Le Panthéon, temple des vertus françaises
Au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève, rive gauche de la Seine, le dôme du Panthéon domine le quartier Latin. Nécropole de celles et ceux à qui la France est redevable, l’imposant monument, résultant d’un authentique exploit architectural, conserve le souvenir d’événements significatifs du récit national.
L’histoire du Panthéon commence à Metz pendant l’été 1744, alors qu’en pleine guerre de succession d’Autriche, Louis XV vient inspecter ses troupes. Le 7 août, le roi est saisi par une fièvre maligne disent les uns, une crise de dysenterie précisent les autres; le fait est que son état s’aggrave de façon inquiétante.
La funeste nouvelle circule dans le royaume et le petit peuple prie pour le salut de Sa Majesté qui devient ainsi Louis le Bien-Aimé. Le 15 août, après avoir reçu l’extrême-onction, le roi fait le voeu de faire édifier, s’il revient à la vie, une église fastueuse à l’emplacement de l’église de l’abbaye Sainte-Geneviève, alors à l’état de ruine. En demandant l’intercession de sainte
Geneviève (419-512), réputée avoir empêché les Huns de s’emparer de Paris en l’an 451 et depuis lors considérée comme la sainte patronne de la capitale, Louis XV sait à qui il s’adresse. Sauvé, il tiendra sa promesse.
La croix grecque de Soufflot
En réalité, le roi en délègue le soin au marquis de Marigny, frère de la Pompadour. Et celui-ci confie le dossier à l’architecte Jacques-Germain Soufflot (1713-1780), qui apparaît aujourd’hui comme emblématique du style néoclassique sous louis XVI. Son idée est de magnifier la pureté de l’architecture antique en lui associant les élans audacieux qui caractérisent le gothique. Soufflot n’envisage rien moins que de rivaliser avec SaintPierre de Rome. D’où un édifice aux dimensions colossales: 110 mètres de long pour 84 de large et 83 de haut. Afin d’offrir un élément de comparaison, rappelons que Notre-Dame de Paris mesure 128 mètres de long, 48 de large et 69 de haut! Le concept? Une façade à colonnes corinthiennes sous fronton triangulaire inspirée des temples antiques, et donnant accès à une église avec dôme central, adoptant le plan d’une croix grecque. Ses branches, de dimensions identiques donc, recouvriront une crypte à quatre galeries, destinée à servir de sépulture aux moines. La châsse de sainte Geneviève sera placée sous la coupole centrale qui éclaire le choeur des religieux. Le dôme de la nouvelle église abbatiale de la Montagne Sainte-Geneviève, véritable défi aux lois de la physique, est le chef-d’oeuvre de Soufflot. Il se compose de trois coupoles encastrées. Celle qui est visible de l’intérieur de l’édifice est réalisée à caissons et ouverte en son centre pour laisser passer la lumière. Une coupole intermédiaire est destinée à supporter la lanterne surmontant le dôme. Visible à travers l’oculus de la coupole intérieure, elle laisse admirer la fresque de l’Apothéose de sainte Geneviève, signée Antoine
Gros (1771-1835). La troisième coupole correspond au dôme, visible de l’extérieur seulement, et construit en pierre recouverte de plomb.
