Secrets d'Histoire

Michel Dancoisne-Martineau : « Je suis le gardien du tombeau vide »

- Propos recueillis par Virginie Girod

Les domaines français de Sainte-Hélène sont la dernière conquête posthume de Napoléon ! Le drapeau tricolore flotte sur cette enclave tant qu’un représenta­nt légal de la métropole y sera installé. Michel Dancoisne-Martineau vit sur cette île depuis 1985. Il perpétue à la fois le souvenir de Napoléon et l’oeuvre de conservati­on de ses prédécesse­urs.

Sainte-Hélène est une île anglaise au coeur de l’Atlantique Sud. Pourquoi y a-t-il un domaine français en son sein ?

Les domaines nationaux de Sainte-Hélène existent en raison de l’exil de Napoléon. Après sa mort, les lieux de sa relégation sont devenus des sites pourvoyeur­s de reliques. Au xixe siècle, des voyageurs prélevaien­t des végétaux ou des minéraux de la vallée de la Tombe pour en faire commerce. Après que le prince de Joinville a ramené le corps de Napoléon en France, des indélicats ont vendu des fragments d’un des quatre pans de sa fosse mortuaire. Alerté par les visiteurs de passage, Napoléon III en a été scandalisé. Le Parlement a voté les fonds nécessaire­s pour racheter les domaines en rapport avec l’empereur. Cependant, ces terres insulaires étaient réservées aux ressortiss­ants du Royaume-Uni. Pour contourner la loi, le gouverneur de Sainte-Hélène a acheté Longwood et la vallée de la Tombe en son nom, les a revendus à la reine Victoria qui les a cédés à son tour à Napoléon III en 1856 contre une coquette somme. Sur l’acte de vente, ces domaines appartienn­ent à Napoléon III et à ses descendant­s. Le drapeau français pourra y flotter tant qu’un représenta­nt légal sera sur place.

Après que le prince de Joinville a ramené le corps de Napoléon en France, des indélicats ont vendu des fragments d’un des quatre pans de sa fosse mortuaire.

Que trouve-t-on aujourd’hui dans ce domaine ?

Les domaines nationaux sont composés de trois parcelles: la maison de Longwood sise sur un plateau battu par les alizés, la vallée de la Tombe que Napoléon lui-même appelait la vallée du Géranium où il a été enterré jusqu’en 1840 et le pavillon des Briars entré plus tardivemen­t dans les domaines.

Pourquoi le pavillon des Briars n’avait-il pas vocation à devenir un lieu de mémoire ?

Cette demeure est gênante pour les historiens. Il s’agit d’un petit paradis luxuriant dont le climat est comparable à celui de la Côte d’Azur en été alors que celui de Longwood ressembler­ait davantage à Saint-Malo en novembre. Napoléon s’y est reposé après son voyage jusqu’à SainteHélè­ne. On peut dire qu’il y a été heureux. Or, cette réalité embarrasse les Bonapartis­tes favorables à une lecture de l’Histoire proche du Mémorial de Sainte-Hélène, de Las Cases. Pour eux, il est préférable d’oblitérer cette parenthèse. Les anti-Napoléon ne mentionnen­t quasiment pas les Briars pour les mêmes raisons. Ils ne veulent pas s’imaginer l’empereur déchu au milieu de ce paradis. Toujours est-il que la petite-nièce de Betsy Balcombe de passage sur l’île en 1957 propose d‘acheter la maison à la compagnie Cable & Wireless qui en était le propriétai­re pour ensuite en faire don à la France. Le domaine a donc été cédé à l’État sans que cela ne lui coûte rien. La maison rongée par les termites a été restaurée en 1990. J’ai remarqué que d’innombrabl­es droits de servitude et de passage en compliquai­ent inutilemen­t la gestion au quotidien et la conservati­on. J’ai donc acheté personnell­ement le terrain adjacent pour en finir avec ces problèmes et je l’ai offert à mon tour à la Nation.

La maison de Longwood est située sur un plateau inhospital­ier et difficile d’accès. À quoi ressemble le site aujourd’hui ? Est-il conservé dans l’état où Napoléon l’a laissé ?

La maison de Longwood a elle aussi été restaurée. Après la mort de l’empereur, elle a servi de ferme pendant plusieurs années. En prenant possession du terrain, le premier conservate­ur a fait abattre les maisonnett­es des généraux construite­s en planches marouflées de carton puis goudronnée­s. Les appartemen­ts de l’empereur, quant à eux, étaient vides. Mes prédécesse­urs et moi avons fait un long travail d’investigat­ion que j’ai achevé de manière exhaustive pour retrouver le mobilier d’origine qui était resté sur l’île. À l’arrivée de Napoléon, la demeure avait été meublée par les Anglais qui avaient réquisitio­nné des éléments disparates chez l’habitant. Il s’agit essentiell­ement de meubles en acajou, certes beaux mais simples. Nous avons dépouillé tous les testaments des habitants de l’île depuis 1822, date à laquelle les objets de la maison ont été vendus aux enchères. Aujourd’hui, les visiteurs peuvent les voir dans l’endroit même où l’empereur a vécu. Nous voulons restituer Longwood dans l’état dans lequel Napoléon l’a laissé le 5 mai 1821.

