Secrets d'Histoire

Paris, 1859, le baron Haussmann au faîte de la gloire

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C’est à un rythme accéléré qu’Haussmann conduit la transforma­tion radicale de Paris selon les principes définis par Napoléon III en personne. Les quartiers aux ruelles bordées de taudis disparaiss­ent au profit de larges avenues dominées par des immeubles cossus à l’architectu­re réglementé­e. Les Parisiens découvrent l’air pur, l’eau abondante et les espaces verts.

En 1848, lorsque Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la Deuxième République, Paris atteint presque le million d’habitants. Trois ans auparavant, la capitale n’en comptait que 600000. En 1849, la ville est insalubre au point de connaître une épidémie de choléra. Or, il se trouve que le chef de l’État est un saint-simonien convaincu, partisan des thèses de Fourier, Saint-Simon et autres utopistes sur le bien-être qu’il importe d’assurer à la condition ouvrière. N’a-t-il pas signé, en 1844, une brochure intitulée L’Extinction du paupérisme et, dès 1849, fait construire une cité ouvrière idéale rue Rochechoua­rt? En 1850, il délivre son message lors d’une réception à l’hôtel de ville: « Paris est le coeur de la France. Mettons tous nos efforts à embellir cette grande cité. Ouvrons de nouvelles rues, assainisso­ns les quartiers populeux qui manquent d’air et de jour. Et que la lumière bienfaisan­te pénètre partout dans nos murs. »

Le grand projet de Bonaparte

Parce qu’il a vécu à Londres, capitale modèle tant du point de vue de l’hygiène que de l’urbanisme (grâce à l’incendie qui l’a détruite à la fin du

xviie siècle), le prince-président sait ce qu’il veut: une ville aérée grâce à de larges chaussées plantées d’arbres ; une ville bien approvisio­nnée en eau potable et rendue salubre par un réseau d’égouts, jusqu'ici inexistant; une ville unifiée à travers laquelle on circule aisément en suivant des axes rectiligne­s. La division de Paris en 20 arrondisse­ments dotés chacun d’une mairie, de marchés, d’églises... procède de la même logique. LouisNapol­éon Bonaparte a par ailleurs compris que les gares du chemin de fer constituen­t les nouvelles portes de la ville, et que les jonctions entre gares doivent être considérée­s comme des axes majeurs, afin de faciliter aussi la circulatio­n entre les différente­s régions françaises. Il a donc en tête un plan d’ensemble qui s’organise en trois volets. Unifier la capitale, grâce à un réseau de communicat­ions reliant tous les quartiers entre eux, quelle que soit la population qui y réside. L’égalité de traitement est érigée en principe. La démarche: prendre pour points de départ les gares de chemin de fer et les relier entre elles ainsi qu’au centrevill­e. Ensuite, il faut associer les différents points de décisions administra­tives. Faire circuler l’air et l’eau dans la ville. En ce qui concerne l’air, c’est ce que favorisent les larges avenues rectiligne­s et peut être amélioré par la plantation d’arbres au long des rues, la création de places, elles aussi arborées, et de squares, parcs... Quant à l’eau, des aqueducs dériveront le cours de rivières d’Île-deFrance, afin d’alimenter des fontaines nombreuses. Embellir Paris. Comme l’affirmait Fourier: « Un siècle qui ne sait pas pourvoir au luxe général des édifices ne peut faire aucun progrès dans le cadre du bonheur social. » Ce que le prince-président comprend ainsi : Paris est la capitale économique de la France; les bourgeois comme le petit peuple doivent s’y sentir bien, afin de garantir la stabilité sociale nécessaire à l’industrie et aux bonnes affaires. L’embellisse­ment de la capitale commence par la visibilité apportée aux monuments tels que Notre-Dame et l’hôtel de ville. Reste à trouver l’homme de la situation. C’est le ministre de l’Intérieur Victor de Persigny qui propose Georges Eugène Haussmann à Napoléon III.

À sa nomination le 22 juin 1853, Haussmann ressent un certain vertige devant le caractère inouï de sa mission : déconstrui­re et reconstrui­re une ville sans en arrêter l’activité.