Bâtir une église au siècle des Lumières
En 1758 – quatorze ans après la promesse faite par le roi – les travaux commencent. Une des premières difficultés à affronter a été la recherche du financement. Rarement les caisses du royaume ont été aussi vides. Marigny organise donc trois loteries! Où est donc le temps où la générosité des fidèles finançait les cathédrales? Il est vrai que Louis XV n’est pas resté longtemps le Bien-Aimé. Mais si les temps changent, c’est parfois aussi en bien. Pour la première fois, un monument fait l’objet de calculs! Aussi incroyable que cela puisse paraître, utiliser les mathématiques pour déterminer la force des poussées exercées par les différentes parties de l’édifice et la résistance des matériaux paraît révolutionnaire à l’époque. Ce qui n’empêche pas l’obscurantisme de sévir, lorsque le clergé soudain hurle au scandale. Comment ose-t-on édifier une église sur le plan d’une croix grecque ? L’architecte ne sait donc pas que seule la croix latine est acceptable? Pragmatique, Soufflot ajoute une travée à un bras de la croix… Sont-ce les mêmes qui l’accusent du péché d’orgueil et s’en vont répétant que l’édifice, trop ambitieux, est appelé à s’effondrer tôt ou tard ? En 1778, des mouvements de terrain provoquent des fissures inquiétantes sans pour autant compromettre la pérennité de l’édifice. En revanche, l’accumulation des difficultés et des critiques vient à bout de Soufflot, qui décède en 1780. Ce sont donc ses élèves et assistants, Jean Rondelet et Maximilien Brébion, qui achèvent le chantier en renonçant aux deux clochers qui devaient donner leur élan céleste à l’église. L’édifice reste dès lors à ce point massif que ses dimensions ne peuvent être appréciées que depuis l’autre bout de Paris, – la butte Montmartre par exemple – où l’on prend la mesure du volume occupé dans le paysage par le dôme. Et dire que Soufflot aspirait à reproduire les élans du gothique…
Le Temple de la Renommée
Comme les travaux enfin s’achèvent, nous voici à l’aube de la Révolution. Or en avril 1791, le décès de Mirabeau est l’occasion de réfléchir à un lieu de culte fermé où seraient réunies les sépultures des grands hommes de la nation française. On songe alors à l’église de la Montagne SainteGeneviève, tout juste achevée. 48 heures après le décès de Mirabeau, un décret de l’Assemblée stipule « que le nouvel édifice Sainte-Geneviève soit destiné à recevoir les cendres des grands hommes, à dater de l’époque de notre liberté. Que l’Assemblée nationale puisse seule juger à quels hommes cet honneur sera décerné. Que Honoré-Riquetti Mirabeau en est jugé digne ». Ainsi naît le Panthéon, qui porte ce nom pour rappeler la demeure des dieux de l’Antiquité. Après Mirabeau, toujours par décision de l’Assemblée constituante, Descartes, Voltaire et Rousseau y entrent à leur tour. Dire que les deux philosophes qui se détestaient tant reposent face à face… Quant à Mirabeau, après avoir été inhumé en grande pompe en 1791, il est évacué en 1794 après qu’on a découvert la correspondance secrète qu’il avait entretenue avec Louis XVI ! Il est remplacé le
jour même par Marat… que les soubresauts de la Révolution chasseront à leur tour cinq mois plus tard ! Il est par ailleurs décidé que les lieux doivent s’adapter à leur nouvel usage. L’architecte Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy (1755-1849) est chargé de ces aménagements: afin de donner aux lieux l’atmosphère sépulcrale qui convient selon lui à une nécropole, il bouche les 39 baies qui éclairaient la nef. Exit les éclairages sophistiqués auxquels Soufflot avait consacré tout son soin. Ce changement d’ambiance signe l’acte de naissance du Panthéon.
Une destinée révélatrice des régimes politiques
Passe la Révolution. En 1806, le Panthéon (re)devient église Sainte-Geneviève lorsque Napoléon rend le choeur au culte et la crypte aux grands serviteurs de l’État. Encore faut-il préciser que les offices qui y sont célébrés relèvent en réalité du culte impérial… Par la suite, avec la Restauration, une ordonnance royale de 1816 fait enlever tous les ornements « étrangers au culte catholique ». Tandis que les Ultraroyalistes posent la question de savoir s’il est bien cohérent d’accepter dans une église la sépulture de l’anticlérical Voltaire. Louis XVIII répond que cela n’a guère d’importance, au contraire même, le philosophe se trouvera ainsi puni d’avoir à entendre la messe tous les jours. Tout aussi pragmatique, la monarchie de Juillet (1830-1848) redonne aux lieux leur destination de Panthéon. L’allégorie signée de David d’Angers et l’inscription « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » date ainsi de 1831. Puis entre 1848 et 1851, la brève Deuxième République rebaptise les lieux Temple de l’Humanité. Avec le Second