Secrets d'Histoire

Charles Quint et Isabelle de Portugal Le pouvoir de l'amour

Le pouvoir de l’amour

- Par Sophie Denis

À 26 ans, le plus grand prince de la Chrétienté a besoin d’asseoir son pouvoir sur le monde et de remplir ses caisses. Il épouse donc l’héritière de Portugal, une des plus belles femmes de son époque. Mais voilà que ce mariage d’État tourne à l’histoire d’amour et donne naissance à un des couples les plus unis de l’Histoire. Dans l’intimité de leurs coeurs comme à la tête du royaume d’Espagne, Charles Quint et Isabelle de Portugal ont traversé, main dans la main, la Renaissanc­e et ses turbulence­s.

Escorté par une foule de villageois enthousias­tes, le cortège de cavaliers chamarrés et belles dames dans leurs lourds chariots chemine lentement sur la route de Séville. S’il ne tenait qu’à elle, Isabelle de Portugal ferait fouetter les chevaux pour avaler les dernières lieues qui la séparent de son destin. Mais cette lenteur est voulue par Charles Quint, son futur époux. Et on ne va pas à l’encontre des souhaits du plus grand prince de la chrétienté! Pourtant, en ce début mars 1526, voilà déjà un mois qu’Isabelle a quitté le royaume de son père Manuel Ier, dit le Bienheureu­x, en vue de cette union, sans doute le plus grand mariage de ce siècle.

« Aut Caesar, aut nihil »

La voilà donc impatiente. Par amour ? Les futurs ne se sont pas encore rencontrés et la question ne se pose pas dans un contexte où les mariages royaux sont avant tout des alliances politiques, stratégiqu­es, voire financière­s: bien qu’à la tête de l’Espagne, des Pays-Bas et du royaume de Naples, Charles Quint n’a pas un sou dans ses caisses et Isabelle est la plus riche héritière disponible sur le marché. Par ailleurs, elle parle castillan, et le jeune empereur, élevé dans les Flandres, a bien besoin d’une alliée plus hispanique. Enfin, Isabelle a 22 ans, le bel âge pour assurer la descendanc­e. Rien à voir avec la jeune Marie Tudor, 10 ans tout juste, avec laquelle une union avait été envisagée auparavant. Qu’Isabelle soit une vraie beauté, blonde au teint pâle et aux yeux bleus, fine comme une liane, n’entre donc pas en ligne de compte... mais jouera en faveur du coup de foudre! Alors pourquoi Isabelle est-elle aussi impatiente? Elle va réaliser ce pour quoi elle a été élevée: épouser le plus grand prince de la chrétienté. « Aut Caesar, aut nihil », « César ou personne », la fille du grand roi de Portugal fait siennes ces paroles. Pour celle dont l’éducation a été bercée par l’idée de la grandeur de l’Occident face à l’Islam, par l’espoir de la reconquête de Jérusalem, Charles Quint incarne ce rêve. Avec lui, Dieu s’est fait espagnol. Mais Dieu va avoir un peu de retard. Isabelle ne sait pas encore que cela deviendra une habitude tout au long de leur vie commune… Arrivée à Séville, elle va l’attendre une semaine! Il faut dire que Charles

a fort à faire avec son rival François Ier et les négociatio­ns du traité de Madrid. Le 10 mars 1526, enfin, le voilà ! Isabelle est impression­née par cet homme, somme toute pas si grand, mais dont le front large et le regard brûlant expriment une volonté farouche. À peine remarque-t-elle le menton prognathe, signe distinctif des Habsbourg, qu’une barbe vient dissimuler. Lui est subjugué par cette fleur si délicate, encore plus belle que les portraits qu’il en a vus. Voilà qu’il fait avancer la cérémonie en pleine nuit, sabotant ainsi une partie des festivités prévues. Et le lendemain, les chroniqueu­rs relèvent que les deux tourtereau­x se lèvent à 11 heures.

Lune de miel à Grenade

L’année qui s’écoule est très heureuse pour ce roi plutôt mélancoliq­ue et sa reine élevée dans la religion et le devoir de sa charge. Ils vivent à

Grenade leur lune de miel, comme tous les jeunes mariés du monde. Quelques mois plus tard naît le premier de la fratrie, Philippe, prince des Asturies. Pendant l’accoucheme­nt – en public, comme il se doit – Isabelle se fait recouvrir le visage d’un voile pour que personne ne voie sa souffrance. « Plutôt mourir que crier » était déjà la devise de sa grandmère, Isabelle la Catholique. Charles reste à ses côtés et pleure pendant les 14 heures que dure le travail. La famille s’est agrandie, le bonheur est toujours là. Mais les nuages se rapprochen­t. Charles doit affronter le drame du sac de Rome, conséquenc­e de sa lutte sans merci avec François Ier. Les mercenaire­s de Charles massacrent une partie de la population et le pape est fait prisonnier. Il est temps pour Charles, dont le rêve est de se faire couronner empereur du Saint-Empire romain germanique par le même pape, de reprendre la route. Il initie Isabelle aux affaires de l’Espagne et la nomme lieutenant­e et dirigeante du royaume, sous la tutelle du Conseil royal. L’éducation qu’elle a reçue, l’exemple de son père à la tête du Portugal, la rendent digne de cette confiance. Il semble à Charles qu’ils sont déjà deux rois en Castille, comme il le dit à un confident. Il part donc soulagé. Isabelle est en pleurs. Aucun des deux ne se doute que leur séparation durera quatre ans.

 ??  ?? Portrait de Charles Quint (1500-1558), vers 1516, de Bernard van Orley. Le jeune roi coiffé d'un large béret orné de bijoux porte le collier de la Toison d'or. À cette époque, à la mort de Ferdinand d'Aragon, il devient rois des Espagnes, en dépit des droits de sa mère, Jeanne de Castille.
Portrait de Charles Quint (1500-1558), vers 1516, de Bernard van Orley. Le jeune roi coiffé d'un large béret orné de bijoux porte le collier de la Toison d'or. À cette époque, à la mort de Ferdinand d'Aragon, il devient rois des Espagnes, en dépit des droits de sa mère, Jeanne de Castille.
 ??  ?? L'Empereur Charles Quint (1500-1558) et l'impératric­e Isabelle (15031539), copie du portrait original effectué par Titien, de Peter Paul Rubens (1577-1640).
L'Empereur Charles Quint (1500-1558) et l'impératric­e Isabelle (15031539), copie du portrait original effectué par Titien, de Peter Paul Rubens (1577-1640).
 ??  ?? Le patio de las Doncellas, cour du palais de L'Alcazar de Séville, où le mariage de Charles Quint et Isabelle de Portugal eut lieu le 10 mars 1526.
Le patio de las Doncellas, cour du palais de L'Alcazar de Séville, où le mariage de Charles Quint et Isabelle de Portugal eut lieu le 10 mars 1526.
 ??  ?? Éloignée de la couronne par Ferdinand d'Aragon, son père, puis par son propre fils, Charles Quint, Isabelle de Castille (1479-1555), considérée comme folle, passa des décennies en captivité dans la forteresse de Tordesilla­s où elle mourut. Elle repose dans la chapelle royale de Grenade.
Éloignée de la couronne par Ferdinand d'Aragon, son père, puis par son propre fils, Charles Quint, Isabelle de Castille (1479-1555), considérée comme folle, passa des décennies en captivité dans la forteresse de Tordesilla­s où elle mourut. Elle repose dans la chapelle royale de Grenade.

Newspapers in French

Newspapers from France