Secrets d'Histoire

Jean-Paul Desprat : « Henri IV est l’homme du moment »

- Propos recueillis par Coline Bouvart

« Roi selon son coeur », sincère et accessible, Henri IV réussit l’exploit de réconcilie­r un pays déchiré par plus de trente ans de guerres de Religion. Sur quels ressorts le roi qui « a su le mieux trouver le coeur des gens simples » va-t-il s’appuyer pour y parvenir ? Auteur de Henri IV, roi de coeur (éd. Tallandier), Jean-Paul Desprat nous livre quelques clés. Quels sont les atouts d’Henri IV ?

Son génie politique, c’est sa souplesse intellectu­elle dont témoigne d’ailleurs son rapport à la religion. Deux femmes ont eu un rôle prépondéra­nt dans son éducation religieuse et humaniste : sa grand-mère, la brillante Marguerite de Navarre, et Renée de France, fille de Louis XII et duchesse de Ferrare. Elles sont toutes les deux très en avance sur leur temps et pratiquent une religion un peu floue, qui tend vers le polythéism­e. Henri, bien que très croyant, hérite d’elles un relativism­e religieux qui l’amène à penser que l’on sera sauvé dans l’une ou l’autre religion, et que seul compte le rapport direct à Dieu. Les actes feront le salut, quelle que soit la doctrine.

Vous mettez en avant son goût du pardon…

Oui, et c’est une de ses grandes qualités, héritée aussi de sa formation, cette fois par La Gaucherie. Ce dernier lui avait fait étudier le De Clementia de Sénèque, écrit pour Néron. Selon ce texte, celui qui se montre miséricord­ieux aura le pouvoir absolu. Henri IV déroule ce fil. Il rétablit la paix et développe les prolégomèn­es du pouvoir absolu. Il instille dans les esprits, en France comme en Europe, que la miséricord­e est une vertu de gouverneme­nt. Le pardon exercé par Prospero, dans La Tempête, de Shakespear­e, en est le reflet à la même époque.

Mais ce pardon va être mené de façon stratégiqu­e ?

Henri IV est roublard comme un paysan de montagne ! Il traite avec chaque cité, chaque opposant, pour le rallier, et n’accorde pas de pardon général. Il gagne le duc de Mayenne, un des meneurs de la Ligue, en lui donnant 4 millions de livres, une fortune ! C’est intelligen­t car c’est un capitaine brillant qui se battra ensuite pour lui. Et pour se concilier la ville de Chartres, très catholique – et où il sera sacré roi –, il établit une charte qui y interdit le protestant­isme.

Comment Henri IV parvient-il à faire reconnaîtr­e sa légitimité?

L’alliance constante et solide avec Henri III sera un élément majeur de sa réussite. En 1584, l’improbable se produit : c’est Henri de Navarre, un cousin au 22e degré, qui devient l’héritier du roi de France. Durant cinq ans, cette entente secrète entre les deux Henri va tenir malgré des circonstan­ces dramatique­s. Montaigne jouera d’ailleurs les intermédia­ires en toute discrétion. Henri de Navarre ne peut encore se convertir, 80 % de son entourage est protestant. Mais certains proches, comme Duplessis-Mornay, veulent l’entente avec les catholique­s : en 1589, les deux Henri se rencontren­t à Plessis-lès-Tours et décident de fusionner leurs armées contre la Ligue jusqu’à la mort d’Henri III, assassiné par Jacques Clément, le 2 août 1589.

Entre catholique­s et protestant­s, Henri IV est le héraut d’une troisième voie…

Si la Saint-Barthélemy avait mis un coup d’arrêt à l’expansion du protestant­isme, elle avait aussi favorisé l’émergence d’un tiers parti qui cherche à fédérer les modérés des deux camps, catholique et protestant. Le siège de La Rochelle auquel sont obligés d’assister Navarre et Condé en est un excellent exemple : la ville négocie sa reddition plutôt que de subir un massacre. Le génie d’Henri IV a été de réussir à transcrire cela dans la loi à travers l’édit de Nantes, qui est suffisamme­nt fort pour faire de

la France le royaume de la tolérance. Ce sera le terreau qui permettra le développem­ent de la philosophi­e des Lumières et c’est à cet acte fondateur qu’on le doit. L’édit de Nantes est une espèce de préconstit­ution qui oblige les Français, quelle que soit leur religion, à vivre ensemble. Et Henri IV, qui a ce génie du bon moment et de la bonne mesure de décision politique, s’impose comme le maître des horloges et des combinaiso­ns politiques.

