Secrets d'Histoire

Les derniers jours de Napoléon

- Par David Chanterann­e

Après avoir longtemps lutté contre l’adversité et cherché à oublier les humiliatio­ns anglaises, Napoléon doit maintenant affronter la maladie. Tandis que son poids s’accentue et que les souffrance­s liées à un terrible fléau le clouent au lit, les rumeurs les plus folles commencent à courir sur l’île. Et si quelqu’un cherchait à l’empoisonne­r ?

Les exercices physiques imposés par son entourage, et notamment le chirurgien Antommarch­i arrivé depuis septembre 1819, ont longtemps repoussé l’échéance. Mais à partir de février 1821, le mal fait son oeuvre. Il lui semble qu’on lui porte des « coups de canif » dans l’estomac. S’agit-il d’une tumeur, le fameux squirre au pylore dont on prétend que serait mort son père? Ou un mystérieux poison

fait-il son effet? Ne dit-on pas que Montholon, trop humilié par les infidélité­s de son épouse ayant quitté l’île depuis quelques mois, chercherai­t à abréger cet interminab­le séjour? En réalité, rien de tout cela. Mais une chose est certaine: Napoléon ne sort quasiment plus, seules de rares promenades autour de sa maison lui permettant de connaître quelques instants de félicité. Personne d’ailleurs, dans son proche entourage, ne parvient à lui faire éviter l’enfermemen­t. On pare au plus pressé. C’est maintenant une question de jours. Même si le gouverneur Hudson Lowe croit toujours qu’on lui joue une comédie, ce sera la dernière année d’exil de l’ancien empereur. En mars, pour mieux le soigner et lui faire profiter au maximum de la lumière du jour, la chambre de Napoléon est déplacée dans la salle principale de Longwood. Le valet Marchand, le mamelouk Ali et le fidèle Bertrand, son grand-maréchal, l’entourent de leurs attentions, mais la fièvre s’installe pour ne plus le quitter.

Une lente montée au calvaire

Dès les cérémonies de Pâques achevées, l’exilé entend dicter son testament. Et contre toute attente, c’est au général Montholon qu’est confiée cette mission. À partir du 13 avril 1821, ce sont ainsi un texte principal, amendé et corrigé, ainsi que plusieurs codicilles qui sont établis pour chaque bénéficiai­re. Harassant travail pour un homme diminué, qui n’a plus sa superbe d’autrefois et qui s’apprête à achever son incroyable épopée au beau milieu de l’Atlantique Sud. Le 20 avril, l’abbé Vignali vient recueillir ses dernières confession­s et lui accorder l’extrême-onction. C’est donc en catholique que l’empereur, pourtant proche des jacobins et issu d’une République laïque, quittera ce monde. Les deux dernières semaines sont une lente montée au calvaire. On lui tresse une couronne d’épines. Il ne supporte quasiment plus aucun repas, recrache tout ce qu’on lui propose. Sans envie ni force, il se contente de quelques verres d’eau avec de la fleur d’orange, passe ses jours dans des délires, ses nuits en cau

« À ce moment suprême, tous les yeux se remplirent de larmes. Quel triste et sublime spectacle que la mort d’un grand homme et d’un homme taillé comme Napoléon ! »

chemars. Le 26, il confie à Montholon : « Je viens de voir ma bonne Joséphine, mais elle n’a point voulu m’embrasser ; elle s’est envolée au moment où j’ai voulu la prendre dans mes bras. Elle était assise là ; il me semblait que je l’avais vue la veille ; elle n’est pas changée, toujours la même, toujours tout dévouement pour moi ; elle m’a dit que nous allions nous revoir pour ne plus nous quitter. Elle m’assure que… L’avez-vous vue? » Les 1er et 2 mai, il continue de dicter ses souvenirs et ses ultimes volontés. Mais le 3, les hallucinat­ions le reprennent. Son médecin corse, désormais assisté de confrères britanniqu­es qui tentent d’abréger les souffrance­s du patient, lui administre des grains de calomel qui ne font qu’accentuer le mal.

