Premier prince du sang et roi de Navarre
Pendant près de dix-sept ans, de la Saint-Barthélemy au décès d’Henri III, Henri, roi de Navarre, prend habilement part aux conflits politiques et religieux qui déchirent la France. Otage des Valois, il s’impose progressivement comme le leader des catholiques et des protestants modérés alors que le destin le promeut premier prince du sang.
Le 18 août 1572, le son des cloches de Notre-Dame résonne dans les rues. Huguenots et catholiques sont venus de toutes parts assister à « l’union exécrable »: le mariage d’une fille de France avec un huguenot. Henri III de Navarre, âgé de 18 ans, épouse sur le parvis de la cathédrale – afin de ne pas participer à la messe – Marguerite de Valois. Leurs mères respectives, Catherine de Médicis et Jeanne d’Albret, ont décidé seules de cette alliance politique. Cette dernière est cependant absente. Elle est décédée deux mois auparavant de la tuberculose, léguant à son fils adoré son royaume et la tête du parti des protestants. Le mariage du Béarnais avec la princesse catholique doit devenir le symbole du vivre-ensemble pour tous les Français déchirés par trois guerres de Religion. Hélas, leurs consentements à peine échangés, les noces vermeilles commencent… Le 22 août, alors que Paris tente de dissimuler les tensions qui l’animent sous ses atours de fête, l’amiral Coligny est touché par deux tirs d’arquebuse. Le commanditaire de l’assassinat manqué de l’amiral protestant serait Catherine de Médicis en personne. Elle aurait pensé que son meurtre atténuerait le potentiel séditieux des familles réformées. Hélas, loin de les affaiblir, celles-ci trouvent en Coligny leur martyr. Face à l’échec cuisant de leur plan machiavélique, la reine et ses proches se décident à se débarrasser des huguenots les plus influents rassemblés dans la capitale en espérant qu’ils garderont pied dans ce bain de sang annoncé. Coligny, lui, amoindri par sa blessure, sera assassiné chez lui et sa dépouille livrée à la foule. Navarre et son cousin Condé demandent l’autorisation de quitter Paris. Catherine leur intime l’ordre de rester au Louvre.
Le massacre de la Saint-Barthélemy
Dans la nuit du 23 au 24 août, la curée commence alors que les horloges du Louvre sonnent 22 h 30. Menés par les Guise, les catholiques massacrent tous les huguenots sur leur passage. Les dalles du palais se couvrent de rivières pourpres. Navarre et Condé sont en sécurité dans la chambre du roi. Charles IX, en proie à d’abominables hallucinations, décide de sauver la vie de son beau-frère tout en lui racontant qu’il a lui-même ordonné le massacre en cours. Au crépuscule du 24 août, la Seine s’est parée de reflets carmin. Les 3000 cadavres des dernières 24 heures répandent une odeur de charogne dans les venelles. Dans une lettre tardive à Catherine de Médicis, Navarre racontera son désarroi lorsqu’il a découvert que Beauvois, son précepteur, a été assassiné, comme beaucoup de
ses amis. Henri aurait dû être reçu à Paris comme le frère du roi, il se découvre otage… Quelques jours plus tard, Charles IX somme Navarre de se convertir au catholicisme. Le 26 septembre suivant, le Béarnais et Condé acceptent de rentrer dans une église pour donner le change, mais aucun des deux n’abjure officiellement sa foi. Navarre a compris qu’il doit temporiser tant que sa vie est en danger sans renier pour autant ses valeurs. Soumis en apparence à sa belle-famille, il s’avère expert en dissimulation allant jusqu’à suivre son beau-frère le duc d’Anjou dans les tripots où ils taquinent les gueuses. Il s’attire aussi avec habileté l’amitié de son plus jeune beau-frère, le duc d’Alençon, faisant de Guise leur ennemi commun. Navarre, pion dans le jeu d’échecs de la Cour, est déjà le roi sans en avoir conscience. En orbitant autour d’Alençon, il espère avec sa complicité et celle de La Môle, un amant de Margot, pouvoir s’enfuir lors d’un déplacement de la Cour entre Soissons et Compiègne. Les modalités de cette fugue sont si mal ficelées que Margot, avertie par La Môle, la dénonce. Ce qui passe pour être une perfidie sauve probablement la vie de Navarre, désormais placé sous haute surveillance.
L’ascension d’Henri et le retour à la paix
La santé de Charles IX s’étiole. Catherine ambitionne d’offrir sa couronne à Henri, son fils préféré, alors même qu’il vient d’être élu roi de Pologne. Alençon intrigue en rassemblant les Malcontents catholiques et protestants afin de récupérer ce qu’il estime être son héritage. Mais ce coup de force politique s’achève aux arrêts après maintes péripéties. Navarre, son complice, survit encore à cet épisode durant lequel La Môle est exécuté au grand dam de Margot. Le 30 mai 1574, Charles IX est enfin libéré de ses souffrances. Catherine oblige Navarre, prince du sang, à rédiger une lettre lui laissant le champ libre pour exercer la régence en attendant le retour d’Henri III. Sans aucun scrupule, ce dernier abandonne ses sujets polonais au profit des Français et prend rapidement des mesures pour renforcer son pouvoir personnel. Les années 1575-1576 voient les conflits entre Henri III et son jeune frère s’envenimer. Navarre et Condé – que l’on a volontairement laissés s’échapper du Louvre – se retrouvent pris dans la querelle. Le fils de Jeanne d’Albret commence à s’imposer comme le leader des catholiques et des protestants modérés. Il met son charisme au service de la préservation du
royaume que les frères Valois et Condé sont prêts à se diviser. Sur l’échiquier politique, Navarre et Catherine sont les pièces maîtresses. La reine sait que son gendre – qu’elle estime – est le seul capable de calmer les trois autres mais la gloire en reviendra à la couronne et ce jeu de dupe lui convient. En février 1579, la paix est revenue. Si Henri III se veut le vainqueur de quatre longues années de troubles, les artisans de l’apaisement sont Catherine et Navarre. En recouvrant sa liberté, Henri a perdu de nombreux bastions protestants dans le Sud.
Un royaume catholique
La reine est une négociatrice redoutable et tel est le prix du retour à Nérac. Suivent encore cinq années de tumultes marquées par le décès de l’indomptable petit frère d’Henri III, le 10 juin 1584. Navarre, promu premier prince du sang conformément aux règles établies par la loi salique, devient l’héritier présomptif du trône de France. Il doit se convertir au catholicisme car il ne peut pas devenir le maître de la fille aînée de l’Église en étant calviniste. Il temporise et gagne l’estime de son beau-frère. Cependant, les plus fervents catholiques forment une nouvelle Ligue. En décembre 1588, Henri III se résout à faire assassiner de Guise, son chef de file, en raison de soupçons de complot. La réalité est qu’il est devenu bien trop puissant. Mais la mort du champion des catholiques rend le roi particulièrement impopulaire. Celui-ci se rapproche du Béarnais, le nouvel homme fort du royaume. Navarre continue à se montrer déférent envers son souverain et gagne ainsi sur tous les tableaux. Le 1er août 1589, coup de théâtre. Henri III est poignardé par Jacques Clément, un jeune dominicain introduit sous un prétexte fallacieux dans ses appartements. À l’article de la mort, le dernier des Valois exhorte Navarre à se convertir au catholicisme pour le bien du royaume et pour le salut de son âme. À l’aube du 2 août 1589, le fils de Jeanne d’Albret, le petit calviniste du Béarn, est légitimement le maître d’un royaume catholique.