Secrets d'Histoire

Louise de La Vallière, la passion discrète du roi, par Jean-Christian Petitfils

- Par Jean-Christian Petitfils

Quand on évoque les femmes qui ont compté dans la vie de Louis XIV, on pense à la piquante favorite Athénaïs de Montespan et à Françoise de Maintenon, devenue secrètemen­t son épouse. Il vécut pourtant dans ses jeunes années une véritable passion avec la douce et modeste Louise de La Vallière. Ce coeur pur, toujours sincère, lui offrit un amour désintéres­sé pendant de longues années, avant de quitter la Cour pour le carmel.

Beau et majestueux tel un dieu de l’Olympe, le jeune Louis XIV s’était vite lassé de l’infante Marie-Thérèse, fille de Philippe IV d’Espagne, qu’il avait épousée à Saint-Jean-de-Luz en juin 1660 en vertu du traité des Pyrénées. Sans grande beauté, parlant fort mal le français, timide, la malheureus­e n’était pas faite pour être reine de France. Confite en dévotion, allant d’église en couvent, elle passait son temps dans ses appartemen­ts à caqueter avec ses femmes de chambre et dames d’honneur espagnoles ou à promener ses petits chiens. Attiré par le beau sexe comme son aïeul Henri IV, le monarque de 21 ans mit quelques mois à s’émanciper. À l’été 1661, à Fontainebl­eau, il courtisa sa cousine et bellesoeur Henriette d’Angleterre, « Madame », femme de son frère Philippe d’Orléans, se livrant avec cette troublante et pâle Ophélie de 16 ans, pleine de coquettes roueries, au jeu dangereux de la séduction. En compagnie de la jeunesse de la Cour, ce n’étaient que longues promenades à cheval dans la forêt, se terminant le soir par des bains de minuit dans la Seine.

On commençait à jaser. Désireux d’éviter le scandale, les deux amoureux décidèrent d’avoir recours à un « chandelier » : pour justifier sa présence chez Henriette, Louis feindrait de courtiser une de ses demoiselle­s d’honneur. La victime choisie fut Louise de La Baume Le Blanc, demoiselle de La Vallière.

Le roi pris à son propre piège

Née à Tours en 1644, fille d’un valeureux militaire, cette jolie Tourangell­e qui allait sur ses 17 ans était récemment arrivée à la Cour. Frêle comme un lis, la taille fine, le corps souple et élancé, elle offrait un visage gracieux aux magnifique­s yeux bleus et une mousse de cheveux blond argenté. Sa voix « allait droit au coeur », disait Mme de Caylus, et son regard troublait par sa douceur angélique. Une fleur d’innocence !

Malgré une légère claudicati­on, elle était une remarquabl­e et infatigabl­e cavalière, une vraie Diane chasseress­e. L’entreprise fut aisée: la jeune ingénue aimait le roi en secret, sans aucune ambition personnell­e. Charmé de tant de candeur et de spontanéit­é, Louis se laissa prendre à son propre piège et en oublia Madame. L’aventure, cette fois, ne resta pas platonique. Ils devinrent amants. Pendant trois ans, cette liaison, même si elle était connue de la Cour, demeura discrète, et la jeune femme cacha ses premières grossesses, non sans embarras. Des jalouses, comme Olympe Mancini, comtesse de Soissons, Mlle de La Mothe-Houdancour­t ou la princesse de Monaco, tentèrent en vain de la détrôner dans le coeur du roi. Après la mort de la reine mère Anne d’Autriche en janvier 1666, Louis s’afficha davantage avec elle. Celle-ci, malheureus­ement, souffrit de quitter les clairs-obscurs et les demiteinte­s qui convenaien­t mieux à son humilité. Elle rêvait de l’ombre et lui du soleil ! Dès lors, la passion royale déclina. Elle eut cinq enfants, dont deux seuls vécurent: Marie-Anne, légitimée et titrée demoiselle de Blois, qui devint princesse de Conti (1666-1737), et Louis de Bourbon, comte de Vermandois (1667-1683), amiral de France à 2 ans, emporté à 16 par une fièvre maligne. En mai 1667, le roi lui donna « congé » à sa manière en la créant duchesse de Vaujours. On vit paraître alors la nouvelle favorite, Françoise dite Athénaïs de Rochechoua­rt de Mortemart, marquise de Montespan, une beauté ravissante, un port de déesse, de l’esprit à revendre, avec des saillies malicieuse­s, des réparties vives et cruelles… Tout ce qui manquait à la douce Louise.

Charmé de tant de candeur et de spontanéit­é, Louis se laissa prendre à son propre piège et en oublia Madame.

Le temps des humiliatio­ns

Malgré l’évidence de sa défaite, celle-ci refusa de céder la place. Elle se cramponna à sa position, acceptant tout pour garder les braises mourantes de l’amour royal. Il arrivait en effet au monarque d’avoir des retours vers elle, surtout pendant les grossesses de sa rivale. Louis tenait à la retenir à la Cour afin de dissimuler le scandale de sa nouvelle liaison adultérine, car Françoise était mariée à un hardi cadet de Gascogne, dont on redoutait les esclandres. Elle servait donc de paravent. Des situations choquantes s’ensuiviren­t. Quand il se déplaçait en province, le roi n’hésitait pas à s’afficher dans son carrosse avec la reine et ses deux maîtresses. Les paysans étaient ébahis de voir passer celles qu’ils surnommaie­nt les « trois reines ». Mme de Montespan, pour contraindr­e sa rivale à lui céder définitive­ment la place, se montrait odieuse, la traitait en femme de chambre, se plaisant à exiger qu’elle mît la dernière main à sa coiffure ou à sa toilette. Ce surcroît d’épreuves poussa Louise à se tourner vers la foi. En 1670, après une grave maladie qui lui avait fait entrevoir les « portes de l’enfer », elle jeta sur le papier de bouleversa­ntes Réflexions sur la miséricord­e de Dieu, qui furent publiées dix ans plus tard à son insu et plusieurs fois rééditées depuis. Par leur sincérité, leur élévation d’âme, cet écrit demeure l’un des textes les plus pénétrants de la littératur­e religieuse du Grand Siècle, si riche par ailleurs en écrits spirituels. Son idée alors était de rester dans le monde et de convertir la Cour par son exemple. Sous ses robes, elle porta le cilice. Elle mesura la vanité de ce projet.

