1851, préfet de la Gironde : les prémices
Si les travaux pharaoniques qu’il orchestra pendant dix-sept ans sont emblématiques du préfet Haussmann, ils ne paraissent pourtant pas suffisants pour tracer de lui un juste portrait. Ses origines familiales, son enfance et le début de sa carrière se montrent bien plus révélateurs.
Georges Eugène Haussmann descend d’une famille protestante qui a bâti sa fortune dans le textile avant la Révolution. Pendant celle-ci, Nicolas Haussmann s’illustre comme « représentant en mission », c’est-à-dire comme commissaire politique auprès des armées. Son fils Nicolas-Valentin, futur père d’Eugène, intendant militaire, épouse Caroline Dentzel dont le père, ex-pasteur, a servi comme général sous Napoléon Ier qui l’a nommé baron d’Empire. Né à Paris le 27 mars 1809, Georges Eugène est élevé dans le culte de son grand-père maternel auquel il vouera toujours une admiration sans faille. La chute de l’empereur suivie de la Restauration, en 1815, met les familles Haussmann et Dentzel en difficulté financière. C’est le grand-père, général en demi-solde, qui paye la pension de son petitfils chez les oratoriens de Sceaux puis aux lycées parisiens Henri IV et Condorcet. C’est là qu’il se lie d’amitié avec Ferdinand-Philippe, duc de Chartres, fils du duc d’Orléans, le descendant de Louis XIV. Bachelier à 17 ans, Georges Eugène fait des études de droit avec pour rêve de devenir notaire. Un destin facétieux va en décider autrement. En 1829, son père, qui a dû se bâtir une situation nouvelle, fait partie des fondateurs du journal Le Temps, quotidien d’opposition au régime de Charles X. Et voici que surviennent les trois journées de juillet 1830 qui vont destituer le roi. Le Temps appelle à la révolte et son administrateur se proclame même Secrétaire du gouvernement provisoire, s’installant à l’hôtel de ville. Georges Eugène Haussmann
Bachelier à 17 ans, Georges Eugène fait des études de droit avec pour rêve de devenir notaire.
prend les armes aux côtés des émeutiers ; il devient agent de liaison entre les nouvelles autorités et la rédaction du journal.
L’entrée dans la préfectorale
On connaît la suite des événements: LouisPhilippe d’Orléans devient roi des Français. Georges Eugène Haussmann, invité à la cérémonie de prestation de serment, y retrouve son ami Ferdinand-Philippe, devenu prince héritier. Ce dernier lui propose un poste dans la haute administration qui va être chargée d’asseoir l’autorité du nouveau gouvernement. Eugène Haussmann choisit d’entrer dans la préfectorale. C’est ainsi que le 21 mai 1831, à 22 ans, il est nommé secrétaire général de la préfecture de la Vienne. Le jeune homme révèle alors sa nature profonde, celle d’un bourreau de travail guidé par un mélange complexe d’ambition et de sens du devoir. À peine en poste à Poitiers, il révolutionne la préfecture. À son bureau dès six heures du matin, il contrôle de près tous les services, met en place une procédure de suivi des dossiers qui traumatise les fonctionnaires depuis toujours habitués à un quotidien paisible. Cela ne
l’empêche pas de mener une vie mondaine, parfois agitée elle aussi puisqu’il se livrera à deux duels. On ne provoque pas impunément ce dandy qui mesure son 1,92 mètre! L’année suivante, le voici nommé sous-préfet d’Yssingeaux, en Haute-Loire. S’il ne reste que cinq mois dans cette contrée de moyenne montagne rude, il mesure combien la création de voies de communication et d’écoles serait nécessaire pour sortir les populations de la misère et de l’obscurantisme. Il constate aussi l’opposition profonde qui se creuse entre la « monarchie de Juillet » au pouvoir, et la vieille noblesse restée légitimiste. En novembre 1832, Haussmann est nommé souspréfet de Nérac, en Lot-et-Garonne. Son expérience de la Haute-Loire l’encouragera à mettre ici en application la loi Guizot de 1833 qui aide les communes à se doter d’écoles primaires, et la loi de 1836 qui exige des communes qu’elles lèvent des impôts destinés à l’entretien des chemins vicinaux. Son efficacité vaut au jeune sous-préfet de recevoir la Légion d’honneur en 1837. À Nérac, Eugène Haussmann fréquente assidûment la société protestante. Ayant lié amitié avec le pasteur Henri de Laharpe, il fait connaissance de sa soeur Octavie. C’est un beau parti puisque les Laharpe, suisses d’origine, sont de riches négociants bordelais. Le mariage est célébré le 17 octobre 1838 à Bordeaux, où Octavie entend rester chez ses parents plutôt que de résider à Nérac. À Eugène de progresser dans sa carrière s’il veut vivre ailleurs que dans de petites villes du fin fond des provinces...
