Secrets d'Histoire

Portrait Madame de Maintenon, l'épouse secrète du roi, par Jean-Christian Petitfils

- Par Jean-Christian Petitfils

Prodigieux et irréel, le destin de cette femme du Grand Siècle n’a cessé de fasciner. Comment comprendre son ascension fulgurante en un temps où les conditions sociales et la richesse des puissants scellaient à jamais le sort des individus et pétrifiaie­nt les plus légitimes aspiration­s?

Jean-Christian Petitfils, historien, docteur en sciences politiques, est l’auteur de plusieurs essais, ouvrages historique­s et biographie­s, notamment sur Louis XIV (Tallandier, 2001), Madame de Montespan (Perrin/Tempus). Il s’est également entouré de près de 20 historiens pour réaliser

Le Siècle de Louis XIV (Perrin, 2015), édité pour le tricentena­ire de la mort du Roi-Soleil.

Petite-fille du poète protestant Agrippa d’Aubigné, fille de Constant, un intrigant douteux et violent qui avait occis sa première femme et l’amant de celleci, Françoise d’Aubigné était née à Niort en novembre 1635 alors que son raté de père faisait de la prison pour dettes. Après une aventure de deux ans à la Martinique, où Mme d’Aubigné, née Jeanne de Cardilhac, et ses deux enfants vécurent la dure existence des petits colons, la famille revint en France. En 1647, à La Rochelle, les malheureux sans ressources allaient quémander leur nourriture aux portes du collège des Jésuites. La fière adolescent­e en fut marquée à jamais.

Belle et éduquée

Ainsi s’expliquera­ient sa soif de revanche sur l’existence, son amour excessif des biens matériels, sa quête effrénée de la sécurité. Recueillie d’abord par sa tante, Mme de Villette, au château de Mursay près de Niort, où elle reçut une éducation huguenote, elle en fut soustraite par une autre tante, catholique celle-ci, qui la prit à Neuillant, en Poitou, et l’éleva à la rude. De là, elle fut placée en pension chez les Ursulines de Niort puis de Paris. C’était une beauté resplendis­sante de fraî

cheur, que l’âpreté de la vie avait rendue plus mûre que les petites demoiselle­s de son âge. La taille bien prise, le visage ovale, doux, soyeux, admirablem­ent bien dessiné, elle avait le nez aquilin, la bouche légèrement sensuelle mais délicate et de longs cheveux châtains. Ses yeux surtout étaient fascinants, les contempora­ins l’attestent : de grands yeux de velours qui jetaient des éclats de diamant noir et qui savaient passer de l’enjouement à la mélancolie, de la tristesse à la candeur.

Madame Françoise Scarron

Comme elle ne voulait pas du couvent, Mme de Neuillant s’en débarrassa – il n’y a pas d’autre mot – en la mariant sans dot au poète Paul Scarron, un grabataire difforme. Ce bouffon lubrique n’avait pas caché le programme de cette étrange noce: « Je ne lui ferai pas de sottises, je lui en apprendrai ! » Polisson grimaçant, Scarron n’en était pas moins homme d’esprit: dans son salon littéraire du Marais, où venaient deviser, rire et s’amuser tous les libertins bohèmes, les petits marquis goinfres, les coquebins arrogants, les abbés mondains, les francs-buveurs et les Trissotins de Paris, Françoise assistait à ces réunions gaies et débraillée­s, tout en gardant sa réserve naturelle et sa part de mystère. En octobre 1660, Scarron mourut. Au lieu de rester dans le monde et de s’y remarier, elle eut la prudence de s’installer comme « dame pensionnai­re » dans un couvent de la place Royale, puis chez les Ursulines de la rue Saint-Jacques.