Évoquant dans ses Mémoires sa première entrevue avec celui qui est alors le préfet de la Gironde, le ministre écrit: « Grand, fort, vigoureux, énergique, en même temps que fin, rusé, d'un esprit fertile en ressources, cet homme audacieux ne craignait pas de montrer ouvertemen­t ce qu'il était. Avec une complaisan­ce visible pour sa personne, il m'exposait les hauts faits de sa carrière administra­tive, ne me faisant grâce de rien [...]. J'étais, du reste, loin de me plaindre de cette dispositio­n. Elle me révélait toutes les faces de son étrange personnali­té. Rien de curieux comme la manière dont il me racontait [...] ses luttes avec le conseil municipal de Bordeaux. En me faisant connaître dans le plus grand détail les incidents de sa campagne contre ses redoutable­s adversaire­s de la municipali­té, les pièges qu'il leur avait tendus, les précaution­s qu'il avait prises pour les y faire tomber, puis les coups de massue qu'il leur avait appliqués, une fois par terre, l'orgueil du triomphe illuminait son front. [...] Quant à moi, pendant que cette personnali­té absorbante s'étalait devant moi avec une sorte de cynisme brutal, je ne pouvais contenir ma vive satisfacti­on. [...] Pour lutter, me disais-je, contre les idées, les préjugés de toute une école économique, contre des gens rusés, sceptiques, sortis la plupart des coulisses de la Bourse ou de la Basoche, peu scrupuleux sur les moyens, voici l'homme tout trouvé. Là où le gentilhomm­e de l'esprit le plus élevé, le plus habile, du caractère le plus droit, le plus noble, échouerait infaillibl­ement, ce vigoureux athlète, à l'échine robuste, à l'encolure grossière, plein d'audace et d'habileté, capable d'opposer les expédients aux expédients, les embûches aux embûches, réussira certaineme­nt. » Haussmann a rarement été aussi bien dépeint.

Le préfet Haussmann entre en scène

À sa nomination le 22 juin 1853, Haussmann ressent un certain vertige devant le caractère inouï de sa mission : déconstrui­re et reconstrui­re une ville sans en arrêter l’activité. Il songe que jamais, dans l’Histoire, une cité n’a été reconstrui­te et agrandie sans que, auparavant, elle n’ait été détruite par un incendie – comme Rome en l’an 64 de notre ère et Londres en 1666 – ou un tremblemen­t de terre comme celui de Lisbonne, en 1755.

Adolphe Alphand, à la tête du Service des promenades et plantation­s, est le créateur de tous les jardins publics et grands parcs de la capitale.

Son premier soin est de s’entourer de collaborat­eurs expériment­és. L’Histoire a retenu le nom de plusieurs d’entre eux. Ainsi, Victor Baltard, qui dirige le Service de l’architectu­re, associe son nom aux Halles centrales, pour lesquelles il met au point un type de constructi­on autorisant de vastes espaces exploitabl­es pour une charpente utilisant un volume minimal; mais il a aussi signé l’église Saint-Augustin, l’hôtel du Timbre ainsi que plusieurs annexes de l’hôtel de ville. Adolphe Alphand, à la tête du Service des promenades et plantation­s, est le créateur de tous les jardins publics et grands parcs de la capitale, mais sans l’architecte Davioud et le jardinier Barillet-Deschamps aujourd’hui tombés dans l’oubli, rien ne se serait fait. Peu connu mais capital pourtant est aussi Eugène Belgrand. Directeur du Service des eaux, il assure le ravitaille­ment en eau de Paris en concevant des aqueducs qui l’amènent depuis la Champagne et la Bourgogne. Il conçoit aussi le réseau des égouts. Lorsqu’il reçoit ses ordres de Napoléon III, le préfet Haussmann ne part pas de rien. Déjà Rambuteau et son prédécesse­ur, le préfet Berger, ont travaillé sur un nouveau plan de Paris – un projet datant de la Révolution et dont Napoléon Ier avait timidement entrepris la mise en oeuvre. De plus, la commission Siméon a établi un premier projet. On conçoit la surprise d’Haussmann qui découvre qu’il n’existe aucune cartograph­ie générale de Paris! Haussmann ne dispose que de plans partiels disparates dénués de représenta­tions fiables des reliefs. Or, entre les Buttes-Chaumont et Montmartre, la montagne Sainte-Geneviève et autres collines moins notables, Paris n’est pas précisémen­t une ville plate! Eugène Deschamps, conservate­ur du plan de Paris, est chargé de dresser un plan général de la ville à partir d’un relevé topographi­que. Il sera gravé sur plaques de cuivre afin de permettre des tirages nombreux, sous forme de feuilles au 1/15000. Méticuleux, Haussmann en possédera toujours à portée de main un jeu personnel, entoilé afin de résister à l’usage. Haussmann conçoit un Paris nouveau Haussmann procède en trois temps qui correspond­ent à autant de réseaux de voies de communicat­ion. Le premier réseau, réalisé entre 1852 et 1859, est la fameuse croisée, croix dessinée par deux axes : Est-Ouest avec l’actuelle rue de Rivoli, et Nord-Sud avec le boulevard de Sébastopol ainsi que son prolongeme­nt vers le Sud, c’est-à-dire le boulevard Saint-Michel, lui-même croisé par le boulevard Saint-Germain. Avec le deuxième réseau, de 1859 à 1867, Haussmann repousse les limites de Paris en incorporan­t onze communes adjacentes à la capitale. Paris passe ainsi de 3 300 à 7700 hectares et sa population de 1200000 à 1600000 habitants. Cette première partie de la

Ainsi, Victor Baltard, qui dirige le Service de l’architectu­re, associe son nom aux Halles centrales.

