Gloire et fragilités d’un règne
Le règne d’Henri IV est entré dans l’Histoire comme une période faste. La France est modernisée, ses finances assainies et ses productions de qualité s’imposent sur le marché européen. Ces succès font souvent oublier que le Vert-Galant à davantage connu l
e 22 mars 1594, Henri IV, sacré roi de France, pénètre enfin dans Paris. À Pâques, en nouveau Saint Louis, il y lave les pieds d’enfants pauvres, visite les malades de l’Hôtel-Dieu et guérit les écrouelles. Sa popularité ne cesse de croître. Nimbé de son aura de roi clément, il repart bientôt en guerre défaire les derniers ligueurs et leurs soutiens espagnols. Pour financer quatre années de conflit, il augmente les impôts tout en ménageant ses relations avec le pape. Ses décisions crispent les huguenots. Rien n’a été fait pour les protéger. C’est donc dans un climat de défiance religieuse que le roi envisage l’édit de Nantes, poussé à légiférer par sa soeur Catherine, digne fille de Jeanne d’Albret. L’édit est signé sans trompette ni fanfare le 13 avril 1598. Il ouvre une période de tolérance mais non d’égalité. Les calvinistes ont cependant le droit d’accéder à toutes les charges de l’État.
Une coexistence enfin pacifique
La liberté de conscience est garantie mais l’organisation du culte est encadrée de telle manière que les réformés ne pourront jamais devenir un véritable pouvoir d’opposition au roi. Si, au début, les radicaux des deux camps se trouvent lésés, force est de constater que
les deux religions finiront par coexister harmonieusement. Parallèlement à la promulgation de l’édit de Nantes, la guerre vit ses derniers soubresauts. Henri IV négocie directement avec Philippe II d’Espagne et signe la paix de Vervins, le 2 mai 1598. Mais le souverain n’est pas un naïf. La guerre est certes finie mais les rancoeurs des ligueurs et le sentiment de trahison des huguenots pourraient la ranimer à tout moment. Henri ne goûtera jamais pleinement à la sérénité et pourtant il s’efforcera jusqu’à la fin de sa vie de restaurer la grandeur de son royaume. Son intelligence, sa gaîté, son humilité sincère et son charisme sont autant de qualités qui lui permettent de réformer le pays. Après une quarantaine d’années de guerre, repenser l’économie en révolutionnant les mentalités est une priorité.
Un pays relancé à l’aube du xviie siècle
Le peuple ne peut plus payer ses impôts à son seigneur local et à son clergé pour jouir de la protection du premier et des prières du second. Les taxes doivent servir au fonctionnement d’un État en cours de modernisation. Henri prend également des mesures en faveur de l’agriculture. Les bourgeois ont profité des guerres pour acheter une partie non négligeable des terres autrefois aux mains des nobles. Leur logique de rentabilité participe à la relance de l’économie. De nouvelles méthodes d’agriculture raisonnée invitent les paysans à investir dans du matériel agricole de meilleure qualité, les marais sont asséchés, les forêts protégées, la chasse réglementée… Au sein des villes, les corporations sont affaiblies afin de laisser plus de liberté aux artisans et augmenter leur productivité. En moins de cinq ans, la France retrouve la prospérité dont elle pouvait s’enorgueillir sous Henri II. Prenant exemple sur l’Angleterre et les Provinces-Unies, Henri IV souhaite aussi développer l’ingénierie et oeuvre ainsi à la naissance des manufactures telles celle des Gobelins et au libre-échange tout en protégeant des savoir-faire locaux. Au tournant des années 1600, la soie française concurrence ainsi les étoffes milanaises. La fille aînée de l’Église s’impose comme la nouvelle patrie du luxe. Elle devient si productive qu’en 1603, l’Espagne augmente ses droits de douane de 30 %. En représailles, Henri IV interdit l’importation de produits ibériques. Pour éviter un nouveau conflit, la France et l’Espagne négocient des
En 1606, le chantier de l’hôpital Saint-Louis commence hors des murs d’enceintes afin de limiter la contagion des maladies infectieuses. Le « bon roi » n’oublie pas les autres villes. Il est notamment à l’origine de la place Bellecour à Lyon.