Napoléon a été inhumé une première fois dans la vallée de la Tombe. À quoi ressemble ce site ?

Le corps de Napoléon n’est plus dans la vallée de la Tombe depuis 1840 mais les visiteurs continuent à y venir. Je ne crois pas pour autant qu’il faille garder le lieu tel qu’il était lorsque l’empereur y reposait. J’ai donc fait le choix de laisser la nature faire son oeuvre tout en la rendant hospitaliè­re. Aujourd’hui, on peut voir la dalle vierge de son tombeau vide entourée d’une grille de fonte. Lors de l’avènement de Louis-Philippe, l’épouse du gouverneur, Lady Dallas, francophil­e et libérale,

Les domaines français de Sainte-Hélène accueillen­t-ils beaucoup de visiteurs ?

Avant l’ouverture du canal de Suez, SainteHélè­ne était une escale obligatoir­e pour tous les bateaux qui croisaient dans l’Atlantique Sud. Il pouvait y avoir 10 000 à 15 000 voyageurs par an. De retour des Indes orientales ou de Chine, ceux-ci profitaien­t du ravitaille­ment de leur navire pour se rendre sur les lieux où Napoléon a vécu. Avec les nouveaux itinéraire­s maritimes, les voyageurs se sont raréfiés. Grâce à l’ouverture de l’aéroport de Sainte-Hélène en 2017, nous accueillon­s dans les domaines près de 200 visiteurs français par an.

Vous avez souhaité devenir le directeur de ces domaines après votre arrivée à Sainte-Hélène en 1985. D’où vous vient votre passion pour cette île ?

Elle est surtout liée aux hasards de la vie ! C’est l’opportunit­é d’un voyage qui m’a amené à SainteHélè­ne à 19 ans. Puis j’ai eu un job d’été dans les domaines nationaux, un travail qui s’est prolongé jusqu’à aujourd’hui… Mon prédécesse­ur Gilbert Martineau est même devenu mon père adoptif. C’est une très longue histoire. Je raconte comment je suis devenu le gardien du tombeau vide dans un récit publié aux éditions Flammarion.

Comment le domaine fait-il vivre la mémoire des dernières années de Napoléon ?

Même si nous avons peu de visiteurs qui transitent par la billetteri­e et la boutique, nous offrons une large gamme de services à ceux qui viennent jusqu’à nous. Nous mettons à dispositio­n de nos hôtes des audioguide­s sur tous les sites en plus de nos trois guides et il m’arrive d’emmener personnell­ement des visiteurs en randonnée. Nous récapitulo­ns toutes nos propositio­ns sur le site napoleonst­helena.com. Vous verrez par exemple qu’il est possible de passer la nuit dans l’ancienne chambre de Las Cases. La maison des Briars est en revanche louée à l’année par le député gouverneur de Sainte-Hélène. Il a néanmoins l’obligation de donner accès à la pièce dans laquelle Napoléon a séjourné. Toute l’équipe des domaines est prête à accueillir les visiteurs qui viendront à l’occasion du bicentenai­re de la mort de l’empereur, même si la crise sanitaire va réduire inéluctabl­ement le nombre de personnes prêtes à accepter une quatorzain­e avant de pouvoir circuler librement sur l’île. Nous gardons espoir.

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Michel DancoisneM­artineau, devant la maison de Longwood, sur l’île de Sainte-Hélène.
 ??  ?? Le pavillon Briars, au coeur de sa vallée. Napoléon y séjourna deux mois agréables au sein de la famille Balcombe à son arrivée sur à Sainte-Hélène. Aujourd’hui, seul le pavillon qu’il occupait est ouvert au public.
Le pavillon Briars, au coeur de sa vallée. Napoléon y séjourna deux mois agréables au sein de la famille Balcombe à son arrivée sur à Sainte-Hélène. Aujourd’hui, seul le pavillon qu’il occupait est ouvert au public.
 ??  ?? Michel DancoisneM­artineau est consul honoraire de France et conservate­ur des domaines nationaux de Sainte-Hélène. Il est l’auteur de Je suis le gardien du tombeau vide, paru aux éditions Flammarion en 2017.
Michel DancoisneM­artineau est consul honoraire de France et conservate­ur des domaines nationaux de Sainte-Hélène. Il est l’auteur de Je suis le gardien du tombeau vide, paru aux éditions Flammarion en 2017.
 ??  ?? Vue des Briars, première résidence de Napoléon Bonaparte sur l’île, gravure tirée de Souvenir de l’empereur Napoléon, 1851.
Vue des Briars, première résidence de Napoléon Bonaparte sur l’île, gravure tirée de Souvenir de l’empereur Napoléon, 1851.
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