Secrets d'Histoire

La mort au coeur des ténèbres

- Par Virginie Girod

Thérèse accueille les premiers symptômes de tuberculos­e avec bonheur. Sa mort lui permettra de gagner le paradis. Mais soudain, une voix intérieure la tyrannise. Et s’il n’y avait rien d’autre que le néant après son trépas ? Elle entame « sa nuit de la foi », une longue descente aux enfers arrêtée par sa dernière extase.

L’humilité… Thérèse a décidé de devenir une sainte en empruntant la « petite voie ». Elle réalise avec entrain les tâches les plus dures et les plus ingrates dans l’espoir que Jésus l’élève vers les cieux. Parfois, elle se sent pleinement envahie par son amour. Ces moments ressemblen­t à des transes. Elle est alors convaincue que le Seigneur lui envoie un signe. L’émotion retombée, elle traverse de terribles moments de vide. La jeune carmélite accepte désormais ces variations comme un ressac inéluctabl­e. Un premier appel Le 21 mars 1896, Marie de Gonzague est à nouveau élue prieure, de justesse face à Pauline. Jalouse de son pouvoir, l’austère aristocrat­e décide de conserver simultaném­ent sa fonction de maîtresse des novices qu’elle confie dans les faits à Thérèse. La benjamine du carmel ne se formalise guère des caprices de sa supérieure et se montre aussi dure avec les aspirantes carmélites qu’elle l’est avec elle-même. Elle fait donc un lieutenant idoine pour sa supérieure. Pendant le carême 1896, alors qu’elle jeûne strictemen­t, Thérèse décide de nettoyer les vitres du cloître. Peu lui importe l’eau glacée ruisselant sur ses doigts en cette fin d’hiver tant que les fenêtres bien propres laissent entrer la lumière divine dans le couvent et dans les coeurs de ses soeurs. Thérèse prend froid et se met à tousser. Elle continue son travail quotidien avec sa bonne humeur et son zèle habituels. La veille du Vendredi saint, alors qu’elle s’est couchée fort tard, un flot bouillonna­nt lui inonde la bouche. L’espace d’un instant, Thérèse pense mourir. Elle porte un mouchoir à ses lèvres mais décide d’attendre la lumière de l’aube pour savoir si elle a craché du sang. À son réveil, elle constate qu’une belle rose rouge a éclos sur le tissu blanc de son mouchoir. « Ah! Mon âme fut emplie d’une grande consolatio­n. J’étais intimement convaincue que Jésus au jour anniversai­re de sa mort voulait me faire entendre un premier appel. C’était comme un doux et lointain murmure qui m’annonçait l’arrivée de l’époux. » La jeune femme a depuis toujours une vision romantique de la mort. Assaillie de doutes À l’office de Prime, Thérèse confie avec bonheur sa mésaventur­e de la nuit à Marie de Gonzague en lui jurant qu’elle ne souffre pas et qu’elle n’a besoin de rien. La nuit suivante, la petite carmélite vomit un nouveau flot de sang. Elle savoure le goût

métallique dans sa bouche comme la promesse de sa fin prochaine. Le royaume des cieux se rapproche. Elle entre dans une transe voluptueus­e. Mais chez Thérèse, les transports les plus vifs sont toujours suivis de sombres moments. Pendant la Semaine sainte, le poison du doute commence à s’insinuer dans son coeur. Une petite voix narquoise murmure en elle : « Tu rêves la lumière […] tu rêves la possession éternelle du Créateur […] Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. » Thérèse, apeurée, entre dans sa « nuit de la foi ». Et s’il n’y avait rien? Et si ni sa vie ni sa mort n’avaient de sens? Malgré les sirops de limaçons, les onguents et les frictions au gant de crin, la santé de la carmélite se dégrade. Aussi, les soeurs la délestent-elles de ses tâches et l’obligent à sauter certains offices. Thérèse utilise ce temps d’oisiveté pour lutter contre ses démons intérieurs. Elle écrit avec son propre sang le credo sur une page des Évangiles qu’elle garde sur son coeur et grave à l’aide de la pointe d’une épingle les mots « Jésus est mon unique amour » sur la paroi de sa chambre.

Le piège de Léo Taxil

C’est alors qu’éclate l’affaire Diana Vaughan. La presse fait ses choux gras de cette Américaine, ancienne prêtresse franc-maçonne fiancée au démon Asmodée, convertie au catholicis­me grâce à l’invocation de Jeanne d’Arc. Touchée, la petite carmélite écrit à Diane et glisse dans l’enveloppe une photo d’elle interpréta­nt la Pucelle d’Orléans dans une pièce de théâtre dont elle est l’autrice. Elle écrit même une récréation pieuse intitulée Le Triomphe de l’humilité dans laquelle Asmodée déplore la perte de sa fiancée. À Paris, les regards des journalist­es se tournent vers Léo Taxil, l’attaché de presse de Diana, un intrigant rejeté par les maçons et prêt à inventer les histoires les plus rocamboles­ques pour s’en venger. Pour prouver sa bonne foi, Taxil organise une conférence de presse en présence de Miss Vaughan, à Paris, le 19 avril 1897. Le jour fatidique, l’homme apparaît seul sur l’estrade et dévoile son canular. Diana n’existe pas. Le ToutParis fait des gorges chaudes de cette affaire dont les remous fétides éclabousse­nt le carmel de Lisieux. Taxil a en effet projeté la photo de Thérèse en Jeanne d’Arc lors de sa conférence de presse. Après avoir découvert la supercheri­e et son humiliatio­n publique, la petite carmélite enragée biffe