La mort d’un grand homme

Au-dehors, le temps paraît annoncer la délivrance. Un terrible coup de vent emporte les derniers arbres encore vaillants qui entourent la modeste demeure. Le ciel est au diapason du drame qui se joue. La dernière nuit est entrecoupé­e de cris. On devine qu’il évoque le roi de Rome, souhaitant que son héritier prenne un jour « la tête » de « son armée ». À ses domestique­s, il demande : « Comment s’appelle mon fils ? » Marchand répond: « Napoléon ». Ce samedi 5 mai, entouré de ses derniers compagnons d’infortune, il expire. Bertrand, avec femme et enfants, assiste aux derniers instants ; il écrit dans son carnet: « Seize personnes présentes, dont douze Français, Mme Bertrand, avec

C’en est fini du génie militaire. Antommarch­i lui ferme les yeux. Le silence règne.

deux femmes, Ali, Noverraz, Napoléon Bertrand, à sept heures ; à sept heures et demie, il s’est trouvé mal. De onze heures à midi, Arnott a placé deux sinapismes aux pieds, et Antommarch­i deux vésicatoir­es, un sur la poitrine, le second au mollet. L’empereur a poussé quelques soupirs. Plusieurs fois, le docteur est allé chercher le pouls au col. À deux heures et demie [de l’après-midi], le docteur Arnott a fait placer une bouteille remplie d’eau bouillante sur l’estomac. À cinq heures quarantene­uf minutes, l’Empereur a rendu son dernier soupir. Les trois dernières minutes, il a rendu trois soupirs… Au moment de la crise, léger mouvement dans les prunelles ; mouvement régulier de la bouche et du menton au front ; même régularité que dans une pendule. » C’en est fini du génie militaire. Antommarch­i lui ferme les yeux. Le silence règne. Ali confie : « À ce moment suprême, tous les yeux se remplirent de larmes. Quel triste et sublime spectacle que la mort d’un grand homme et d’un homme taillé comme Napoléon! Si ses ennemis eussent été là présents, leurs yeux aussi se fussent mouillés et ils eussent pleuré sur ce corps privé de vie […]. Le grand-maréchal se leva de son fauteuil et, le premier, baisa la main de l’empereur, et tous, sans exception, suivirent son exemple. Alors les sanglots éclatèrent avec plus de force et les larmes coulèrent avec plus d’abondance. Quels pénibles et douloureux moments! Quel sujet de réflexion et de méditation! Celui qui maintenant est sans mouvement et sans vie avait commandé à toute l’Europe ; il avait vu à ses pieds les princes, les rois, les empereurs, les nations ; tous attendaien­t alors son ordre pour obéir à ses moindres volontés ; à sa voix, à son geste, à son regard, tout s’animait immédiatem­ent. » Le corps est ensuite présenté aux Anglais, notamment au capitaine Crokat, pour constater le décès. Hudson Lowe reçoit à Plantation House le faire-part, dicté quelques jours auparavant par Napoléon lui-même et auquel on a ajouté date et heure: « Monsieur le gouverneur, l’empereur Napoléon est mort le 5 mai 1821, à 17 h 49… » Le 6 mai, Antommarch­i, assisté de ses confrères Arnott et Rutledge, procède à l’autopsie. On mesure le cadavre qui fait « 5 pieds, 2 pouces, 4 lignes, soit 1,687 m ». On note aussi : « Le corps présentait […] plusieurs cicatrices, à savoir: une à la tête, trois à la jambe gauche, dont une sur la malléole externe, une cinquième à l’extrémité du doigt annulaire; enfin […] un assez grand nombre sur la cuisse gauche. » Sur les circonstan­ces de la mort, on constate que les organes sont intacts, à la différence de l’estomac qui possède une ulcération avec « une perfora

 ??  ?? La Mort de Napoléon, le 5 mai 1821 à Sainte-Hélène, lithograph­ie de Jean-PierreMari­e Jazet (1788-1871).
La Mort de Napoléon, le 5 mai 1821 à Sainte-Hélène, lithograph­ie de Jean-PierreMari­e Jazet (1788-1871).
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 ??  ?? Le lit de campagne militaire où est mort Napoléon Ier, le 5 mai 1821, à Longwood House, sur l’île de Sainte-Hélène.
Le lit de campagne militaire où est mort Napoléon Ier, le 5 mai 1821, à Longwood House, sur l’île de Sainte-Hélène.
 ??  ?? Napoléon sur son lit de mort, une heure avant son enseveliss­ement (Longwood, Sainte-Hélène, 9 mai 1821, 10 heures), 1843, de Jean-Baptiste Mauzaisse (1784–1844).
Napoléon sur son lit de mort, une heure avant son enseveliss­ement (Longwood, Sainte-Hélène, 9 mai 1821, 10 heures), 1843, de Jean-Baptiste Mauzaisse (1784–1844).
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