Fiction ou réalité?
J'accuse, de Roman Polanski
La vie… ce n’est pas toujours du cinéma. Les films ou séries historiques prennent parfois leurs aises, volontairement ou non, avec la réalité. Erreurs historiques, anachronismes, trucages font partie du jeu cinématographique. Saurez-vous démêler la fiction de la réalité dans le film J'accuse de Roman Polanski ?
En 1895, le lieutenant-colonel Picquart est nommé à la tête du contre-espionnage. Informé des agissements d’un officier qui négocie des informations sensibles avec l’ambassade d’Allemagne, il démasque le sulfureux capitaine Esterhazy. L’enquête amène Picquart à constater que l’écriture d’Esterhazy est analogue à celle du document qui, quelques mois auparavant, a fait condamner le capitaine Dreyfus pour espionnage. Cherchant à en avoir le coeur net, Picquart découvre qu’il n’existe aucune preuve contre Dreyfus: le « dossier secret » supposé avoir emporté l’intime conviction des juges est vide. Il en informe sa hiérarchie qui, tant pour éviter le scandale que par antisémitisme, refuse d’envisager l’innocence de Dreyfus. Picquart rend alors l’affaire publique en donnant à Émile Zola les informations qui lui permettront de publier son fameux « J’accuse ». Même si l’officier est emprisonné à son tour, la vérité finit par faire son chemin. Dreyfus sera réhabilité et Picquart deviendra ministre de la Guerre.
Émile Zola a déclenché l’affaire Dreyfus en publiant J’accuse
FAUX Avant le fameux article publié sur six colonnes à la une de L’Aurore le 13 janvier 1898, la presse a déjà révélé le scandale. Pour rendre l’histoire compréhensible, le scénario a quelque peu bouleversé la chronologie. Dans la réalité, le 22 décembre 1894, Dreyfus est condamné à la déportation, son recours étant rejeté le 31 décembre par la Cour de cassation. Le 5 janvier 1895, Dreyfus est dégradé puis déporté en Guyane. Le 14 juillet de la même année, Picquart prend la tête des services de renseignement. Le 2 mars 1896, il constate la similitude des écritures d’Esterhazy et de Dreyfus. Le 1er septembre, il prévient sa hiérarchie d’une erreur judiciaire. Après la publication d’informations en Belgique puis dans le quotidien Le Matin, Picquart est muté en Tunisie tandis que l’armée se couvre en fabriquant de faux documents. En juin-juillet 1897, Picquart, de retour en France, confie ses informations à un ami avocat, qui convainc le vice-président du Sénat de l’innocence de Dreyfus. 5 novembre 1897: Le Temps dévoile le scandale, et le 25, Zola signe un premier
article dans Le Figaro. C’est seulement le 13 janvier 1898 qu’est publié le fameux «J’accuse», qui entraîne l’arrestation de Picquart et la condamnation de Zola.
Picquart, héros et victime de l’affaire
VRAI ET FAUX Lorsqu’il découvre que Dreyfus a été condamné à tort, Picquart alerte sa hiérarchie, non pour sauver un innocent, mais parce qu’il craint qu’un jour le scandale n’éclate et mette à mal l’honneur de l’armée. Il ne dissimule d’ailleurs pas son propre antisémitisme. C’est la réaction de la hiérarchie militaire – elle l’a envoyé en mission suicide en Tunisie – qui va l’amener à s’engager dans une action qui le fera condamner à son tour. Et c’est pour se protéger lui-même qu’il veut sauver Dreyfus. Picquart devient une victime lorsqu’il est emprisonné et rayé des cadres de l’armée. Dreyfus est gracié par le président de la République le 19 septembre 1899. Il exige alors sa réhabilitation, qu’il obtiendra en 1906 seulement, en même temps que celle de Picquart! En fait, c’est lorsque l’affaire Dreyfus devient un scandale politique que Picquart est sacré héros du camp des « dreyfusards ».
L’affaire Dreyfus a menacé la Troisième République
VRAI L’affaire Dreyfus prend sa dimension politique le 7 juillet 1898, lorsque Cavaignac, ministre de la Guerre, est amené à affirmer devant la Chambre des députés que l’armée détient les preuves de la culpabilité de Dreyfus dans un dossier secret. Picquart est alors écroué à la prison de la Santé tandis que Zola doit s’enfuir en Angleterre. Comme peu à peu, la vérité s’impose, le cas de Dreyfus et de Picquart cristallise l’opposition entre une France des institutions, qui se caractérise par son nationalisme et son antisémitisme, et une pensée humaniste, regroupant des personnalités aussi différentes que Georges Clémenceau, Charles Péguy, Gabriel Monod, Émile Zola ou Auguste Scheurer-Kestner alors vice-président du Sénat. Cette pensée va fédérer une alliance politique de la gauche divisée entre radicaux, radicaux-socialistes, républicainssocialistes et socialistes.
L’affaire a entraîné la création de la Ligue des droits de l’Homme
VRAI Aujourd’hui tombée dans l’oubli, la Ligue de l’intérêt public, Société protectrice des citoyens contre les abus, avait été créée en 1881 par Georges Clémenceau, Victor Hugo et Louis Blanc, entre autres. Elle inspira le sénateur de la Gironde Ludovic Trarieux, l’un des premiers personnages politiques à avoir vu dans la condamnation de Dreyfus une menace contre les libertés individuelles. Après avoir déposé pour soutenir Zola poursuivi en diffamation après la publication de J’accuse, il réunit des hommes politiques et des intellectuels favorables à la révision du procès Dreyfus, dans la Ligue des droits de l’Homme, officiellement enregistrée le 4 juin 1898. La LDH poursuit aujourd'hui son rôle de défenseur de l’État de droit contre les injustices et décisions arbitraires.
Dreyfus fut déporté sur une île déserte
VRAI Dreyfus fut condamné à la déportation perpétuelle au bagne dans une enceinte fortifiée et aurait donc dû être interné en Nouvelle-Calédonie. Dans la crainte d’une évasion, l’autorité militaire fit voter une loi établissant les îles du Salut, en Guyane, comme lieu de déportation en enceinte fortifiée. À 15 km au large de Kourou, l’archipel se compose de trois terres séparées du continent par une mer dangereuse et infestée de requins: l’île Royale qui abritait un des bagnes de Guyane et deux îles désertes, les îles Saint-Joseph et du Diable. C’est sur cette dernière qu’on logea Dreyfus dans une cahute de 16 mètres carrés, seul habitant de l’Île avec des geôliers. Il y passa même un certain temps aux fers, à la suite d’une rumeur de tentative d’évasion.