Secrets d'Histoire

La mutinerie des orphelins de Vermiraux

- Par Didier Daeninckx

Le 2 juillet 1910, l’institut éducatif et sanitaire des Vermiraux situé à Quarré-les-Tombes, dans le départemen­t de l’Yonne, est le théâtre d’une véritable mutinerie. Des dizaines d’enfants parmi les 120 pensionnai­res prennent pour cible les façades de l’établissem­ent, criblent les carreaux de pierres, tandis que plusieurs de leurs camarades sautent les murs pour gagner la campagne. Les gendarmes, qu’une prime récompense­ra, ne tardent pas à rattraper les fugitifs, comme en avril, en mai, en juin de la même année. La répétition des mouvements de révolte incite le préfet à assister aux premiers interrogat­oires menés par le juge d’instructio­n Guidon. Les enfants, des orphelins de la région parisienne, condamnés pour vagabondag­e, certains dès l’âge de 8 ans, font état de maltraitan­ce, de viols, de sévices ayant conduit à la mort de pensionnai­res. À l’époque, le départemen­t compte 100000 habitants dont 22000 mineurs placés… Certains demandent à être mis en prison pour échapper à l’enfer. Ils désignent le couple de directeurs, les Soliveau, des membres du personnel ainsi qu’Armand Landrin qui fait office d’administra­teur. 24 mutins sont inculpés de voies de fait et de coups et blessures, mais l’enquête s’oriente vite vers les raisons de la révolte, d’autant qu’on exhume une plainte collective des enfants, l’année précédente, et les nombreuses suspicions de viols sur mineurs à l’encontre du gardien Laresche. Les accusés se font alors accusateur­s et des détails sordides corroborés par de multiples témoignage­s filtrent dans la presse. On parle du chien Diabolo dressé pour mordre les récalcitra­nts, des oreilles décollées par les mains expertes des gardiens, des os brisés par les coups de matraque, du mitard dans lequel on croupit pendant des mois, et qui sera fatal au jeune RenéCharle­s Ensel dont les pieds gelés furent pris par la gangrène. L’instructio­n découvre un système de prédation organisé par Armand Landrin et ses complices et duquel les instances de contrôle détournent les yeux, l’administra­tion de l’Assistance publique prévenant Landrin des jours de passage de ses inspecteur­s! On détourne l’argent public en rognant sur les frais d’entretien et d’abord la nourriture. On accommode de la viande pourrie infestée de vers que même les chiens refusent, la soupe faite à base de légumes corrompus sent le phénol, le purin… Même chose pour les vêtements: le trousseau réglementa­ire a été aboli et on se repasse d’année en année des chemises élimées, des pantalons mal rapiécés. Les colons sont en guenilles, on marche pieds nus ou avec des sabots fendus rafistolés au fil de fer. On dort à deux ou trois dans des coffres garnis de paille. L’air du dortoir des incontinen­ts est suffocant. La litière n’étant presque jamais changée on y attrape la teigne, la gourme… Un témoin résume la situation: « Ils n’avaient plus rien d’humain. Ils étaient une dizaine contre le mur, muets, rampants, sales, décharnés, à moitié vêtus. » L’infirmerie aux murs suintants d’humidité sert d’annexe aux dortoirs ne dispose d’aucun médicament. On met à jour une série de décès provoqués par ce dénuement organisé: celui de Peyrolet, 12 ans, celui de Descarcin, 15 ans, celui de Rio, 12 ans, celui de Dubuffet, 15 ans. Les journaux ressortent de l’ombre les faits de sévices sexuels infligés à une dizaine de pensionnai­res par le gardien Laresche appuyés par les témoignage­s de membres du personnel. Malgré une instructio­n qui concluait que « Laresche s’adressait pour satisfaire sa honteuse passion de préférence à des enfants dont le sens moral était tout à fait arriéré et la résistance facile à vaincre », il est acquitté par la Cour d’assises de l’Yonne. Le journalist­e de L’Éclair, Gabriel Latouche, braquera le projecteur sur l’abbaye de la Pierre-qui-Vire, un établissem­ent d’accueil de jeunes filles géré par Armand Landrin, et fermé à la suite du geste désespéré d’une pensionnai­re qui voulait se soustraire aux jeux érotiques de notables venus de la ville. Le procès des Thénardier de Quarréles-Tombes se tient à Avallon en juillet 1911, un an après la révolte des enfants. Le journal L’Éclair souligne que Landrin s’appropriai­t le salaire des enfants de 13 ans qu’il plaçait chez des paysans et que cet argent lui avait permis de bâtir un castel « dont les pierres suintent des larmes et du sang ». Le verdict prononcé le 22 juillet 1911 inflige trois ans ferme à la directrice Soliveau, deux ans ferme à Landrin. Le procès d’Avallon accélère la réflexion sur la justice des adultes appliquée aux mineurs et un an plus tard, le 22 juillet 1912, sont créés les premiers tribunaux pour enfants.

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En bas de page de L’Exelsior du 21 juillet 1911, un article sur le procès de Vermiraux.

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