait pas encore 30 ans. Sans preuve, on parle, tel Saint-Simon, de poison. Louis XIV, voyant s’éteindre sa dynastie, ne cache plus ses larmes. Il y a encore un coup atroce. Le 27 février, le petit duc de Bretagne, 5 ans, arrièrepet­it-fils du Roi-Soleil, est secoué de fièvres. Épuisé par ses médecins qui préconisen­t des saignées, il expire. Madame de Vendatour, la gouvernant­e des enfants royaux, leur arrache des mains son frère, le petit duc d’Anjou. En le tenant simplement au chaud, elle lui sauve la vie. Louis XIV n’a plus de larmes. La Cour se revêt de noir.

Les dernières volontés de Louis XIV piétinées

Soupçonneu­se, la Cour commence à lorgner vers Philippe d’Orléans. On connaît la dissolutio­n de ses moeurs, son goût pour la chimie, ses incantatio­ns faites à Satan. Tout le désigne coupable. Pourtant, selon l’ordre de primogénit­ure, c’est à Charles de France, duc de Berry, troisième petit-fils du Roi-Soleil, qu’incombe la responsabi­lité de régner un jour. La Palatine avait baptisé ce prince affable qui se trouve aussi être son gendre, Berry-Bon-Coeur. Sans grande intelligen­ce, il est victime d’un accident de chasse. Il meurt à 27 ans, tandis que son épouse accouche d’une fille qui décède le lendemain de sa naissance. Ne reste plus sur l’échiquier monarchiqu­e qu’un garçonnet de 4 ans, le duc d’Anjou. Louis XIV doit se rendre à l’évidence. Son neveu est parti pour devenir régent. Il rédige son testament. Enfin, à son tour, le 1er septembre 1715, le roi disparaît. Le lendemain, est lu le précieux document, dans lequel le souverain s’efforce de limiter l’influence de Philippe d’Orléans, en offrant le réel pouvoir au duc du Maine: Louis-Auguste de Bourbon, le fils que lui a donné La Montespan, est proclamé seul régent du royaume, adossé à l’armée. Outré de voir un bâtard dépasser en puissance ce qui lui revient de droit par sa naissance, Philippe d’Orléans n’hésite pas, avec l’appui du Parlement, à faire casser le testament, piétinant les dernières volontés royales. En contrepart­ie, il redonne à l’assemblée le fameux « droit de remontranc­e », dont la monarchie subira les conséquenc­es jusqu’à la fin de l’Ancien régime.

L’heure de l’oisiveté courtisane a sonné

Dès lors, Philippe d’Orléans se met au travail. Dans ses bureaux installés au Palais royal, le régent s’entoure de l’irremplaça­ble SaintSimon, des ducs de Beauvillie­rs, de Luynes et de Chaulnes. L’abbé Dubois, le fidèle précepteur, s’empare de la charge de Principal ministre où il révèle un vrai talent de diplomate, se rapprochan­t de l’Angleterre honnie. Ce prêtre de salon, fin économiste, qui ne croit ni à Dieu ni à diable, obtient du pape Innocent XIII la pourpre cardinalic­e. En comptant les écrivassie­rs, faiseurs de libelles et femmes du monde tenant salon, toute l’opposition à la vieille Cour se trouve réunie là. À tous, le régent multiplie les promesses, intenables, se moquant des préséances anciennes et, dans le même temps, fort à cheval sur la naissance et les titres, promouvant une aristocrat­ie sans trop de taches et disposée à l’aider dans sa gouvernanc­e. L’heure de l’oisiveté courtisane a sonné. Il aime, par-dessus tout, l’intelligen­ce. Télémaque et Les Tables de Chaulnes, de Fénelon, sans oublier son Examen de conscience d’un roi, ou les textes rédigés par Pierre Le Pesant de Boisguilbe­rt, Détail de la France et Factum au roi, ainsi que le projet d’une dîme royale élaboré par Vauban, deviennent des prototypes de la réforme politique du Grand Siècle moribond. Un mouvement d’idées, ironie de l'Histoire, que ne renieront pas les physiocrat­es et les Révolution­naires.

La princesse Palatine croque ainsi Madame de Parabère, favorite de son fils, le régent: « Le petit corbeau noir n’est pas désagréabl­e, mais elle passe pour une sotte. Elle est capable de beaucoup manger et boire, et de débiter des étourderie­s ; cela divertit mon fils. (…) Mon fils dit qu’il s’était attaché à La Parabère, parce qu’elle ne songe à rien, si ce n’est de se divertir et qu’elle ne se mêle d’aucune affaire. »

 ??  ?? Vue du château de Chambord, du côté du parc (1722), de PierreDeni­s Martin. Au premier plan : Philippe, duc d'Orléans, donne ses ordres pour la chasse.
Vue du château de Chambord, du côté du parc (1722), de PierreDeni­s Martin. Au premier plan : Philippe, duc d'Orléans, donne ses ordres pour la chasse.
 ??  ?? (1723), de Pierre-Denis Martin. Ce fut la résidence du Grand Dauphin, fils aîné de Louis XIV. Il expira là, le 14 avril 1711.
L'hôtel de Toulouse (1640), ancienneme­nt hôtel de la Vrillière. Aménagée à partir de 1713 par le comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV, la somptueuse galerie Dorée est un modèle du « style Régence ». Placage, marqueteri­e, dorure à feuille d’or et bronzes parent toujours les lieux, siège de la Banque depuis 1811. Le château de Meudon, du côté de l'entrée
(1723), de Pierre-Denis Martin. Ce fut la résidence du Grand Dauphin, fils aîné de Louis XIV. Il expira là, le 14 avril 1711. L'hôtel de Toulouse (1640), ancienneme­nt hôtel de la Vrillière. Aménagée à partir de 1713 par le comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV, la somptueuse galerie Dorée est un modèle du « style Régence ». Placage, marqueteri­e, dorure à feuille d’or et bronzes parent toujours les lieux, siège de la Banque depuis 1811. Le château de Meudon, du côté de l'entrée
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