Sainte-Hélène : une île pour prison
Les autorités britanniques ne choisissent pas au hasard l’île de Sainte-Hélène comme lieu d’exil pour l’empereur déchu. La petite île solitaire, de l’autre côté de l’équateur, présente plusieurs caractéristiques qui en font une prison idéale. Avant même d’y débarquer, Napoléon Bonaparte a pu en prendre toute la mesure.
Durant les 69 jours que dure la traversée, Bonaparte se documente. Il lit tout ce qu’il trouve à bord sur les pays longés, les îles croisées et sur Sainte-Hélène. Las Cases lui prête l’Atlas historique dont il est l’auteur, et lui traduit les articles de l’Encyclopédia britannica. L’amiral Cockburn, cassant au départ, se laisse séduire par la personnalité de son prisonnier. Il est impressionné par la grandeur d’âme que ce dernier affiche;
jamais il ne laisse apparaître le moindre abattement.
Les deux hommes conversent volontiers, l’officier de marine ne rechignant pas à faire profiter le général de ses vastes connaissances nautiques. À travers les chiffres et les descriptions, Bonaparte comprend que cette île est une prison dont on ne s’échappe pas. 18°58’S – 5°42’O, ces coordonnées géographiques traduisent un éloignement que la longueur du voyage – interminable – souligne. Et d’autres chiffres le frappent. Avec 17 kilomètres sur 10 dans ses plus grandes dimensions, SainteHélène est une tête d’épingle sur un globe terrestre.
Et savoir que le plus proche rivage continental est celui du désert de Namibie, à 1900 kilomètres de distance, est vertigineux. Quant au climat, nonobstant sa latitude tropicale, l’île bénéficie de conditions plutôt méditerranéennes, tempérées par le milieu océanique. S’il avait apprécié l’île d’Elbe, de ce point de vue tout au moins, il ne sera pas dépaysé.
Une forteresse en pleine mer
Si on l’a autorisé à consulter une carte des lieux, le militaire a compris que Sainte-Hélène est une forteresse plantée en mer, avec pour remparts des falaises hautes de cent mètres et plus. L’unique point où accoster est aménagé en port: SaintJames. Des navires de commerce y font régulièrement escale, c’est pourquoi le prisonnier n’aura pas le droit de l’approcher. Et si un commando discrètement débarqué venait le chercher? Avec une population qui ne dépasse pas quelques dizaines d’habitants, tout le monde ici se connaît; le moindre étranger serait repéré. Enfin, il apprend que SainteHélène n’est pas une terre anglaise! Volcan jailli des abysses dans la nuit des temps, l’île était déserte lorsque des navigateurs portugais l’ont découverte en 1502, lui donnant le nom de la fête religieuse du jour. En 1657, la Compagnie anglaise des Indes orientales l’accapare pour en faire un point de relâche entre l’Europe et Le Cap. Or, la Compagnie constitue une sorte d’État dans l’État britannique, statut qui l’autorise à posséder des terres sur lesquelles le royaume n’a aucune prise; la législation anglaise ne s’y applique pas. Bonaparte comprend que l’Angleterre cynique aura beau jeu de déplorer que nul ne puisse se prévaloir de l’habeas corpus sur SainteHélène. Le 15 octobre 1815, le Northumberland prend son mouillage devant Jamestown, sur la côte nord de Sainte-Hélène. L’ex-empereur impavide contemple les falaises sombres et nues; repère par réflexe les canons qui en pointent, et convie Las Cases à le rejoindre dans sa cabine, où il continuera à lui dicter les textes du Mémorial commencé pendant la traversée. Le lendemain, Napoléon débarque, non sans prendre poliment congé du commandant en lui demandant de transmettre ses remerciements aux officiers et à l’équipage. Et comme l’écrit Las Cases : « Ces paroles ne furent pas sans produire une grande émotion sur ceux qui les entendirent ou se les firent expliquer. »