De Waterloo à SainteHélène : la chute de l’Aigle
Avec le désastre de Waterloo s’achève l’épopée des Cents-Jours et commence la descente aux enfers qui va s’achever dans la solitude d’une petite île oubliée en plein Atlantique Sud. Entre la défaite dans une morne plaine belge le 18 juin 1815, et le débarquement à Sainte-Hélène le 16 octobre, l’empereur déchu connaît une odyssée aux péripéties multiples.
Waterloo aurait pu être une victoire ! Hélas, comme l’écrit Victor Hugo dans L’Expiation: «Soudain, joyeux, il dit: “Grouchy!” C’était Blücher. » Et le renfort des Prussiens donna l’avantage aux Anglais de Wellington, comme l’arrivée de Grouchy aurait pu apporter la victoire à l’armée française. Le 18 juin au soir, tandis qu’une Garde héroïque couvre la débandade, Napoléon file vers Paris pour préparer la contre-attaque. Mais le pouvoir politique l’y autorisera-t-il ? En effet, au retour de l’île d’Elbe, l’empereur a bien compris que son despotisme avait excédé les Français. Afin de les rassurer, il a conçu l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, selon lequel les pouvoirs de l’empereur sont désormais limités par deux Chambres dont le vote est indispensable pour toute levée d’hommes ou d’argent. S’il veut sauver la France de l’invasion des armées alliées, Napoléon doit convaincre les Chambres de lui en donner les moyens.
La trahison de Fouché
À Paris malheureusement, à peine la défaite de Waterloo connue, le ministre de la Police Fouché ne songe qu’à assurer son propre avenir. Il estime que le seul équilibre politique désormais susceptible de gouverner la France
est une occupation militaire par l’armée angloprussienne, qui apportera dans ses fourgons le roi Louis XVIII. Il sait aussi que la plupart des députés sont d’anciens acheteurs de biens nationaux qui craignent de se voir dépossédés si les aristocrates reprennent le pouvoir. Fouché s’attache donc à les rassurer, tout en ourdissant un complot audacieux. Son idée est d’éloigner Napoléon de Paris, de le faire embarquer sur une frégate sous prétexte d’assurer sa sécurité, et de l’y retenir prisonnier pour s’en servir de monnaie d’échange lors de la future négociation avec les Alliés. Le 21 juin à 5 heures du matin, Napoléon arrive au palais de l’Élysée pour demander aux Chambres de lui accorder « une dictature temporaire ». Auparavant, il consulte le Conseil des ministres, mais au cours de cette réunion arrive une déclaration de la Chambre des représentants. Convaincue par Fouché, elle affirme siéger en permanence et que toute tentative de la dissoudre sera perçue comme un crime de haute trahison. Le lendemain, à 4 heures du matin, une nouvelle résolution de l’Assemblée est portée à la connaissance de Napoléon: « Les Chambres pourront négocier directement avec les puissances alliées, mais avec le consentement de l’Empereur. » Va-t-il tenter un coup d’État? Refusant de se trouver ainsi à l’origine d’une guerre civile, désastreuse pour son image, Napoléon propose au Conseil des ministres d’abdiquer au profit de son fils Napoléon II. Il n’a que 4 ans et réside chez son grand-père en Autriche, mais qu’importe, l’Assemblée accepte ce faux-semblant.