Gouvernant­e au service du roi

Pas question pour autant pour celle que SaintSimon appellera plus tard « l’abbesse universell­e » d’entrer en religion ! En couchant le soir chez les soeurs, en jouant les veuves discrètes, son but était de gagner en respectabi­lité, d’obtenir « l’approbatio­n des honnêtes gens » et peut-être aussi de justifier la pension de 2 000 livres qu’Anne d’Autriche lui fit verser à partir de cette époque. Reçue à l’hôtel du maréchal d’Albret, où on lui réservait la place de la cousine pauvre et serviable, elle s’y fit apprécier par son bon sens, son intelligen­ce, son charme, suscitant autour d’elle une nuée de « mourants ». Il est probable qu’elle eut alors au moins un amant, au sens moderne du terme, un bellâtre entreprena­nt, le marquis de Villarceau­x. Mais cette aventure fut brève et discrète. Dès 1666, la « Belle Indienne » prenait

C’était une beauté resplendis­sante de fraîcheur, que l’âpreté de la vie avait rendue plus mûre que les petites demoiselle­s de son âge.

un confesseur attitré, réputé pour sa rigueur, l’abbé Gobelin. C’est à l’hôtel d’Albret que Mme de Montespan la connut. Quand elle mit au monde en mars 1669 un fils né de ses amours avec le roi, elle chercha une gouvernant­e compétente et discrète, moralement irréprocha­ble. Elle songea tout de suite à cette distinguée dévote, instruite et de bonne réputation, qui par dévouement s’occupait des enfants d’une dame de la haute société dont elle était la répétitric­e. À l’automne 1669, donc, la veuve Scarron prit en charge l’éducation du premier bâtard puis, en mars 1670, du second (le futur duc du Maine). Après la naissance, en juin 1672, du futur comte de Vexin, on décida de réunir les enfants dans un hôtel obscur du village de Vaugirard. C’est alors que la veuve Scarron changea de vie : elle rompit avec la plupart de ses amies et se consacra exclusivem­ent à cette oeuvre éducatrice. D’autres enfants suivirent. Louis XIV venait de temps en temps les voir en secret, chérissant particuliè­rement le petit Louis Auguste, futur duc du Maine, à l’esprit vif et primesauti­er. Il fit sa connaissan­ce. Au début, leurs rapports furent froids. Il la jugeait précieuse, hautaine, irritante, d’une marmoréenn­e beauté. Il lui fit une cour discrète, à laquelle la jolie duègne ne répondit qu’avec prudence, ne fût-ce qu’en raison du caractère jaloux et explosif de Mme de Montespan. Une aventure d’un soir, même dans les bras du roi, l’intéressai­t moins que l’affermisse­ment de son rang et de sa situation matérielle. Elle savait ce qu’était la misère.

Un mariage secret

En janvier 1674, les bâtards légitimés quittèrent la clandestin­ité pour s’installer à la Cour avec leur gouvernant­e. Les rapports avec la belle Athénaïs se détériorèr­ent: le motif ou le prétexte était l’éducation des enfants. Capricieus­e et fantasque, celle-ci lui reprochait son étroitesse, sa sévérité, mais la vraie raison était que le monarque continuait à la rechercher. À la fin de 1674, une gratificat­ion de 100 000 livres permit à la veuve Scarron, avec quelques économies, d’acheter la terre de Maintenon. Devenue marquise, son rang égalait celui de sa rivale! Son ascension ne s’arrêta pas là. En décembre 1679, elle fut promue seconde dame d’atour de la dauphine. Bientôt, on la vit monter dans le carrosse royal et se placer sans façon à côté du souverain. On s’étonnait de cette singulière faveur comme des longues conversati­ons qu’elle avait avec lui. La pieuse légende de l’indomptabl­e vestale, sans passion ni faiblesse, construite plus tard par elle, ne résiste pas à l’ina

vouable vérité. Assurément, ce n’était pas pour le salut du roi qu’elle avait accepté son « amitié » et, si sa vertu avait sans doute résisté jusque-là, c’est alors qu’elle succomba. À 45 ans, rayonnante et épanouie, elle offrait les attraits d’un beau fruit mûr. Les courtisans, sous le manteau, ne l’appelaient plus que « Madame de Maintenant ». Le conte de fées se prolongea durant trente-cinq ans. En octobre 1683, après le trépas de la reine Marie-Thérèse, elle épousa morganatiq­uement le roi dans la chapelle de Versailles. Incroyable et pourtant vrai! Elle présida alors, discrèteme­nt, à toutes les grandes fêtes de la fin du règne, divertisse­ments royaux, festins, collations, soupers.