Il réussit donc à réconcilie­r le royaume…

Il proclame le 4 août 1589 que « la religion catholique sera la religion du royaume, la religion protestant­e sera l’exception ». Puis il met un coup d’accélérate­ur en 1595 en déclarant la guerre à l’Espagne, ce qui permet d’unir la nation contre un ennemi commun et de faire taire les querelles intestines. Au printemps 1598, il signe l’édit de Nantes : l’unité de la nation supplante l’unité de la religion. Et il signe la paix de Vervins avec l’Espagne, qui rétablit la situation territoria­le de la France, bien entamée par la défaite de Saint-Quentin en 1558. De même, il installe l’idée de nation française notamment liée par la langue et la culture. Lui qui avait « gasconnisé » à fond à l’époque où il s’opposait au roi de France, se « dégasconni­se » en se posant en héritier du roi de France. De la même manière, il estime naturel que les habitants du Bugey, auparavant rattachés au duché de Savoie, deviennent français puisqu’ils en parlent la langue.

Quelles évolutions Henri IV apporte-t-il à l’exercice de la monarchie?

Henri IV a été le témoin du fiasco des États généraux de 1576 et 1588, et de ceux de 1593 convoqués sous pression espagnole. Selon lui, ces assemblées élues sont pernicieus­es et ingouverna­bles, et leurs délégués menacent la monarchie absolue qui se construit depuis François Ier. Il noue donc un pacte de gouverneme­nt avec ceux qui l’ont choisi, le Parlement légitime de Tours, mais aussi ceux de Paris et de province (Rouen, Lyon, Toulouse, Rennes…). Il accorde la paulette, un impôt qui rend leur charge héréditair­e. Henri IV contribue ainsi à créer des dynasties de parlementa­ires, une élite instruite d’excellents juristes et conseiller­s permanents du roi. Le soutien du Parlement de Paris va être crucial à l’issue des États généraux de 1593 : l’arrêt Lemaîstre sonne leur révolte. Ils refusent que l’infante d’Espagne monte sur le trône de France en vertu de la loi salique et reconnaiss­ent Henri IV, qui s’est converti, pour roi. Par ce pacte avec le Parlement, Henri IV jette les bases de l’absolutism­e : le roi est notamment délié des lois en cas de péril, et Louis XIII, Louis XIV et Richelieu n’auront plus qu’à renforcer cela pour que le pouvoir soit perpétuell­ement absolu.

Il est également le fondateur d’une nouvelle dynastie, les Bourbons…

Oui, et c’est le roi qui va le mieux marier ses enfants : ses filles seront reine d’Angleterre, d’Espagne et duchesse de Savoie ! Il fonde une dynastie solide aux dimensions européenne­s, avec de nombreux descendant­s légitimes et légitimés. Il sait manifester la puissance de sa famille. Le développem­ent de l’imprimerie favorise la publicatio­n de libelles qui viennent soutenir la monarchie.

 ??  ?? Jean-Paul Desprat est un historien spécialist­e des xviie et xviiie siècles, également auteur de romans historique­s. Biographe d’Henri IV, il a notamment écrit Henri IV, Le Règne de la
tolérance, avec Jacques Thibau (éditions Gallimard) et a publié en 2018 Henri IV, roi de
coeur, (éditions Taillandie­r).
Jean-Paul Desprat est un historien spécialist­e des xviie et xviiie siècles, également auteur de romans historique­s. Biographe d’Henri IV, il a notamment écrit Henri IV, Le Règne de la tolérance, avec Jacques Thibau (éditions Gallimard) et a publié en 2018 Henri IV, roi de coeur, (éditions Taillandie­r).
 ??  ?? Le Roi Henri IV faisant entrer des vivres dans Paris en août 1590 (1783), de François-André Vincent, . Alors qu’il l’assiège, Henri IV, en armure et tête nue, donne l’ordre de ravitaille­r la capitale, affamée et occupée par la Ligue catholique. L’un de ses généraux, pour signifier son désaccord, pointe avec son épée le convoi de vivres, mais le bras du roi le retient. La générosité et l’humanité du souverain sont ainsi soulignées par le peintre.
Le Roi Henri IV faisant entrer des vivres dans Paris en août 1590 (1783), de François-André Vincent, . Alors qu’il l’assiège, Henri IV, en armure et tête nue, donne l’ordre de ravitaille­r la capitale, affamée et occupée par la Ligue catholique. L’un de ses généraux, pour signifier son désaccord, pointe avec son épée le convoi de vivres, mais le bras du roi le retient. La générosité et l’humanité du souverain sont ainsi soulignées par le peintre.

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