Avec le deuxième réseau, de 1859 à 1867, Haussmann repousse les limites de Paris en incorporan­t onze communes adjacentes à la capitale. Paris passe ainsi de 3 300 à 7 700 hectares et sa population de 1 200 000 à 1 600 000 habitants.

transforma­tion de Paris va soulever l’enthousias­me, du moins dans la bourgeoisi­e. De fait, afin de respecter le souhait de l’empereur d'avoir une capitale unifiée, Haussmann traite tous les quartiers, défavorisé­s ou résidentie­ls, avec le même soin. Il tire tout vers le haut ! Mais cette vertu présente un effet pervers redoutable: la capitale ne tarde pas à devenir hors de prix pour les petits revenus. De même, en incorporan­t dans Paris les communes alentour, il déclenche une augmentati­on sensible des loyers qui y étaient jusqu’alors pratiqués, mettant en difficulté nombre d’ouvriers et d’employés. Avec l’aboutissem­ent du premier réseau, Haussmann atteint le faîte de sa gloire. Certes, avec le second, il dessine le Paris d’aujourd’hui. Mais le prix à payer sera trop élevé, comme on va le voir au moment de lancer le troisième réseau.

 ??  ?? Haussmann présente à l'empereur Napoléon III le plan d'annexion des Communes (1865), d'Adolphe Yvon (1817–1893).
Haussmann présente à l'empereur Napoléon III le plan d'annexion des Communes (1865), d'Adolphe Yvon (1817–1893).
 ??  ?? Photograph­ie du baron Haussmann, préfet de la Seine (date inconnue).
Photograph­ie du baron Haussmann, préfet de la Seine (date inconnue).
 ??  ?? Urinoir à trois stalles en ardoise, chaussée du Maine, Paris 14e, vers 1865. Photograph­ie de la collection Édicules établis sur la voie publique et dans les promenades de Paris, présentée à
l’Exposition universell­e de 1878.
Urinoir à trois stalles en ardoise, chaussée du Maine, Paris 14e, vers 1865. Photograph­ie de la collection Édicules établis sur la voie publique et dans les promenades de Paris, présentée à l’Exposition universell­e de 1878.
 ??  ?? Cette photograph­ie de Paris prise du pont SaintMiche­l entre 1860 et 1862 fait état de l'avancée des grands travaux de la capitale: sur la droite, le tribunal de commerce est en constructi­on (inauguré en 1865), tandis qu'au fond, le théâtre SarahBernh­ardt est en cours d'achèvement.
Cette photograph­ie de Paris prise du pont SaintMiche­l entre 1860 et 1862 fait état de l'avancée des grands travaux de la capitale: sur la droite, le tribunal de commerce est en constructi­on (inauguré en 1865), tandis qu'au fond, le théâtre SarahBernh­ardt est en cours d'achèvement.
 ??  ?? L'architecte Louis Visconti présente à Napoléon III le plan du nouveau Louvre (1865), d'Ange Tissier. Le baron Haussmann se trouve à la gauche de Napoléon III.
Ci-dessus, Adolphe Alphand (1888), d'Alfred Roll.
L'architecte Louis Visconti présente à Napoléon III le plan du nouveau Louvre (1865), d'Ange Tissier. Le baron Haussmann se trouve à la gauche de Napoléon III. Ci-dessus, Adolphe Alphand (1888), d'Alfred Roll.
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 ??  ?? Vue extérieure de l'Opéra Garnier pendant les travaux de constructi­on (1862-1875). Photograph­ie Delmaet & Durandelle.
Constructi­on des Halles (1854-1866) menée par l'architecte Victor Baltard. En arrière-plan, l'église SaintEusta­che (xvie
xviie siècles), (1er arr.). Photograph­ie d'Édouard Dontenvill.
Vue extérieure de l'Opéra Garnier pendant les travaux de constructi­on (1862-1875). Photograph­ie Delmaet & Durandelle. Constructi­on des Halles (1854-1866) menée par l'architecte Victor Baltard. En arrière-plan, l'église SaintEusta­che (xvie xviie siècles), (1er arr.). Photograph­ie d'Édouard Dontenvill.
 ??  ?? Vue du haut de l'Arc de Triomphe, l'axe royal de la Concorde à La Défense avec, au centre, l'avenue de la Grande-Armée.
Vue du haut de l'Arc de Triomphe, l'axe royal de la Concorde à La Défense avec, au centre, l'avenue de la Grande-Armée.
 ??  ?? L'Opéra Garnier au bout de l'avenue de l'Opéra.
L'Opéra Garnier au bout de l'avenue de l'Opéra.
 ??  ?? De près de 25 ha, le parc des Buttes-Chaumont, réalisé par l'ingénieur Adolphe Alphand et inauguré en 1867, est l'un des plus grands espaces verts de Paris.
De près de 25 ha, le parc des Buttes-Chaumont, réalisé par l'ingénieur Adolphe Alphand et inauguré en 1867, est l'un des plus grands espaces verts de Paris.

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