La Malmaison, première étape de l’exil
Tout est désormais fait pour éloigner l’empereur déchu de Paris. On lui fait savoir que s’il tombe aux mains de Louis XVIII ou de Blücher, il n’échappera pas à la peine capitale; qu’il n’existe qu’un seul endroit hors de portée de ses ennemis: les États-Unis d’Amérique. Le ministre de la Marine, Decrès, lui fait d’ailleurs passer une liste des navires susceptibles de l’embarquer sans délai. Car il y a urgence, Fouché ne signale-t-il pas des projets d’attentats déjoués? Il suffit pourtant que la possibilité concrète de partir se présente pour que
Bonaparte trouve une raison de rester. Il se persuade ainsi que, d’un instant à l’autre, on va lui demander de prendre la tête de l’armée pour sauver le territoire. Tout de même, il accepte de quitter le palais de l’Élysée pour le château de la Malmaison. Entre le 25 juin et le 29 juin à la Malmaison, d’heure en heure, le piège se resserre. On lui envoie le général Beker, nouveau chef de la Garde, « pour assurer sa sécurité ». On voit des Prussiens au pont de Chatou et des coups de feu sont tirés dans le parc. L’embarquement de Bonaparte et sa suite sur deux frégates devient officiel ; on attend les saufconduits délivrés par les Anglais ; le ministre de la Marine en personne vient conjurer Napoléon de filer d’urgence à Rochefort où l’attendent les navires. Il a raison : le 25 à Cambrai, dans sa première déclaration au peuple français, Louis XVIII annonce une Restauration sans pitié.
La fuite vers Rochefort
Le 29 juin enfin, Napoléon Bonaparte prend la route de Rochefort. Mais il s’arrête pour la nuit à Rambouillet, espérant toujours qu’on va le rappeler à la tête d’une armée! Le 30 juin, enfin conscient du péril qui le guette, il file vers Poitiers, Château-Renault, Tours et Niort où arrive un pli du préfet maritime de Rochefort. Une croisière anglaise s’est postée au large de l’île d’Aix. Cette nouvelle décide Bonaparte à forcer le passage. C’est bien ce qui est décidé le 3 juillet: les deux frégates sont la Saale et la Méduse (qui s’illustrera de façon tragique quelques mois plus tard). L’une attaquera les Anglais et l’autre prendra le large. Mais le 8 juillet une fois à bord de la Saale, Napoléon Bonaparte comprend qu’il s’est laissé piéger. Le commandant, royaliste, obéit strictement aux ordres félons: n’appareiller que si les Anglais l’autorisent, ce qu’ils ne feront jamais. Alors Bonaparte s’interroge: et s’il demandait à l’Angleterre, à titre personnel, une sorte de paix des braves? Il ne doute pas que le prince régent lui accordera l’hospitalité. Quelques jours plus tard, il lui enverra Gourgaud, porteur d’une demande. Pour l’heure, il se fait débarquer sur l’île d’Aix, car d’autres propositions lui ont été faites pour s’évader. Nous sommes alors le 12 juillet.
Tout de même, il accepte de quitter le palais de l’Élysée pour le château de la Malmaison. Entre le 25 juin et le 29 juin à la Malmaison, d’heure en heure le piège se resserre.
12-15 juillet : trois jours d’atermoiements
On a peine à imaginer l’inventivité dont font preuve des marins pour empêcher Napoléon de tomber aux mains des Anglais. Un exportateur de cognac transforme les cuves du brick Magdalena en cache pour l’empereur et quelques proches. Tous les navires présents dans la Gironde sont consignés et libérés d’un seul coup. Cette armada descend alors l’estuaire en un front impénétrable pour les vaisseaux anglais. Au milieu de la flotte française se trouve la frégate Bayadère sur laquelle on a attendu en vain Napoléon. Restent alors encore deux corsaires américains ultrarapides, qui distancieraient sans aucune peine les bâtiments anglais. Tandis que de jeunes officiers de marine proposent d’armer la Zélie et Les Deux-Amis, des caboteurs légers et rapides qui se défileraient en rasant la côte, puis mettraient le cap au large pour arraisonner un navire marchand qu’ils contraindraient à mettre le cap sur l’Amérique.
