1843-1850 : Un bonheur de courte durée
Ève devenue veuve, Balzac va-t-il connaître enfin le nirvana amoureux ? Au début de leur liaison, Ève aimait ses excès, le feu dévorant de vie qui l’habite. Maintenant, il lui fait peur. Il la voulait femme de sa vie, elle sera la femme de son oeuvre : sans elle posée au bout de sa plume comme un idéal, une muse lointaine adorée, Balzac aurait-il écrit La Comédie humaine ?
Balzac rentre à Paris plus amoureux que jamais, l’âme remplie de souvenirs voluptueux. Ève est enfin à lui seul. Elle ne lui a rien promis – il faut quand même respecter une période de deuil – mais il sent bien que leur entente est parfaite. Le bengali est de retour dans ses lettres: « Restez en paix, il est d’une sagesse exemplaire [...]. Il ne chante que pour une seule rose. » Mais Ève est de nouveau distante. Pendant que son Loup se consume à Paris, elle joue le chaud et le froid, tout occupée à la succession du mari et au mariage de sa fille. Elle accepte enfin qu’il la rejoigne à Dresde. S’ensuivent quatre mois de bonheur, avec une virée en Hollande, accompagnés de la fille et son fiancé, qui apprécient la compagnie de l’écrivain. Mais il faut revenir à Paris, où le travail l’attend.
Des projets secrets
1845 et 1846 seront ainsi partagés entre l’écriture et quelques intermèdes amoureux en Europe, trop rares aux yeux de Balzac. C’est qu’Ève résiste toujours à sa proposition de mariage! À sa décharge, la loi russe la dépossède de tous ses biens si elle épouse un étranger. Pour la convaincre de sa bonne foi, Balzac, qui n’a pas fini de payer ses dettes, achète un hôtel particulier au 14, rue Fortunée* – peut-être séduit par le nom? – pour en faire leur nid d’amour. Il faut en plus prévoir des travaux et pour le meubler, Balzac a beaucoup d’idées, toutes très onéreuses. Devant de telles dépenses, Ève prend peur. Doit-elle unir sa vie à celle d'un homme aussi déconnecté des réalités matérielles ? Et la voilà qui se remet à être jalouse, cette fois-ci de la gouvernante de Balzac.
Balzac envisage un mariage secret, dans un petit coin de province bien caché, pour éviter que le bruit ne parvienne jusqu’en Russie, car Ève est enceinte. La joie est de courte durée. En séjour à Dresde, Ève fait une fausse couche à cinq mois de grossesse, loin de son Loup. Elle parle de retourner en Ukraine. Balzac est catastrophé, il perd l’inspiration et le goût d’écrire. Rien de pire ne saurait lui arriver.
Devenir russe pour ses beaux yeux
Quand heureusement, sa belle change d’avis et vient à Paris, Balzac renaît et travaille à nouveau avec enthousiasme. La Cousine Bette, Le Cousin Pons. Lorsqu’elle repart, il se sent vaciller. Désormais, il sent que le bonheur avec elle ne va pas de soi. « Je te veux pour femme ou je ne veux pas de la vie. » Il lui faudra deux voyages en Ukraine pour arriver à ses fins, mais au prix de sa vie. Lors du premier, en septembre 1847, il découvre enfin le domaine d’Ève à Wierzchownia: un château gigantesque, 300 serviteurs, 20000 hectares de terres et un millier de cerfs. Voilà qui n’est pas pour calmer ses envies de mariage! C’est raté pour cette fois, il rentre à Paris en février 1848. Il y retourne à la fin de l’année, prêt s’il le faut à prendre la nationalité russe, et reste près de sa belle toute l’année 1849. Le bonheur est-il enfin au rendez-vous ? Non, parce que Balzac, épuisé par les excès et le rythme de travail, voit son corps le lâcher. Il étouffe. À 50 ans, il est déjà un vieillard.
Une agonie longue et étouffante
Enfin, Ève cède. Par lassitude ou par pitié face à son état physique ? Le 14 mars 1850, elle épouse enfin son Loup dans une petite chapelle ukrainienne. Pendant le retour au château, Balzac étouffe tandis qu'elle souffre d’une crise de goutte. C’est qu’ils ne sont plus tout jeunes! Vient alors le temps du lent et harassant retour en France. Ils partent le 25 avril, atteignent Paris presque un mois plus tard. Atteint par la gangrène et l’hydropisie, il meurt le 18 août, au moment de toucher le bonheur amoureux dont il avait rêvé toute sa vie. Comme ses personnages dans ses romans Les Chouans ou Louis Lambert. Devenue veuve, Ève va accepter la succession, donc les dettes de son époux, elle qui en avait si peur. Elle va aussi demander à un écrivain de terminer les romans inachevés de Balzac. Elle qui avait renâclé à s’engager auprès de lui toute une partie de sa vie, va enfin assumer le rôle d’épouse. Elle va passer 32 ans dans le nid d’amour de la rue Fortunée, et finir ses jours auprès d’un peintre, Jean Gigoux, avant de mourir à 82 ans. Elle est enterrée dans la tombe d’Honoré, au Père-Lachaise. * Actuelle rue Balzac.