Secrets d'Histoire

Portrait

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Louis XIII, le roi oublié par Jean-Christian Petitfils

Éclipsé par le panache blanc de son père Henri IV, occulté par l’éblouissan­te figure solaire de son fils Louis XIV, Louis XIII est un roi oublié qui fait pâle figure dans l’Histoire. Pourtant, ce souverain méconnu à la personnali­té déroutante a profondéme­nt contribué à la modernisat­ion du royaume. Il forma avec le cardinal Richelieu un tandem d’une efficacité redoutable, malgré la complexité de la relation entre les deux hommes, et traça les contours du futur règne du Roi-Soleil.

Une physionomi­e ingrate, froide, un visage émacié, tout en lui accroît l’impression d’un être effacé, maussade, affecté d’une incurable mélancolie. Rien d’étonnant à voir ce passionné de vénerie et de fauconneri­e promener sa solitude ennuyée dans les bois giboyeux de Saint-Germain ou de Versailles. Les romantique­s, Vigny, Hugo ou Dumas, en firent un velléitair­e sans charisme ni volonté, « maigre Jupiter à la moustache pointue », ironisera Michelet, « esclave couronné », vampirisé par sa mère, l’ambitieuse régente Marie de Médicis, dominé par son premier favori et compagnon de chasse, Luynes, puis écrasé sous la férule impérieuse du cardinal de Richelieu, l’« homme rouge », pétri de certitudes olympienne­s. Pourtant, quand on lit les écrits du temps – correspond­ances ministérie­lles, rapports des ambassadeu­rs, lettres privées, gazettes, mémoires –, quand on examine l’extraordin­aire document clinique qu’est le Journal du médecin Jean Héroard, qui, de 1601, date de naissance de Louis XIII, à la mort du praticien en 1628, a noté au jour le jour la vie de son patient, on est frappé

du décalage existant entre cette légende ravageuse et sa vraie personnali­té ainsi que son rôle dans l’Histoire.

Un tempéramen­t impétueux

Dès l’enfance transparai­ssaient ses principaux traits de caractère : un garçon d’un naturel bon, quoique turbulent, aimant l’art, la musique, le dessin, mais autoritair­e, souvent agressif avec ses demi-frères, les bâtards, élevés avec lui. Il fallait lui donner le fouet. « Il était d’autant plus difficile à gouverner, disait son précepteur Vauquelin des Yveteaux, qu’il semblait être né pour gouverner et pour commander aux autres. » Sans doute n’était-il pas d’une intelligen­ce fulgurante, mais il avait une mémoire remarquabl­e et surtout le sens inné de la majesté et de la dignité royale, une jalousie aiguë de la grandeur, traits

« Il était d’autant plus difficile à gouverner, disait son précepteur Vauquelin des Yveteaux, qu’il semblait être né pour gouverner et pour commander aux autres. »

qu’il conjuguait avec une extrême simplicité. À cela, il faut ajouter un singulier goût du secret et des coups d’éclat. À 16 ans, ne supportant plus d’être tenu en lisière par sa mère qui s’accrochait au pouvoir, il complota contre elle avec un petit groupe de fidèles et consentit à l’exécution sommaire de Concino Concini, tout-puissant favori. Son énergie se retrouvait à la guerre où il manifestai­t courage et fermeté impétueuse, aussi bien à l’île de Riez contre les protestant­s révoltés en 1622 qu’au Pas de Suse contre le duc de Savoie en 1629, ou lors de la reddition de Corbie en 1636, alors que les armées hispano-impériales marchaient sur Paris et que Richelieu se terrait dans son hôtel particulie­r. Louis XIII fut le dernier grand « roi de guerre », à la manière médiévale, n’hésitant pas à charger à la tête de ses troupes, partageant la précaire vie du soldat dans les camps, couchant sur la paille, buvant dans son chapeau et passant des heures à cheval sans se restaurer.

Le sens du devoir

Certes, il n’avait pas que des qualités royales. Mesquin, vétilleux, tatillon, trop soupçonneu­x, il manquait de largeur de vue. Sa femme, la reine Anne d’Autriche, en souffrit, tant il se méfiait de cette Espagnole trop coquette qui refusait obstinémen­t de devenir française. Ce n’est qu’en 1638, après vingt-trois ans de mariage et quatre fausses couches, qu’elle donna un fils à la France. Toutefois l’homme s’effaçait toujours

devant le souverain. Il accomplit son devoir d’État sans faiblesse, sans rechercher de glorificat­ion personnell­e. Il faisait corps avec sa fonction. Homme diminué, souffrant de bégaiement, constammen­t malade – il était atteint d’une entéropath­ie chronique qui se transforme­ra vraisembla­blement en maladie de Crohn –, inquiet, neurasthén­ique, tourmenté, mais homme debout, jamais démissionn­aire, constammen­t attaché à faire prévaloir sur ses désirs et ses inclinatio­ns le service de son royaume, la constructi­on de son État, reléguant au second plan ses sentiments. Il sacrifia tout à la France. On met souvent en avant son rigorisme, son intransige­ance, sa raideur native, sans souligner qu’il fut aussi un roi qui pardonnait généreusem­ent, à condition qu’on le lui demandât : sa mère, son frère Gaston, sa femme, le duc de Lorraine en furent bénéficiai­res. Il souffrait de la misère de son peuple. Non, il n’avait rien d’un coeur de pierre, inaccessib­le à la pitié ! Au contraire, il était vulnérable, tout en sachant se dominer, se ressaisir, laissant finalement parler le devoir – si cruel fut-il – plutôt que les impulsions du coeur.

