Secrets d'Histoire

La veuve et l’Écossais

-

À 42 ans, la reine Victoria vient de perdre l’amour de sa vie. Plus rien ne la retient sur cette terre, sinon les devoirs de sa charge qu’elle a tant de mal à accomplir seule. Elle sombre dans une profonde dépression et impose à l’Angleterre un deuil dans lequel elle semble se complaire. Jusqu’au jour où un homme qu’elle n’attendait pas, lui rend le sourire…

Le 23 décembre 1861, le cercueil du prince Albert est acheminé solennelle­ment du château de Windsor jusqu’à la chapelle Saint-Georges. Le mausolée de Frogmore, qui abrite déjà la sépulture de la duchesse de Kent, mère de la reine Victoria (disparue six mois plus tôt), n’est pas encore prêt pour l’accueillir. Quelques semaines auparavant, le couple royal avait décidé d’en faire sa dernière demeure. Il était loin d’imaginer en avoir besoin aussi vite…

Un moulage de la main d’Albert sur le bureau

Le prince de Galles et quelques têtes couronnées accompagne­nt le prince Albert dans son dernier voyage. Victoria, elle, est absente. Les médecins, en effet, lui ont interdit de s’infliger cette épreuve. Seul le laudanum lui permet de dormir un peu. Sur les conseils de son oncle Léopold Ier, elle se réfugie à Osborne sur l’île de Wight, dans la maison que le couple a aménagée à partir de 1847. Osborne était, littéralem­ent, la maison du bonheur. Entouré de ses enfants, il y a passé tous leurs étés, menant une vie paisible, bourgeoise. Désormais, c'est la maison du deuil. Là, comme dans les autres demeures royales, les appartemen­ts du prince sont mis en scène comme s’il venait de les quitter. Les serviteurs changent tous les jours le linge de toilette, apportent même de l’eau chaude pour le rasage. Sur son bureau, a été déposé un moulage de sa main et, sur son lit, sa photo. Veuve éplorée, Victoria est aussi une reine désemparée, puisqu'il lui faut désormais accomplir seule toutes les tâches incombant à son rang. Elle s’en sent incapable, accablée par le chagrin. Elle vit aussi dans la peur d’être influençab­le et de tomber sous l’emprise d’un autre John Conroy. Il n’est pas toujours facile d’être une femme au pouvoir ! Elle s’est pourtant imposé une règle de conduite, qui la protège, celle de continuer à défendre les positions de son défunt époux,

à développer ses projets. D’ailleurs, ne sent-elle pas toujours sa présence à ses côtés?

Un deuil qui s'éternise

La première réunion du Conseil privé qui suit le décès du prince Albert se tient dans d’étranges conditions. Elle a lieu à Osborne dans la chambre du défunt. Pendant la délibérati­on Victoria, en retrait, isolée dans la pièce attenante, approuve les décisions en opinant de la tête… Le deuil va s’éterniser, provoquant la désaffecti­on du peuple, qui désavoue sa reine. Un plaisantin accroche une pancarte sur les grilles de Buckingham déserté, avec la mention: « Bâtiment à vendre ». Bertie, prince de Galles et héritier du trône, n'est pas d'une grande aide pour sa mère mais, au moins, peut-elle lui déléguer les mondanités et les voyages officiels. Elle se réserve le travail de fond, celui qu'accompliss­ait son époux.

John Brown, l'ange gardien

À présent qu'elle a 45 ans, Victoria considère que son existence est terminée. John Brown, lui, est âgé de 38 ans. Et la mort du prince Albert va changer son statut. De simple domestique, il devient garde du corps, confident, ange gardien. Écossais, frustre de manières et de langage, il exerce pourtant, auprès de la reine, une influence grandissan­te. Quand elle est malade, il la soigne. Quand des importuns se présentent à sa porte, fût-il le prince de Galles, il leur en interdit l’accès, veillant à son repos. Quand un fanatique Irlandais pointe un pistolet vers sa calèche, il le désarme. La Cour, les parlementa­ires, la presse n'apprécient guère l’envahissan­t homme. Les journaux prétendent qu’il est devenu l’amant de la souveraine, qu'ils surnomment « Mrs Brown ». La rumeur parle de mariage morganatiq­ue, et même d’un enfant, né en 1868 lors d’un séjour en Suisse. Sourde à ces calomnies, Victoria ne renonce pas à son fidèle soutien. C'est la mort, seule, qui l'arrache à elle, le 27 mars 1883. « C’est la perte non pas seulement d’un serviteur, mais d’un véritable ami », écrit-elle en hommage. Fidèle jusqu’au bout, elle voudra faire publier le journal intime de cet ami. L’Église l’en dissuadera, craignant de fâcheuses révélation­s. La reine meurt le 22 janvier 1901. Dans sa tombe, elle a demandé qu’on dispose, à sa droite, un peignoir d’Albert et, dans sa main gauche, cachées par un petit bouquet de fleurs, une mèche de cheveux et une photograph­ie de John Brown. Albert et John, le prince et le serviteur, ses deux chevaliers servants pour l’éternité.

 ??  ?? Portrait de Victoria, de Bertha Müller, d'après une oeuvre d'Heinrich von Angeli réalisée en 1899. La reine est figurée en robe noire et coiffe de deuil blanche. Elle pleure son Albert adoré depuis quatre décennies. Au crépuscule de ses jours, le bilan de la vie d'une reine est aussi celui d'une femme : soixantequ­atre années de règne, un mariage, neuf enfants et… un confident, auquel elle était liée très tendrement.
Portrait de Victoria, de Bertha Müller, d'après une oeuvre d'Heinrich von Angeli réalisée en 1899. La reine est figurée en robe noire et coiffe de deuil blanche. Elle pleure son Albert adoré depuis quatre décennies. Au crépuscule de ses jours, le bilan de la vie d'une reine est aussi celui d'une femme : soixantequ­atre années de règne, un mariage, neuf enfants et… un confident, auquel elle était liée très tendrement.
 ??  ?? Osborne House, sur l'île de Wight, était la résidence d'été du couple royal. Devenue veuve, Victoria s'y rendait pour les fêtes de fin d'année. C'est dans cette chambre qu'elle s'est éteinte, le 22 janvier 1901, à 81 ans.
Osborne House, sur l'île de Wight, était la résidence d'été du couple royal. Devenue veuve, Victoria s'y rendait pour les fêtes de fin d'année. C'est dans cette chambre qu'elle s'est éteinte, le 22 janvier 1901, à 81 ans.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France