Une fin de vie discrète

Elle joua un rôle majeur dans l’atmosphère de piété, mais aussi de bigoterie qui s’empara de la Cour. Si elle s’intéressa aux intrigues d’antichambr­es, aux démêlés secrets, aux conciliabu­les, son influence politique a été plus réduite qu’on ne l’a dit, ne pesant jamais sur les grandes décisions politiques, à commencer par la révocation de l’édit de Nantes. À cet égard, Louis lui tenait la bride serrée. À la mort du roi, en septembre 1715, elle se retira dans la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr, qu’elle avait fondée pour les jeunes filles de la noblesse désargenté­e, sa plus belle oeuvre. Elle y décéda le 15 avril 1719 à 83 ans. Deux ans plus tôt, le tsar Pierre Ier, « venu voir tout ce qui en valait la peine en France », lui avait rendu visite, contemplan­t un moment dans son lit cette momie tout embéguinée de dentelles noires, qui avait été – comment le croire? – l’épouse secrète du plus grand roi de la terre. Sic transit gloria mundi.

Deux ans plus tôt, le tsar Pierre Ier, « venu voir tout ce qui en valait la peine en France », lui avait rendu visite…

 ??  ?? Racine lisant Athalie devant Louis XIV et madame de Maintenon, de Julie Phlipaut (1780-1834).
Racine lisant Athalie devant Louis XIV et madame de Maintenon, de Julie Phlipaut (1780-1834).
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 ??  ?? La chapelle royale du château de Versailles où Louis XIV épousa Madame de Maintenon en secret, en 1683.
Madame Scarron, de Louis de Mornay, dont elle fut un temps la maîtresse.
La chapelle royale du château de Versailles où Louis XIV épousa Madame de Maintenon en secret, en 1683. Madame Scarron, de Louis de Mornay, dont elle fut un temps la maîtresse.
 ??  ?? Le nouveau jardin à la française du château de Maintenon, réalisé par Patrick Pottier, dans l’esprit du plan établi par Le Nôtre, fameux créateur du parc royal de Versailles.
Le nouveau jardin à la française du château de Maintenon, réalisé par Patrick Pottier, dans l’esprit du plan établi par Le Nôtre, fameux créateur du parc royal de Versailles.
 ??  ?? Madame de Maintenon avec Louis Auguste, duc du Maine et Louis César, comte de Vexin, fils naturels de Louis XIV dont elle fut la gouvernant­e, de Pierre Mignard (1612-1695).
Madame de Maintenon avec Louis Auguste, duc du Maine et Louis César, comte de Vexin, fils naturels de Louis XIV dont elle fut la gouvernant­e, de Pierre Mignard (1612-1695).
 ??  ?? Le domaine de Maintenon fut acheté par Françoise d’Aubigné en 1674, avec le soutien financier du roi. Elle y séjourna régulièrem­ent jusqu’en 1688.
Le domaine de Maintenon fut acheté par Françoise d’Aubigné en 1674, avec le soutien financier du roi. Elle y séjourna régulièrem­ent jusqu’en 1688.
 ??  ?? Le Tsar Pierre Ier visite Madame de Maintenon à Saint-Cyr en 1717, de Thérèse de Champ-Renaud (1861-1921).
Le Tsar Pierre Ier visite Madame de Maintenon à Saint-Cyr en 1717, de Thérèse de Champ-Renaud (1861-1921).

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