Un puissant tandem…

D’une grande piété, il écrivit des offices en latin, composa des motets, voua son royaume à Dieu par Marie (tel fut le fameux voeu de Louis XIII encore célébré tous les 15 août) et mourut quasiment dans les bras de Vincent de Paul à 42 ans. Fragile, probableme­nt, et affecté terribleme­nt par la mort de son père adoré, il souffrira du manque d’amour et de l’ambition de sa mère qui n’hésitera pas à lui faire la guerre, puis, en exil, à conspirer contre lui; mais faible, certaineme­nt pas! Il avait une très haute conscience de son métier de roi et une volonté implacable de se faire obéir de ses sujets. Ses scrupules, ses hésitation­s s’effaçaient toujours devant la raison d’État et son amour de la France. C’est cette volonté, jointe au génie de Richelieu, qui fit de ce règne un grand règne. La France connut alors une profonde métamorpho­se, accouchant dans la douleur et les convulsion­s de la société nouvelle et de l’État rationnel. De cette mutation nécessaire, « Louis le Juste » fut l’un des artisans majeurs. Il ne s’agit pas de diminuer les mérites de Richelieu. Le monarque eut la chance de rencontrer cet homme d’exception, énergique et de bon conseil, qui mit sa fulgurante intelligen­ce et son indéfectib­le ardeur à son service. Entré au Conseil en 1624, celui-ci devint principal ministre en 1629, et l’année suivante, après la fameuse journée des Dupes qui marqua la rupture définitive du roi et du cardinal

Il avait une très haute conscience de son métier de roi et une volonté implacable de se faire obéir de ses sujets.

avec Marie de Médicis, il exerça l’autorité que le souverain consentit à lui laisser. Mais qu’aurait-il été sans lui? Sans ce monarque tragique, sans sa passion de la grandeur et de l’indépendan­ce, sans sa volonté de surmonter les ressentime­nts, y aurait-il eu un Richelieu? Comment ne pas comprendre que ce n’est pas parce que Louis fit choix d’un ministre d’une envergure exceptionn­elle qu’il renonça à gouverner et à être pleinement roi ! Il admettait sa complément­arité, acceptait – lui si jaloux de son autorité – cette étrange cohabitati­on avec l’un de ses sujets. … artisan de la mutation du pays Ce ne fut pas un chemin parsemé de roses : solitaire, susceptibl­e et ombrageux, Louis XIII eut du mal à supporter le tempéramen­t dominateur du cardinal. Fébrile et nerveux, le Premier ministre vivait dans la crainte constante d’être congédié et disgracié, ou pis, de connaître le sort tragique de Concini. Leurs rapports, faits d’admiration mutuelle et de crainte, furent complexes, passant de la pleine confiance au moment du siège de La Rochelle (1627), confiance confirmée avec éclat à la journée des Dupes (1630), à une terrible méfiance lors de l’affaire Cinq-Mars (1642), quand le prélat crut que le roi voulait se débarrasse­r de lui et le remplacer par le Grand Écuyer. Sans Louis XIII, pas de Richelieu, mais sans Richelieu, pas de Louis XIII! Leur oeuvre fut commune. À eux deux, ils portèrent l’État à bout de bras, jusque dans la maladie et la souffrance partagée. Ils furent les maîtres artisans d’une monarchie renouvelée, plus solide, représenta­nt une transition entre l’État moderne émergent et un monde voué à disparaîtr­e irrémédiab­lement. Achevant son oeuvre, Louis XIV ne fera qu’y ajouter la théâtralis­ation, la personnifi­cation du pouvoir et la mise en scène de sa propre gloire.

Sans ce monarque tragique, sans sa passion de la grandeur et de l’indépendan­ce, sans sa volonté de surmonter les ressentime­nts, y aurait-il eu un Richelieu ?

 ??  ?? Le Baptême de Louis XIII au château de Fontainebl­eau (1834), de Clément Boulanger (1805-1842).
Le Baptême de Louis XIII au château de Fontainebl­eau (1834), de Clément Boulanger (1805-1842).
 ??  ?? Portrait du jeune Louis XIII, de Frans Fourbus II (1569-1622)
Portrait du jeune Louis XIII, de Frans Fourbus II (1569-1622)
 ??  ?? Henri IV (1543-1610) part pour la guerre d’Allemagne et confie à la reine Marie de Médicis (1573-1642) le gouverneme­nt de son royaume, le 20 mars 1610, de Pierre Paul Rubens. Entre eux, le futur roi Louis XIII (1601-1643), enfant.
Henri IV (1543-1610) part pour la guerre d’Allemagne et confie à la reine Marie de Médicis (1573-1642) le gouverneme­nt de son royaume, le 20 mars 1610, de Pierre Paul Rubens. Entre eux, le futur roi Louis XIII (1601-1643), enfant.
 ??  ?? Portrait en pied de Louis XIII (1601-1643) en armure, école française du xviie siècle.
Portrait en pied de Louis XIII (1601-1643) en armure, école française du xviie siècle.
 ??  ?? Le Siège de La Rochelle par Louis XIII, le 8 octobre 1628, (le roi reçoit les clés de la ville), peinture allégoriqu­e du xviie siecle.
Le Siège de La Rochelle par Louis XIII, le 8 octobre 1628, (le roi reçoit les clés de la ville), peinture allégoriqu­e du xviie siecle.
 ??  ?? Saint Vincent de Paul (1581-1660) devant le lit de mort du roi Louis XIII, de Jean-François de Troy (1679-1752). Le souverain meurt le 14 mai 1643, quelques mois après Richelieu (en portrait ci-dessous, par Philippe de Champaigne (1602-1674).
Saint Vincent de Paul (1581-1660) devant le lit de mort du roi Louis XIII, de Jean-François de Troy (1679-1752). Le souverain meurt le 14 mai 1643, quelques mois après Richelieu (en portrait ci-dessous, par Philippe de Champaigne (1602-1674).
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