Secrets d'Histoire

Décembre 1833-mars 1834 : l’enfer de Venise

-

Venise, cité des amoureux? Elle a abrité la passion de Sand et de Musset, partis en Italie pour graver leurs noms à côté de ceux de Roméo et Juliette, Dante et Béatrice. La réalité, moins romantique, est celle d’un couple qui se déchire. Elle est très indépendan­te, lui est un enfant gâté soumis à ses addictions, et l’apparition d’un deuxième homme donne à l’intrigue des allures de vaudeville.

Le calme est revenu dans le nid d’amour du quai Malaquais. Alfred ne donne plus aucun signe de son malaise, George respire et se prend à penser au futur. Ils vont au théâtre, à l’opéra, fréquenten­t les cafés, et ils écrivent côte à côte. Ils font des rêves d’avenir, parlent voyages, s’emballent pour l’Italie, alors très à la mode. Rome ou Venise ? Ce sera la cité des Doges, sur les pas de Lord Byron, le dandy préféré des romantique­s. D’ailleurs, Chateaubri­and n’appelle-t-il pas George « le Byron de la France » depuis la lecture de son nouveau roman, Lélia ? Les charmes sulfureux de la cité des Doges Venise n’est pas encore consacrée ville des amoureux telle que nous la connaisson­s aujourd’hui ; elle est la ville de l’amour, plus profane que sacré, la faute à Casanova, à la tradition des courtisane­s et celle des sigisbées, ces jeunes galants, compagnons officiels des femmes mariées, contrôlés et surveillés par le vieux mari. Ce parfum d’érotisme allié aux charmes de la ville enveloppée de brumes hivernales ne peut qu’émoustille­r nos deux tourtereau­x. Le voyage est long, qui leur fait traverser la France, dont une partie en compagnie de Stendhal, un autre amoureux de l’Italie, en route vers son poste de consul à Trieste. Sitôt franchie la frontière, voilà que George tombe malade à Gênes. Alfred ne se sent pas l’âme d’un gardemalad­e et part découvrir les lieux de perdition de la ville... George se remet; les voilà à Pise, puis à Florence où elle tombe en arrêt devant des fresques, qui lui inspirent un drame autour des amours d’un héros nommé Lorenzo, Une conspirati­on en 1537... Elle en fait don à Musset qui, un an plus tard, publiera Lorenzacci­o. Début janvier 1834, les voilà enfin à Venise. Ils s’installent à l’hôtel Danieli et s’offrent une première découverte de la ville, poussent jusqu’au Lido où ils échangent de grandes promesses d’amour. Mais voilà que sitôt rentrés à l’hôtel,

George s’installe à sa table de travail, son éditeur attend son prochain ouvrage. Il va bien falloir payer l’hôtel! Alfred l'enfant gâté a bien du mal avec les contingenc­es matérielle­s. Il ne comprendra jamais qu’elle est un bourreau de travail et la surnomme « la religieuse ». Lorsque le médecin paraît Voilà que George tombe à nouveau malade et souffre de dysenterie, ce qui favorise peu le romantisme. C’en est trop pour Alfred ! Écoeuré, il fuit une réalité décidément trop triviale pour aller s’adonner à ses trois passions : le sexe, le vin, le jeu, et il se lance dans une relation effrénée avec une courtisane, la Gritti. Mal lui en prend, car George, alitée, fait la connaissan­ce de Pietro Pagello, aussi bon médecin que bel homme. Ces deux-là se plaisent. Il a un physique puissant et une bonté simple, et elle commence à se lasser des minets efféminés et capricieux. Alors quand Alfred tombe malade à son tour, après avoir fait une autre crise semblable à celle de Fontainebl­eau, l’écrivaine et le médecin s’avouent leur attirance et se rejoignent au chevet du poète. George écrira plus tard: « J’aimais Pietro comme une mère, tu étais notre enfant à tous les deux. » Tiraillés entre l’amour et l’amitié Un drôle de trio se forme alors. George et Pietro deviennent amants, Alfred ne le sait pas encore mais le pressent. Il est jaloux mais finit par se lier d’amitié avec son rival. George se venge des infidélité­s d’Alfred et de son incapacité à s’occuper d’elle quand elle était malade, mais elle doit aussi admettre qu’elle est amoureuse du beau médecin et de sa force tranquille. Son coeur hésite car elle est toujours très attachée au poète. Il lui faudrait les deux! Elle finit par avouer la vérité à Musset, et lui qui lui avait pourtant clamé haut et fort son désamour se rend compte qu’il tient toujours à elle… maintenant qu’elle lui échappe ! La suite est dictée par l’orgueil. Musset décide de se sacrifier pour celle qu’il aime, en rentrant à Paris pour assister aux répétition­s des Caprices de Marianne. Avoir le beau rôle, c’est important ! Alors, il confie George à son ami Pietro en l’adjurant de ne pas se tuer à la tâche et en prônant les vertus de l’amitié. Ce jour de mars 1834, dans la cour des postes, les adieux sont déchirants.

 ??  ?? La Nuit d'octobre, 1883, illustrati­on des oeuvres d'Alfred de Musset (1810-1857), d'Eugène Lami. Les Nuits est un recueil de quatre poèmes qui forment un cycle comme les quatre saisons, écrits entre 1835 et 1837 et qui évoquent la rupture du poète avec George Sand.
La Nuit d'octobre, 1883, illustrati­on des oeuvres d'Alfred de Musset (1810-1857), d'Eugène Lami. Les Nuits est un recueil de quatre poèmes qui forment un cycle comme les quatre saisons, écrits entre 1835 et 1837 et qui évoquent la rupture du poète avec George Sand.
 ??  ?? Vue d'une partie du palais ducal et de la piazzetta de Venise, de Théodore Turpin de Crissé (1782-1859). De nombreux peintres immortalis­èrent la cité des Doges en pleine mutation au xixe siècle.
Vue d'une partie du palais ducal et de la piazzetta de Venise, de Théodore Turpin de Crissé (1782-1859). De nombreux peintres immortalis­èrent la cité des Doges en pleine mutation au xixe siècle.
 ??  ??
 ??  ?? Ci-contre, à gauche, situé tout près de la place Saint-Marc et du palais des Doges, le mythique hôtel Danieli accueillit le couple lors de son séjour à Venise. Sa décoration intérieure faite d'oeuvres d'art, mobilier original, tapisserie­s et lampes de Murano en font un lieu d'exception. Ci-contre, portrait d'Alfred de Musset,
de Louis Picard (1861-1940).
Ci-contre, à gauche, situé tout près de la place Saint-Marc et du palais des Doges, le mythique hôtel Danieli accueillit le couple lors de son séjour à Venise. Sa décoration intérieure faite d'oeuvres d'art, mobilier original, tapisserie­s et lampes de Murano en font un lieu d'exception. Ci-contre, portrait d'Alfred de Musset, de Louis Picard (1861-1940).

Newspapers in French

Newspapers from France