Les raisons supposées d’une décision funeste
Chacune de ces propositions séduit Bonaparte qui, à chaque fois, renonce dans l’attente d’un nouveau projet… voire d’un appel à prendre la tête de l’armée. Cette incapacité à prendre une décision interroge encore. S’agit-il de l’indolence qui frappe couramment les visiteurs de l’estuaire de la Charente ? ou d’une forme de dépression nerveuse? En définitive, dans la nuit du 14 au 15, Bonaparte est sur le point d’embarquer sur la Magdalena. C’est alors que survient le coup de théâtre: il annonce qu’il
va se confier à la bienveillance anglaise sur le Bellorophon. Sans doute Bonaparte a-t-il cédé aux femmes de son entourage, qui ont compris que s’il partait en Amérique, sa suite ne pourrait pas l’accompagner, alors que l’Angleterre paraissait si accueillante.
Du Bellerophon au Northumberland
Le 15 juillet au petit jour, le brick Épervier emmène Napoléon, Las Cases, les généraux, les deux femmes et les enfants. Le Bellorophon envoie une chaloupe à sa rencontre et la suite ex-impériale reçoit tous les égards réservés aux invités de marque. Le temps est radieux, le vent faible et le vieux vaisseau fort lent. Il lui faut une semaine pour dépasser Ouessant: c’est donc très progressivement que se font les adieux à la France. Le 24 juillet au matin enfin, le Bellorophon touche l’Angleterre. Mais il mouille l’ancre en rade de Torbay, loin de tout port. Une embarcation conduit à bord Gourgaud, l’envoyé de Bonaparte au prince régent. Les informations qu’il apporte sont inquiétantes: il n’a pas été autorisé à mettre le pied à terre et a été dessaisi du courrier dont il ne sait pas si le prince régent en a seulement eu connaissance. Pourtant, comme pour signifier aux Français qu’ils ont raison de s’en remettre à l’hospitalité anglaise, un grand nombre de petits bateaux chargés de curieux tournent autour du Bellorophon. Le 26, le vaisseau lève l’ancre pour une courte traversée qui le mène en rade de Plymouth. Là, l’ancre à peine mouillée, l’atmosphère du bord change du tout au tout. La sévérité est de mise. Deux frégates se postent à proximité immédiate tandis que l’on parle d’un appareillage imminent pour… l’île de Sainte-Hélène. Or, de toute l’Angleterre, on vient voir le navire qui porte l’empereur des Français. Les embarcations couvrent la mer tant il y en a. Et Napoléon Ier ne déteste pas apparaître sur le pont pour se faire bien
voir de cette foule bienveillante. Quel sera donc le destin des Français ? Le 29 juillet, avec l’arrivée à bord de lord Keith, le commandant en chef des forces navales anglaises, le couperet tombe. « L’île de Sainte-Hélène a été choisie pour sa future résidence : son climat est sain, et sa situation locale permettra qu’on l’y traite avec plus d’indulgence qu’on ne le pourrait faire ailleurs, vu les précautions indispensables qu’on serait obligé d’employer pour s’assurer de sa personne. » En clair, la seule présence de l’ex-empereur sur le territoire britannique inquiète. Napoléon a beau protester, on ne l’écoute tout simplement pas.
En route pour l’île de Sainte-Hélène
Le 5 août, le Bellorophon appareille brusquement pour se mettre au mouillage à l’abri de Start Point, en attente du Northumberland qui arrive de Portsmouth en compagnie de deux frégates transportant une garnison pour Sainte-Hélène. Il semble – selon Las Cases dans le fameux Mémorial de Sainte-Hélène – que cette hâte soit motivée par le fait « qu’un officier public venait de partir de Londres, avec un ordre d’habeas corpus, pour réclamer la personne de l’Empereur, au nom des lois ou d’un tribunal. » Mais ce sont deux amiraux qui montent à bord, pour préciser les conditions de l’exil de Napoléon Bonaparte. Une vingtaine de personnes seulement pourront l’accompagner: le général Bertrand, avec sa femme Fanny et leurs trois enfants, le général de Montholon, avec sa femme Albine et leur fils, le général Gourgaud, et le comte de Las Cases avec son fils, ainsi que dix domestiques. Le 7 août, tout est réglé, le Northumberland et son escorte de frégates mettent le cap sur l’Atlantique Sud et l’île de Sainte-Hélène.