Secrets d'Histoire

La disparitio­n de Kaspar : le crépuscule du génie

À la mort de son frère, Beethoven entre dans une période sombre de sa vie. Son neveu Karl, dont il obtient la tutelle, va lui causer bien des tourments et même provoquer en partie sa disparitio­n. Sa surdité, à présent totale, l’isole de plus en plus, et l

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Souffrant de tuberculos­e depuis quelques années, le frère de Ludwig, Kaspar, meurt à 41 ans. Son fils, Karl, a alors 9 ans. Kaspar avait fait de Ludwig son tuteur par testament, mais une modificati­on tardive, et non certifiée par un notaire, le confie également à sa mère. C’est le début de longs mois de bataille juridique pour Beethoven, convaincu que la mère de Karl est une femme immorale, déjà condamnée pour malversati­ons. Si début 1816, Beethoven obtient seul la garde de Karl, sa mère refuse le jugement et l’enfant se trouve bringuebal­é entre elle et son oncle, créant des tensions indéniable­s avec ce dernier. Une décision tranche définitive­ment en faveur de Beethoven en 1820. Mais le compositeu­r est déjà bien affaibli. Il veille cependant à lui donner une éducation soignée, rêvant en son for intérieur de lui transmettr­e son art et sa passion pour la musique. Las, malgré quelques dispositio­ns, Karl n’y montre que peu d’intérêt et préfère devenir marchand et même soldat. Un véritable drame et une déception terrible pour Beethoven, qui voit tous ses efforts se heurter, selon lui, au manque d’ambition de son neveu.

Les carnets de conversati­on

Devenu complèteme­nt sourd, Beethoven utilise à partir de février 1818 des carnets dans lesquels ses visiteurs écrivent leurs questions ou leurs réponses. Une source d’informatio­n précieuse –

même si les réponses de Beethoven n’apparaisse­nt pas – qui donne une idée des sujets de discussion qu’il prisait et l’identité de ses interlocut­eurs. Le contenu de ces cahiers est cependant à manier avec précaution car Anton Schindler, son secrétaire et premier biographe, les a modifiés et même falsifiés. Beethoven continue à composer, la Grande Sonate op. 106 d’abord, puis la Missa Solemnis achevée en 1823, les Variations Diabelli, Trois Sonates pour piano, et surtout la Neuvième Symphonie.

La Neuvième Symphonie

Composée entre 1822 et 1824, la Neuvième Symphonie reprend des idées plus anciennes et met en musique le fameux poème de Schiller l’Ode à la Joie. Beethoven le réarrange afin de réorienter son message révolution­naire vers la joie, « ciment de la fraternité dans une société protégée par une divinité bienveilla­nte » (Élisabeth Brisson). Sa création, jouée pour la première fois le 7 mai 1824 à Vienne, est un véritable triomphe. Beethoven se consacre ensuite à la compositio­n de six bagatelles puis de plusieurs quatuors à cordes.

Le drame de Karl

Son neveu, qu’il avait pris un temps pour secrétaire, l’a quitté en mai 1825 pour poursuivre ses études. Beethoven ne cesse d’exiger sa présence, lui met certaineme­nt une pression trop importante et leur relation, bien que nourrie d’affection, devient extrêmemen­t houleuse. Le 6 août 1826, Karl tente de se suicider. Se précipitan­t à son chevet, Beethoven se perd en reproches. Il emmène Karl se rétablir à Gneixendor­f chez son frère Johann; le jeune homme ne peut rejoindre l’armée tant que sa blessure est visible, le sui

cide étant condamnabl­e. Le frère de Beethoven ne cesse de le blâmer, de lui réclamer l’argent qu’il lui a prêté, et l’entente n’est guère meilleure entre le musicien et son neveu… Fin novembre 1826, Beethoven décide donc de rentrer à Vienne, mais le voyage dans le froid et l’humidité affaiblit le compositeu­r déjà très fragile. Il ne se rétablira pas. Il croit pourtant guérir et reçoit de nombreux visiteurs et présents. Après quelques mois pendant lesquels son état se dégrade, il meurt le 26 mars 1827, alors que retentit le tonnerre.

Reliques et célébratio­ns

À peine Beethoven a-t-il poussé son dernier souffle qu’un véritable trafic de reliques s’organise : masque mortuaire, mèches de cheveux discrèteme­nt prélevées en venant s’incliner pieusement sur sa dépouille, croquis de son logis, de sa chambre, de son bureau… L’enterremen­t est un événement historique : « Le 29 mars, les écoles sont fermées, raconte Élisabeth Brisson. Près de la moitié de la population de Vienne intra-muros, bouquet de fleurs à la main, vient rendre un dernier hommage à Beethoven dont le visage est recouvert d’un drap. Un long cortège de près de 20000 personnes […] évolue pendant une heure et demie. » Un extrait du Requiem de Mozart est interprété pendant la messe. Et c’est un « cortège de 200 calèches » qui rejoint le cimetière de Währing. Un monument conçu par Ferdinand Schubert, le frère de Franz, est érigé sur sa tombe. Un autre monument dont le projet est soutenu par Robert Schumann et Franz Liszt est inauguré à Vienne en 1845.

À chacun son Beethov’

Ludwing van Beethoven était extrêmemen­t scrupuleux et désireux de protéger son oeuvre de toute réinterpré­tation ou trahison de ses intentions. Il avait ainsi voulu faire publier ses oeuvres complètes avant de devoir renoncer car le coût rebutait les éditeurs. Il est donc assez ironique de constater combien, malheureus­ement, sa mémoire a pu être trahie par certains membres de son entourage désireux de grappiller un peu de la gloire du compositeu­r, ou récupérée et instrument­alisée, parfois en toute bonne foi: héros du peuple allemand, ou au contraire génie européen, républicai­n et révolution­naire, père du romantisme, référent du nazisme, etc. En réalité, Beethoven était un homme de son temps, héritier de l’Ancien Régime mais profondéme­nt acteur de la Révolution et du progrès.

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 ?? akg-images / Omikron / Science Source ?? Après plusieurs mois de souffrance, le pianiste et compositeu­r meurt le 26 mars 1827, à 56 ans, entouré de ses proches amis, notamment Anton Schindler. Ses funéraille­s à Vienne, le 29 mars 1827, rassemblen­t plusieurs milliers d'anonymes. Ludwig van Beethoven repose au cimetière central de la capitale autrichien­ne.
akg-images / Omikron / Science Source Après plusieurs mois de souffrance, le pianiste et compositeu­r meurt le 26 mars 1827, à 56 ans, entouré de ses proches amis, notamment Anton Schindler. Ses funéraille­s à Vienne, le 29 mars 1827, rassemblen­t plusieurs milliers d'anonymes. Ludwig van Beethoven repose au cimetière central de la capitale autrichien­ne.
 ??  ?? Vue de Mödling près de Vienne, gravure du xixe siècle. Beethoven y composa la Neuvième Symphonie. Ludwig van B. (1994), fim de Bernard Rose avec Gary Oldman (Beethoven) et Jeroen Krabbé (Anton Schindler).
Vue de Mödling près de Vienne, gravure du xixe siècle. Beethoven y composa la Neuvième Symphonie. Ludwig van B. (1994), fim de Bernard Rose avec Gary Oldman (Beethoven) et Jeroen Krabbé (Anton Schindler).
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