Secrets d'Histoire

Fiction ou réalité? Paris Police 1900, de Fabien Nury

- Par Marine Guiffray

La vie... ce n’est pas toujours du cinéma. Les films ou séries historique­s prennent parfois leurs aises, volontaire­ment ou non, avec la réalité. Erreurs historique­s, anachronis­mes, trucages font partie du jeu cinématogr­aphique. Saurez-vous démêler la fiction de la réalité dans la série Paris Police 1900 ?

1899. Le président Félix Faure rend son dernier souffle « dans les bras » de l’envoûtante Marguerite Steinheil, tandis que la France se déchire. Alfred Dreyfus s’apprête à être rejugé. Dans les rues malfamées de Paris comme dans les rangs de l’Assemblée et les colonnes des journaux, dreyfusard­s et antidreyfu­sards s’affrontent.

À la tête de la Ligue antisémiti­que, les frères Guérin mènent une guerre d’une violence inouïe contre les Juifs. Paris risque à tout moment d’être mise à feu et à sang… Craignant un coup d’État, le gouverneme­nt implore l’intransige­ant Louis Lépine de reprendre la tête de la préfecture de police. Pour l’heure, c’est dans un climat de défiance envers ses propres collègues que l’inspecteur Jouin doit résoudre l’affaire de la « valise sanglante », et confondre le meurtrier de la femme dont

le corps mutilé a été découvert dans une valise. Des bureaux de la préfecture au quartier des bouchers de la Villette, en passant par les salons bourgeois, la série nous plonge au temps d’une prétendue Belle Époque où les Juifs, les femmes et les bons flics devaient lutter pour survivre.

Doit-on au préfet Louis Lépine notre police moderne ?

RÉALITÉ

Louis Lépine fut le préfet de police de Paris de 1893 à 1897 puis de 1899 à 1913. Convaincu qu’il fallait encourager le progrès et restaurer la confiance des citoyens dans la police, il fut à l’origine d'avancées sociales et technologi­ques: « Vous avez besoin d’aide? Appelez la police », lui font dire les scénariste­s dans l’épisode 2. Lépine fait installer des postes téléphoniq­ues dans les bureaux de la préfecture et les commissari­ats, des avertisseu­rs téléphoniq­ues dans la ville pour prévenir rapidement les pompiers et police-secours ; il crée les brigades cyclistes (les « hirondelle­s »), la brigade fluviale, la brigade criminelle… Il facilite la circulatio­n dans Paris en créant les passages piétons, les sens giratoires, et en équipant les agents de police de bâtons blancs. Bien qu’il soit tourné en dérision à l’époque, Lépine améliorera ainsi l’image

UNE SÉRIE PASSÉE AU DÉTECTEUR DE MENSONGES

de la police : « J’exigeai la courtoisie pour les femmes, la politesse pour tout le monde... autant de nouveautés dont le public savait gré aux gardiens de la paix. »

Alphonse Bertillon est-il l’un des pères de la police scientifiq­ue?

RÉALITÉ

À la fin du xixe siècle, les innovation­s technologi­ques et scientifiq­ues facilitent le travail de la police. Vers 1880, le criminolog­ue Alphonse Bertillon met au point une technique d’identifica­tion qu’on appelle couramment « système Bertillon » ou « bertillonn­age ». Fidèlement mise en scène dans la série, elle consiste à prendre les mensuratio­ns d’un criminel – largeur de tête, hauteur du buste, longueur de l’oreille droite, etc. – afin de l’identifier plus tard en cas de récidive: c’est l’ « anthropomé­trie ». Pour compléter ces données chiffrées et disposer d’un maximum d’informatio­ns sur les personnes arrêtées, Bertillon photograph­ie leur visage de face et de profil, et prend soin de noter les particular­ités physiques de chacune. Ce protocole efficace est adopté par les polices étrangères, avant d’être éclipsé par la dactylosco­pie, qui permet d’identifier une personne grâce à ses empreintes digitales.

L’antisémiti­sme était-il une affaire de famille pour Jules Guérin ?

FICTION ET RÉALITÉ

Les personnage­s de Jules et Louis Guérin ont existé. Dans le sillage du député Édouard Drumont, qui créa la Ligue nationale antisémiti­que de France en 1889, ils fondèrent en 1897 la seconde Ligue antisémiti­que de France. À la tête du journal L’Antijuif, ils propagèren­t par leurs textes et leurs conférence­s un discours antisémite déjà très présent dans la société française. Les frères agissaient-ils sous l’influence de leur mère, comme à l’écran? Certaineme­nt pas! Cet effrayant personnage de maman vénale, étouffante, interprété par Anne Benoît, couve ses fils de manière malsaine et dirige avec poigne une armée d’hommes prêts à en découdre avec la police, plus pour les besoins de l’intrigue que par fidélité à l'Histoire.

Marguerite Steinheil fut-elle une informatri­ce de la police ?

FICTION

Félix Faure, Aristide Briand, le roi du Cambodge, le grand-duc de Russie… La liste de ses amants est longue et prestigieu­se! Marguerite Steinheil a eu une vie rocamboles­que qui a inspiré le scénariste Fabien Nury… Si elle fut surnommée « pompe funèbre » – son nom de moucharde dans la série – après avoir causé la mort du président Félix Faure, l’intrigante demi-mondaine ne fut jamais recrutée comme informatri­ce par la police. En 1899, elle se contente de tenir salon dans son hôtel parisien, où elle reçoit politicien­s, artistes et écrivains (Pierre Loti, Toulouse-Lautrec, Gounod…). En 1908, soupçonnée du meurtre de sa mère et de son mari, elle aura affaire à la police criminelle. Elle sera incarcérée à la prison de Saint-Lazare, puis acquittée un an plus tard, avant de refaire sa vie en Angleterre.

Était-il si difficile d’être une femme au tournant du xxe siècle?

RÉALITÉ

À travers plusieurs portraits de femmes, Paris Police 1900 montre à quel point elles étaient peu considérée­s à l’époque. Ainsi, Jeanne Chauvin, son doctorat de droit en poche, se bat pour exercer la profession d’avocate – et sera la première à plaider en France, en 1901. Dans les milieux populaires, les femmes sont souvent forcées de se prostituer pour gagner leur vie. Quelle que soit leur classe sociale, les femmes risquent d'être répudiées par leur mari et emprisonné­es en cas de constat d’adultère. Même Marguerite Steinheil et l’épouse du préfet Lépine, malgré leur milieu plus aisé, subissent un patriarcat brutal. « Sans faire un récit à proprement parler militant, il y avait la possibilit­é de développer des personnage­s pour traiter le sujet de la condition féminine », confirme le scénariste Fabien Nury.

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Ci-dessus : Dans Paris Police 1900,
on découvre l'atmosphère hostile de la capitale, et les tensions politiques qui y régnait à l'aube du xxe siècle.
Photo page de gauche : Jérémie Laheurte incarne Antoine Jouin, jeune inspecteur de la brigade criminelle qui enquête sur le meurtre sordide d'une femme. Ci-dessus : Dans Paris Police 1900, on découvre l'atmosphère hostile de la capitale, et les tensions politiques qui y régnait à l'aube du xxe siècle.
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Ci-dessous : Marc Barbé joue le préfet de police de Paris, Louis Lépine, à qui l'on doit la réforme en profondeur d'une institutio­n alors vérolée par les querelles intestines et les guerres de pouvoir.

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