Au coeur d'une passion
George Sand et Alfred de Musset, les amants terribles
Elle était brune, entière, masculine et libérée des conventions sociales, autant qu’on pouvait l’être dans ce siècle très bourgeois, animée par le désir de trouver sa place dans une société réservée aux hommes; il était blond, efféminé, dépressif et torturé, génial et dépravé, en un mot, romantique. Leur amour ne pouvait être que fulgurant et violent, à l’image des nombreuses crises qui agitèrent les vingt mois de leur union et passionnèrent le Tout-Paris.
Dans le brouhaha des conversations feutrées, les deux futurs monstres sacrés de la littérature s’approchent, se reniflent, se jaugent.
Qu’est-ce qui a attiré en premier l’attention d’Alfred de Musset, lors de ce dîner organisé par François Buloz pour les collaborateurs de la Revue des Deux Mondes? La chevelure de jais ? Les grands yeux sombres, qui dévorent un visage singulier, aux traits affirmés? Ou n’est-ce pas ce petit poignard effrontément glissé à la ceinture rouge, qui semble narguer l’assemblée d’hommes occupés à se congratuler mutuellement? Car ce soir de juin 1833, George Sand est bien la seule femme présente. Collaboratrice de la revue, elle est aussi auréolée du succès d’un premier roman, Indiana, que plusieurs des messieurs présents, Mérimée, SainteBeuve, Dumas, ont lu et apprécié, dont Musset. Une réputation de dépravé et un regard d’enfant De son côté, George Sand a remarqué la silhouette de dandy, le soin apporté à la tenue, les boucles blondes, les yeux bleus qui éclairent le visage fin… Musset est précédé d’une réputation sulfureuse de séducteur habitué des bouges et des femmes de petite vertu, qui contraste singulièrement avec sa gueule d’ange. Il a à peine 23 ans! Ça tombe bien, du haut de ses 29 ans, George a l’amour juvénile, à l’image de son dernier protégé, Jules Sandeau, un écrivaillon sans ardeur, dont elle commence à se lasser. Ils ont pourtant écrit un roman à quatre mains, signé J.Sand, mais voilà, le coeur n’y est plus. Dans les volutes de cigares et le brouhaha des conversations feutrées, les deux futurs monstres sacrés de la littérature s’approchent, se reniflent, se jaugent... et discutent longuement avant de repartir chacun dans sa vie. Alfred chez ses Grisettes, George à Nohant, retrouver ses enfants et un mari qui n’en a plus que le titre, Camille Dudevant. Musset est marqué au fer rouge par cette femme fière qui aime s’habiller en homme; Sand est touchée au coeur par cette sensibilité à fleur de peau, ce désespoir d’enfant qui ne demande qu’à être consolé. Ils commencent à s’écrire, se chercher et, se cachant derrière les mots, à se séduire avec des images et des formules enflammées. Chacun attend que l’autre capitule. Musset cède : « Je vous aime comme un enfant.» Ce sont les mots qu’il fallait à George pour s’embraser. Et elle est désormais libre. Séparée physiquement de son mari qui lui a accordé sa liberté, elle vient de quit
ter Jules Sandeau, surpris en flagrant délit avec une lingère, et a entamé une liaison torride mais sans avenir avec la comédienne Marie Dorval. Elle a bien essayé aussi Prosper Mérimée, un temps attirée par son assurance distinguée, mais une nuit a suffi pour lui démontrer que cette confiance en lui s’arrêtait au pied du lit. Un goût pour les jeunes hommes Le jour où Musset grimpe les cinq étages de son appartement du quai Malaquais, elle lui tombe dans les bras. Ils n’ont plus qu’à s’aimer comme des fous, ce qu’ils vont faire pendant quelques semaines, elle écrivant sans relâche – elle est un bourreau de travail, ce que Musset lui reprochera – lui rêvant, jetant quelques vers sur du papier, ou la dessinant. Elle le subjugue, il sent le génie chez elle, lui qui professe, avec toute la morgue d’un enfant mal-aimé, son mépris des femmes. Elle exulte, elle rêve depuis si longtemps d’une union physique et intellectuelle avec un artiste, elle qui a eu tant de mal à faire reconnaître son talent d’écrivaine. Le nid d’amour sous les toits, avec vue sur la Seine et les toits du Louvre, abrite leur bonheur, celui des premiers temps. Musset s’est installé chez elle, ils écrivent, fument, elle du tabac d’Égypte dans sa pipe, lui des cigares de La Havane, font des projets de voyage. La crise de Fontainebleau Pour leur première escapade, ils se rendent à la forêt de Fontainebleau pour une semaine. Le grand air leur fait du bien, la forêt est belle à parcourir à cheval. Alors qu'ils passent une nuit dehors sous la protection de la lune, soudain, Musset qui s’était éloigné dans la pénombre pousse un grand cri. George le retrouve prostré contre un arbre, en proie à une vision, celle d’un homme âgé qui lui ressemble sortant d’un cimetière. Il paraît terrifié, malgré les propos rassurants de George. Elle le convainc de rentrer avec elle à l’auberge. Dans le silence de leur chambre, son amant endormi à ses côtés, George s’interroge. SainteBeuve a-t-il raison, lui qui l’a prévenue des crises de delirium dont souffre son ami ? Musset est-il fou ou dépressif? Elle se promet de le faire soigner, si les crises reviennent et si leur amour perdure.