Révolution de 1848 : le coup de chance Haussmann a beau réclamer une mutation qui le rapprocherait de Bordeaux,
lorsqu’il obtient de quitter Nérac au bout de huit ans, c’est pour devenir sous-préfet de Saint-Girons, en Ariège! S’agirait-il d’une mesure vexatoire pour ce fonctionnaire besogneux, autoritaire et trop sûr de lui, qui exaspère ses supérieurs? Un an et demi plus tard cependant, il est nommé à Blaye, en Gironde: en bateau, Eugène ne se trouve plus qu’à deux ou trois heures de Bordeaux, ce qui lui permet de retrouver régulièrement sa famille (il a deux filles) ainsi que la riche société bordelaise. Sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, le sous-préfet conduit la même politique que celle inaugurée à Nérac: développer écoles et voies de communication. De plus, il s’intéresse à l’assèchement des marais qui s’étendent au bord du fleuve et au curetage des canaux menant aux ports: il acquiert là un savoir qui lui sera précieux lorsqu’il dotera Paris d’un réseau d’égouts. En janvier 1848,
Le jeune homme révèle alors sa nature profonde, celle d’un bourreau de travail guidé par un mélange complexe d’ambition et de sens du devoir. À peine en poste à Poitiers, il révolutionne la préfecture.
Eugène Haussmann apprend sa prochaine nomination comme préfet de la Charente. La promotion tant attendue l’éloigne pourtant de Bordeaux, mais elle ne se refuse pas. Le 23 février, rien n’est encore confirmé et voici qu’à Paris une nouvelle Révolution renverse Louis-Philippe; la Deuxième République est proclamée. Haussmann estime que ses convictions orléanistes et sa qualité de fils et petit-fils d’officiers de Napoléon peuvent lui nuire. Il prend les devants en démissionnant du corps préfectoral pour se lancer dans les affaires avec l’aide de son beaupère. Il se trouve que le commissaire préfet nommé à Bordeaux est un ancien des Trois Glorieuses de 1830, qui a bien connu Nicolas-Valentin, son père. Haussmann se voit ainsi proposer le poste de président du Conseil de préfecture.
Agent actif de Napoléon III
Il accepte, ce qui ne l’empêche pas, quelques mois plus tard, de demander au ministre de l’Intérieur une préfecture. Sans doute pense-t-il à Bordeaux ; on lui propose le Var où il aura à affronter un homme politique encore inconnu, un certain Émile Ollivier. On en reparlera. Depuis Toulon, Haussmann réclame à nouveau Bordeaux: on l’envoie à Auxerre. Nous sommes en mai 1850 et avant de prendre son poste, le préfet est reçu par le prince-président en personne, Louis-Napoléon Bonaparte, qui lui enjoint d’y « brandir son drapeau napoléonien ». Autrement dit, de faire rempart aux idées révolutionnaires en imposant l’ordre nécessaire pour la relance économique du pays. À l’époque, chez le prince-président, les idées sociales saint-simoniennes prévalent, et le préfet Haussmann les fait siennes. C’est ainsi qu’il lance un plan de restauration du patrimoine auxerrois, financé par un emprunt contracté par le département, qui lui permet de fournir du travail à une armée d’ouvriers. En novembre 1851, Eugène Haussmann reçoit la nomination tant attendue: Bordeaux ! C’est d’abord avec le titre de Commissaire extraordinaire du gouvernement en Gironde qu’il arrive; sa mission est d'assurer le succès local du coup d’État que prépare le prince-président: Haussmann fait partie des hommes de confiance mis dans le secret de l’opération Rubicon. Il s’agit d’écraser dans l’oeuf toute tentative de rébellion, et il y excelle. Sans état d’âme, il fait emprisonner tous ceux qui pourraient représenter une menace pour le nouvel empereur. L’ordre prime! En octobre 1852, le prince-président achève à Bordeaux le tour de France par lequel il prépare la restauration de l’Empire. Les 21 et 22 novembre, en effet, un référendum au suffrage universel consacre Napoléon III empereur. En janvier 1853, Eugène Haussmann accède à la dignité de commandeur de la Légion d’honneur. Le 23 juin, il est nommé préfet de la Seine.