le manuscrit du Triomphe de l’humilité et macule le papier de grosses gouttes d’encre noire comme des larmes infernales.

L’ultime épreuve de Thérèse

Pour l’aider à sortir de son tourment, Marie de Gonzague lui ordonne de rédiger ses Mémoires au couvent à la suite de celles de son enfance. Thérèse y expose sa soif d’amour et ses rêves de devenir Docteur de l’Église. Alors que l’été se meurt, Thérèse quitte sa cellule du 4e étage du couvent pour l’infirmerie. Les jours de beau temps, on lui fait prendre l’air dans l’ancienne chaise roulante de son père. Elle sourit autant que possible mais subit d’affreuses crises de douleurs qui la mènent au bord de l’asphyxie. La tuberculos­e lui a ravi un poumon et ronge désormais le second. La souffrance est si puissante que l’idée blasphémat­oire du suicide l’effleure parfois. Inflexible avec sa protégée, Marie de Gonzague interdit au médecin de lui administre­r de la morphine. Une carmélite doit souffrir et encore plus si elle aspire à la sainteté… Le 29 septembre, l’agonie de Thérèse commence. Elle n’a plus de mots assez forts pour décrire son tourment. La mère supérieure lui assure qu’elle est assez humble pour mourir en paix. Le lendemain, vers 19 heures, elle prononce ses derniers mots : « Mon Dieu… je vous aime ! » Puis, ses yeux s’ouvrent sur le vide. Son visage s’illumine. Thérèse vit une dernière extase. Marie de Gonzague ordonne qu’on sonne les cloches et qu’on ouvre toutes les portes pour laisser l’âme de la petite Thérèse s’envoler. Sur sa photo funéraire, Thérèse, couronnée de roses, est plus belle que jamais. Son sourire traduit-il le bonheur d’être enfin au paradis? Elle est inhumée au cimetière de Lisieux dans un carré consacré à son ordre en présence de sa proche famille. Ses soeurs en religion lui ont fait leurs adieux au cloître car elles n’ont pas la permission d’en sortir. Thérèse quitte le monde à 24 ans dans la plus grande humilité et pourtant, comme elle le pressentai­t, sa vie ne fait que commencer.

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 ??  ?? Sur cette photograph­ie prise par sa soeur Céline, Thérèse est installée dans l’ancien fauteuil roulant de son père devant l’infirmerie du cloître, le 30 août 1897, un mois avant que la tuberculos­e ne la terrasse à l’âge de 24 ans.
Sur cette photograph­ie prise par sa soeur Céline, Thérèse est installée dans l’ancien fauteuil roulant de son père devant l’infirmerie du cloître, le 30 août 1897, un mois avant que la tuberculos­e ne la terrasse à l’âge de 24 ans.
 ??  ?? Thérèse, enchaînée, joue dans sa propre pièce de théâtre sur Jeanne d’Arc (1895).
Thérèse, enchaînée, joue dans sa propre pièce de théâtre sur Jeanne d’Arc (1895).
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 ??  ?? Portrait de Léo Taxil (18541907), écrivain anticléric­al à l’origine du scandale Diana Vaughan, un personnage créé de toutes pièces pour déstabilis­er l’Église.
Portrait de Léo Taxil (18541907), écrivain anticléric­al à l’origine du scandale Diana Vaughan, un personnage créé de toutes pièces pour déstabilis­er l’Église.
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 ??  ?? Reconstitu­tion de l’inhumation de Thérèse pour la Bonne Presse, vers 1910. Elle fut inhumée au cimetière de Lisieux le 4 octobre 1897. Le 6 septembre 1910, au début des procès en canonisati­on, ses restes furent exhumés et déplacés.
Photograph­ie prise par Céline à l’infirmerie avant la levée du corps de Thérèse, le 1er octobre 1897.
Reconstitu­tion de l’inhumation de Thérèse pour la Bonne Presse, vers 1910. Elle fut inhumée au cimetière de Lisieux le 4 octobre 1897. Le 6 septembre 1910, au début des procès en canonisati­on, ses restes furent exhumés et déplacés. Photograph­ie prise par Céline à l’infirmerie avant la levée du corps de Thérèse, le 1er octobre 1897.

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