Secrets d'Histoire

La cour de Longwood

- Par Charles-Éloi Vial

Informé le 31 juillet 1815 son transfert à Sainte-Hélène, l’Aigle, furieux mais impuissant, dicte plusieurs ordres organisant sa future cour en exil. Avant le départ du Northumber­land le 7 août, il a le temps de choisir ceux qui, parmi la soixantain­e de compagnons qui l’ont suivi depuis Paris, auront l’honneur de l’accompagne­r, qu’ils soient officiers ou simples domestique­s.

Parmi les principaux acteurs du huis clos de Longwood, on trouve le discret général Henri-Gatien Bertrand, grand-maréchal du Palais depuis 1813. Viennent ensuite le jeune et impétueux Gaspard Gourgaud, premier officier d’ordonnance de l’empereur qu’il admire plus que tout, Charles-Tristan de Montholon, un chambellan et général, rejeton d’une ancienne famille noble, et Emmanuel de Las Cases, géographe, conseiller d’État et chambellan. La comtesse Bertrand, cousine de Joséphine, ainsi que la comtesse de Montholon, d’une bonne famille de Montpellie­r, mais deux fois divorcée, ce qui fait scandale à l’époque, suivent leurs époux avec leurs enfants.

Napoléon a enfin choisi 12 domestique­s, dont ses valets Marchand et Louis-Étienne SaintDenis, surnommé le « mamelouk Ali », le cuisinier Lepage, le confiseur Pierron, et surtout Cipriani. Ce Corse d’une famille dévouée au clan Bonaparte, entré au service de l’empereur à l’île d’Elbe comme maître d’hôtel… et maître espion.

Enfin, les frères Archambaul­t, Achille et Olivier, servent à l’écurie, tandis que Noverraz, un géant d’origine suisse, est choisi comme valet de pied.

Les premiers temps à Longwood House

Quand il débarque sur son île le 17 octobre 1815, Napoléon est optimiste : il imagine une captivité temporaire suivie d’un retour en Europe en résidence surveillée. Après un bref séjour aux Briars, il emménage le 10 décembre

à Longwood House, où la maisonnée s’organise selon l’étiquette, avec les services de la Bouche, de la Chambre et des Écuries. Le service de la table est assuré par six marins anglais affublés de la livrée impériale, verte à galons dorés. Avec 55 habitants à Longwood, la promiscuit­é règne. Les domestique­s logent dans les greniers et l’entourage de l’empereur dans « l’aile des généraux », située derrière la cuisine, dans des petites chambres humides. Seul l’empereur, dont l’appartemen­t fait quatre pièces, une chambre, un salon, un cabinet de travail et une salle de bains, est correcteme­nt logé, entouré de reliques ramenées des Tuileries, petits portraits de famille, pièces d’orfèvrerie et quelques beaux meubles. La salle de billard qui sert d’antichambr­e, la salle à manger et la bibliothèq­ue sont ouvertes à toute la maisonnée ainsi qu’aux rares visiteurs. Les Bertrand, qui tiennent à préserver leur vie de famille, vivent dans une maison à part. La comtesse, qui ne cache pas son envie de repartir en Europe, doit subir de fréquentes remarques de l’empereur. Au contraire, Albine de Montholon (1779-1848) devient probableme­nt la maîtresse de Napoléon qui la reçoit en tête à tête dans ses appartemen­ts. Son mari, peu jaloux, tient à gagner les bonnes grâces de l’empereur. Las Cases, excellent scribe, passe des heures à prendre en note ses souvenirs et jouit aussi d’une grande faveur. En revanche, Gourgaud, qui est un homme d’action, se plaint de l’ennui et sombre dans la dépression. Le quotidien des enfants est mal connu : Napoléon et Hortense Bertrand ont 6 et 5 ans en 1815, et Tristan de Montholon a 6 ans. Napoléone de Montholon naît le 18 juin 1816. Le 17 janvier 1817, Fanny Bertrand donne le jour à Arthur, avant quatre fausses couches. Le 26 janvier 1818 naît la petite Joséphine de Montholon, dont la paternité est parfois attribuée à l’empereur. Des factures de livres montrent que leurs mères s’occupent de leur éducation. L’empereur leur offre des cadeaux et joue parfois avec eux, mais ils ne le voient que rarement, pour le nouvel an et la Saint-Napoléon du 15 août. Face à l’empereur, le respect de l’étiquette maintient une harmonie de façade. Les officiers portent le grand uniforme, les dames leur robe de cour, les domestique­s leur livrée. Dès qu’il a le dos tourné, les disputes éclatent. Cette existence monotone, où la promiscuit­é s’ajoute à l’isolement, paraît de plus en plus insupporta­ble.

Quand débarque un gouverneur soupçonneu­x

Officier anglais plutôt médiocre mais réputé pour détester l’empereur, Hudson Lowe arrive à Sainte-Hélène le 9 avril 1816. Grand, rougeaud, quelques mèches rousses flottant sur un front dégarni, le profil aigu, se rongeant

 ??  ?? Napoléon Bonaparte sur l’île de Sainte-Hélène, vers 1820, gravure (aquatinte) de Johann Lorentz Rugendas (1775-1826).
Napoléon Bonaparte sur l’île de Sainte-Hélène, vers 1820, gravure (aquatinte) de Johann Lorentz Rugendas (1775-1826).
 ??  ?? Chapeau de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, et son cordon de la Légion d’Honneur.
Chapeau de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, et son cordon de la Légion d’Honneur.
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