1835-1843 : Les Illusions perdues
Séparés par un mari et des centaines de kilomètres, les amants doivent affronter la réalité de l’éloignement. La résignation n’est pas dans la nature de ce diable d’homme, alors il va aimer ailleurs un peu, écrire beaucoup et soupirer toujours auprès de celle dont il est sûr qu’elle est la femme de sa vie. Avec, au fil des années, des déconvenues qui ne parviennent pas à le décourager tout à fait.
Comment aimer quand on est à plus de 1600 kilomètres de distance? Balzac trouve un dérivatif dans l’écriture… Bien obligé, il est couvert de dettes! La période n’est pas rose: son frère Henry, un véritable bras cassé, menace de se suicider, sa cadette Laure, qu’il adore, est malade, sa mère se dit morte de chagrin. Cherche-t-il un peu de réconfort auprès de sa chère Étrangère ? Comme elle ne lui répond pas, il est si inquiet qu’il va consulter une voyante.
Cherche-t-il un peu de réconfort auprès de sa chère Étrangère ?
Des nuits passées à écrire
Il s’est essayé au théâtre, qui permet de gagner de l’argent rapidement, mais c’est un fiasco, il n’est pas doué. Il est fait pour le roman. Il y revient donc et s’attelle enfin au Lys dans la vallée, qui occupe toutes ses nuits, comme auparavant Le Père Goriot. Il veut en faire son chef-d’oeuvre, raconter le désir qui rend fou, la femme vertueuse jusqu’à la mort. Il travaille comme il vit, à fond, avec la méthode habituelle: l’immersion totale pendant trois mois. Il en revient épuisé et triomphant, des centaines de feuillets sous le bras, et se venge de sa retraite forcée en se jetant sur la bonne chère. Il façonne un premier jet, à l'écriture presque illisible, qu’il fait imprimer et qu'il corrige sans relâche jusqu’à obtenir la version
qui lui convient. Huit ou dix épreuves peuvent être nécessaires. Pendant ce temps, son éditeur attend la version suivante, et les créanciers frappent à la porte. Qu’importe! Balzac s’enferme et écrit 200 feuillets en cinq nuits, ou travaille vingt heures par jour, comme il l’a fait pour Le Père Goriot. Pour tenir la cadence, Balzac a besoin de vivre dans le luxe et de mener grand train, entouré de beaux meubles, bronzes et tapis, de livres et de grands vins qu’il boit en compagnie de ses amis. En sortant de chez lui, le compositeur Rossini dit qu’on ne mange pas mieux chez les têtes couronnées. Après ces agapes, Balzac retourne à son écritoire et à sa vie d’ascète, gavé de bonne chère, de vins et de vie.
À l'écoute des femmes de sa vie
Bien sûr, il ne saurait se passer des femmes. Elles l’inspirent, il les aime, elles le lui rendent au centuple. Il semble bien, à croire la correspondance de ces dames, les Hanska, d’Abrantès, de Berny, qu’il est un amant hors pair, malgré un physique commun. Il les comprend, les écoute, il est leur ami autant que leur compagnon de plaisir. Balzac laisse parler sa nature féminine, c’est la raison de son succès. Il n’oublie pas de voyager: à Turin, à Milan, pour régler les affaires d’une maîtresse, ou en compagnie d’une amie, Caroline Marbouty. Pour ne pas faire jaser, il demande à la jeune écrivaine de l’accompagner, déguisée en
Balzac attendait tant ce moment qu’il a du mal à y croire. Il lui propose aussitôt de l’épouser, cette union signant pour lui la fin des ennuis d’argent.
homme... ce qui ne fera que plus jaser! Bref, s’il n’y a pas toujours anguille sous roche, il y a toujours une femme à ses côtés. Tout cela, Ève le sait et invente ce qu’elle ne sait pas, informée par des amies bien intentionnées. Elle lui en veut, le tient à l’écart plusieurs mois d’affilée, et par son silence le pousse dans d’autres bras.
Dettes, jalousie et retrouvailles
Au début de 1842, elle lui écrit enfin et lui annonce qu'elle est veuve. Balzac attendait tant ce moment qu’il a du mal à y croire. Il lui propose aussitôt de l’épouser, cette union signant pour lui la fin des ennuis d’argent. Il en a tant que lorsqu’on lui demande ce qu’il ferait s’il était riche, il répond : « faillite ». Le trait d’esprit est-il parvenu jusqu’aux oreilles d’Ève? Au lieu de lui sauter dans les bras, elle lui demande de résorber ses dettes avant d’envisager le mariage. Fine mouche, elle lui souffle qu’elle a besoin de le revoir avant de prendre sa décision. Entre-temps, elle assiste à un concert de Liszt et s’avoue charmé par l’homme tout autant que par le pianiste; et l’attirance est réciproque. Balzac n’en peut plus. Et malgré ses déboires littéraires – le théâtre lui refuse toujours le succès, et il est en manque d’inspiration – il court la rejoindre à Saint-Pétersbourg, où elle s’est rendue pour régler la succession de son époux. Leurs retrouvailles mettent du baume au coeur de ce pauvre Balzac, qui commence à sentir dans sa chair le poids de ses excès. Qu’importe, il retrouve l’Ève qu’il a aimée à Genève, à Vienne, il retrouve son « Étoile polaire ». Va-t-elle enfin accepter le mariage ?