accords commerciaux. À cela s’ajoute la rénovation des réseaux routiers et fluviaux dont le centre névralgique est un Paris modernisé par Henri IV. En 1606, le chantier de l’hôpital SaintLouis commence hors des murs d’enceintes afin de limiter la contagion des maladies infectieuses. Le « bon roi » n’oublie pas les autres villes. Il est notamment à l’origine de la place Bellecour à Lyon. Le souverain a la passion des chantiers. Il parle de « ses bâtiments » avec enthousiasme. Évidemment, les parcimonieux et les chagrins lui en tiennent rigueur bien qu’il n’accorde que peu d’importance à ses résidences particulières. Son oeuvre est son royaume, pas son palais. Hélas, ces années de grâce relative ne durent guère. Les « grogneurs », radicaux des deux religions et autres déçus de la modernisation du royaume, contestent toujours son autorité.
Une nouvelle guerre se prépare
À l’échelle de l’Europe, leur haine se cristallise dans la succession des duchés de Clèves et de Juliers. Poussés par les Provinces-Unies et l’Espagne, héritiers catholiques et protestants se disputent ce territoire stratégique. Henri IV estime devoir jouer l’arbitre dans cette querelle car il redoute encore les velléités expansionnistes hispaniques. Il avance un premier pion diplomatique en s’alliant au duc de Savoie en avril 1610 contre l’Espagne avant de reprendre la route du champ de bataille. Afin de sécuriser le royaume en son absence, il confiera la régence à son épouse Marie de Médicis, la mère du futur Louis XIII. Pour renforcer sa légitimité, la souveraine doit être sacrée officiellement. Henri par
ticipe aux préparatifs de cet événement célébré le 13 mai 1610 à Saint-Denis. Depuis la tribune, il observe son épouse avec tendresse, subjugué par sa beauté… ce qui ne l’empêche pas de la taquiner en lui jetant de l’eau depuis les fenêtres de l’abbaye! La journée est joyeuse. Chacun essaye d’oublier la guerre à venir.
Le bon roi assassiné
Le lendemain, alors qu’Henri IV se rend chez le duc de Sully pour fixer les derniers détails de son départ, il croise le chemin de Ravaillac dans la rue de la Ferronnerie. Originaire d’Angoulême, l’homme est un fou assailli de visions. Il a cherché à maintes reprises à entrer en contact avec le roi pour lui transmettre un message de Jésus-Christ. Toujours clément, le « bon roi » a déjà empêché sa garde de remettre cet illuminé à la justice. Alors que le carrosse royal est à l’arrêt, coincé derrière une charrette de foin, Ravaillac prend prestement appui sur les rayons de la roue arrière droite et, par la fenêtre ouverte du véhicule, assène trois coups de couteau au Vert-Galant. Sous le choc, celui-ci articule « Ah, je suis blessé ! Ce n’est rien. » bien que le sang jaillisse à gros bouillons de ses vêtements noirs déchirés. Le poumon, l’aorte et la veine cave sont perforés. Les compagnons du roi se jettent sur l’assassin. La Force, seul protestant à bord du carrosse, enjoint Henri à se souvenir de Dieu. Alors que le meurtrier est arrêté, le carrosse retourne à la hâte au Louvre en criant « Au chirurgien ! » Henri pousse son dernier soupir dans la cour carrée après qu’on lui a humecté les lèvres de vin, comme au jour de sa naissance… Alors que de fastueuses funérailles ont lieu, les Français s’interrogent et l’écho de leur question résonne encore chez nos historiens contemporains. Ravaillac a-t-il agi en loup solitaire ou sa main a-t-elle été armée par des opposants de la Cour ou les Habsbourg eux-mêmes ? La mort d’Henri IV restera aussi mystérieuse que son souvenir est grandiose.