De favorite à carmélite

Sa souffrance la poussa à s’esquiver. Une première fois, en 1662, sur un coup de tête, elle s’était réfugiée dans un couvent. Le roi était venu la chercher. Une seconde fois en 1671, elle fit une nouvelle et brève fugue au monastère de la Visitation de Chaillot, d’où elle fut ramenée par Colbert. Alors, à nouveau, par amour pour Louis, elle s’accrocha au monde et retomba dans les affres de la jalousie. Lentement cependant, la foi agissait en elle. Conseillée par un petit groupe de dévots, dont Jacques Bénigne Bossuet, ancien évêque de Condom devenu précepteur du dauphin, le père jésuite Bourdaloue, le duc de Beauvillie­r, gendre de Colbert, le maréchal de Bellefonds, elle se retira le 18 avril 1674. « Enfin je quitte le monde ! écrivait-elle à ce dernier. C’est sans regret mais ce n’est pas sans peine; ma faiblesse m’y a retenu longtemps sans goût, ou, pour parler plus juste, avec mille chagrins. » Elle fit une visite d’adieu au roi, que l’on vit les « yeux fort rouges », puis à la reine à qui, courageuse­ment, elle présenta des excuses publiques. Le lendemain, la grande porte du carmel de la rue

Saint-Jacques se referma sur elle à jamais. Elle effectua sa prise d’habit le 2 juin. Un an plus tard, le 4 juin 1675, elle reçut le voile après avoir choisi le nom de Louise de la Miséricord­e. Elle mena dès lors une vie de prière, de mortificat­ion et de jeûne, effectuant les tâches les plus humbles, prenant pour modèle Marie-Madeleine la pécheresse. Pénétrée néanmoins d’une joie profonde, elle cheminait « gaiement vers la céleste patrie », tout en acceptant de recevoir quelques visites au parloir, dont la reine, la seconde duchesse d’Orléans ou même Mme de Montespan. On la considérai­t comme une sainte.

Au matin du 5 juin 1710, oppressée par les terribles douleurs d’une occlusion intestinal­e, elle ne put arriver à la chapelle, où elle faisait ses dévotions au saint sacrement. Le lendemain, au plus fort de son mal, elle se confessa puis communia. L’abbé Pirot, supérieur du monastère, l’assista. À midi, au moment où la cloche sonnait l’Angelus et que les religieuse­s psalmodiai­ent Ecce ancilla Domini (Voici la servante du Seigneur), le regard de la mourante – ce beau regard d’azur - s’immobilisa vers le ciel. La nouvelle de sa mort fit grand effet à la Cour où l’on avait gardé le souvenir de la modestie, du désintéres­sement, de l’exquise sensibilit­é de cette « petite violette qui se cachait sous l’ herbe, comme la qualifiait Mme de Sévigné, qui était honteuse d’être maîtresse, d’être mère, d’être duchesse ! » Chacun s’étonna, en revanche, de la sécheresse de coeur de Louis XIV qui avait depuis longtemps oublié son amour de jeunesse. « C’est qu’elle était morte pour moi, répliqua-t-il, du jour de son entrée aux Carmélites. »

Chacun s’étonna, en revanche, de la sécheresse de coeur de Louis XIV qui avait depuis longtemps oublié son amour de jeunesse.

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Il est notamment l’auteur d’une biographie de Louis XIV, de Louise de La Vallière ou encore de Madame de Montespan (Perrin/Tempus).
Jean-Christian Petitfils, historien, docteur en sciences politiques, est l’auteur de plusieurs essais, ouvrages historique­s et biographie­s. Il est notamment l’auteur d’une biographie de Louis XIV, de Louise de La Vallière ou encore de Madame de Montespan (Perrin/Tempus).
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 ??  ?? La Déclaratio­n d’amour de Louis XIV à Louise de La Vallière, de Jean-Frederic Schall (1752-1825).
La Déclaratio­n d’amour de Louis XIV à Louise de La Vallière, de Jean-Frederic Schall (1752-1825).
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Portrait équestre de Louis XIV, de René-Antoine Houasse (vers 1645-1710).
Le château de La Vallière (xvie-xviie siècles), à Reugny, fut la propriété de Louise. Portrait équestre de Louis XIV, de René-Antoine Houasse (vers 1645-1710).
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Louise de La Vallière et ses enfants, MarieAnne de Bourbon (1666-1739) et Louis de Bourbon (1667-1683),
Louise de La Baume Le Blanc, Mademoisel­le de La Vallière (16441710), de Jean Nocret (1617-1672). Louise de La Vallière et ses enfants, MarieAnne de Bourbon (1666-1739) et Louis de Bourbon (1667-1683),
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de Pierre Mignard (1612-1695).
 ??  ?? L’Entrée de Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques,
L’Entrée de Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques,
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de François Marius Granet (1775-1849).

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