Secrets d'Histoire

Une famille génoise

- Par Virginie Girod

Originaire de la république maritime de Gênes, les Grimaldi s’emparent du Rocher pour la première fois au xiie siècle. La nouvelle famille princière le perdra et le reprendra plusieurs fois avant d’être officielle­ment reconnue comme seigneur de cette principaut­é en partie enclavée en France, ce qui explique ses liens privilégié­s avec ce pays.

Depuis le xiie siècle, une forteresse hérissée de quatre tours surplombe le Rocher. Elle permet de surveiller la Méditerran­ée entre la France et la république maritime de Gênes en proie à des luttes intestines. Les familles Guelfes et Gibelins sont les têtes de file de deux camps irréconcil­iables depuis la crise de succession consécutiv­e à la mort de l’empereur du Saint-Empire romain germanique Henri V (1106-1125). Les premiers sont partisans du pape et sont alliés aux familles Fieschi et Grimaldi. Les seconds sont affidés à l’empereur et s’appuient sur les Doria et les Spinola. Les Grimaldi descendent d’Otto Canella, consul de Gênes en 1133. Son fils cadet, Grimaldo, est à l’origine de la lignée des actuels princes de Monaco. Les Grimaldi sont tous des hommes valeureux et des marins aguerris. En 1297, une opposition violente entre les deux factions condamne les Grimaldi à l’exil.

François Grimaldi décide alors de partir avec un de ses bateaux vers le Rocher pour la ravir au camp Gibelins bien qu’il n’ait que peu d’hommes pour se rendre maître de la forteresse. Mais ce fils spirituel d’Ulysse ne manque pas d’idées ! Il se déguise en moine franciscai­n et frappe à la porte de l’austère bâtisse. Les militaires en faction lui ouvrent. François demande l’hospitalit­é pour la nuit. Comment pourrait-on refuser un toit à un pauvre prêtre mendiant son pain?

François le rusé s’empare du Rocher

Une fois la vigilance des gardes endormie, François s’avance, sort son épée de sa robe de bure et assassine les gardes. Ses compagnons surgissent de l’ombre et se précipiten­t dans la citadelle ouverte. Le bain de sang ne dure pas longtemps. Les soldats ne sont pas nombreux et les hommes de François ont bénéficié de l’effet de surprise. À l’aube du 8 janvier 1297, un Grimaldi s’est imposé sur le Rocher. Son exploit lui vaut le surnom de « Malizia », le rusé. Il est aujourd’hui un personnage de la mythologie monégasque. Sa statue en robe de moine trône dans la cour du palais et son effigie orne les armoiries de la principaut­é. François cède sa prise à son cousin Rainier Ier de Monaco qui y fonde sa maison princière. Le Rocher n’est alors qu’un point stratégiqu­e que les Gibelins reprendron­t en 1301 après que les Grimaldi ont attaqué le port de Gênes sans succès. En quête de gloire et d’argent, Rainier se met au service du roi de France Philippe le Bel et inaugure une longue tradition amicale entre les Grimaldi et le royaume de France. Rainier meurt en 1314 après avoir été mercenaire plus de dix ans. Contrairem­ent à l’usage selon lequel on se bat sous les couleurs de son seigneur, le premier prince monégasque a toujours combattu avec son propre blason à losanges d’argent et de gueules (nom du rouge sang en héraldique médiévale). Avec ou sans terre, les Grimaldi sont fiers et de nature indépendan­te. Charles Grimaldi arrache à nouveau le Rocher aux Gibelins en 1342. Il devient officielle­ment le premier seigneur de Monaco et prend ainsi ses distances avec Gênes toujours gangrenée par ses factions rivales. Charles Ier élargit son territoire en incorporan­t Menton et Roquebrune, puis il développe sa marine qu’il met

toujours au service des ambitions des Guelfes tout en contribuan­t au raffermiss­ement des liens de sa maison avec celle des rois de France. Le seigneur de Monaco est rarement chez lui car il sert les Valois à la guerre. Son héritier, Rainier II, perd à nouveau Monaco après une attaque des Gibelins. À son tour, il vit en prince mercenaire.

Pomelline, rempart de Monaco

Une soixantain­e d’années plus tard, une branche cadette des premiers Grimaldi s’empare à nouveau du Rocher. Pour garantir cette indépendan­ce nouvelleme­nt acquise, Jean voyage souvent en France laissant la forteresse aux mains de son épouse, Pomelline. Cette parente du doge de Gênes n’est pas une faible femme. Si son nom évoque la douceur des vergers, son coeur a la consistanc­e de son Rocher! En 1436, la dame de céans voit arriver des émissaires du duc de Savoie décidés à lui faire signer une alliance avec Gênes contre le duc de Milan avec qui Jean est allié. Pomelline refuse. Les émissaires font pression sur elle en lui annonçant que son mari et son fils sont retenus prisonnier­s mais rien ne fléchit cette âme éperdue de pouvoir. Le bras de fer entre la Savoie et la dame de Monaco dure plus d’un an. De guerre lasse, le duc de Savoie libère ses otages.

Du combat des chefs au mariage heureux

Convaincu que les femmes du Rocher ne manquent pas d’aplomb, Jean, de retour chez lui, prend une série de mesures pour confier la direction aux épouses ou aux soeurs Grimaldi si la lignée masculine venait à s’éteindre, à la condition que leur nom reste celui des princes et princesses. Pour un homme du xve siècle, Jean se montre particuliè­rement moderne mais après tout, les Grimaldi ont décidé que Monaco était leur principaut­é. Peu importe que l’héritage passe par les hommes ou par les femmes tant que le sang des Grimaldi coule

dans les veines des altesses. Jean s’éteint avec la conviction de laisser le Rocher entre de bonnes mains. Son fils, Catalan, lui succède en 1454 mais sa santé est fragile et il passe l’arme à gauche trois ans plus tard laissant la principaut­é à sa mère, Pomelline, et à sa petite soeur de 6 ans, Claudine. Théoriquem­ent, la petite fille est la princesse puisqu’elle est la soeur du défunt roi. Elle est rapidement fiancée à Lambert Grimaldi, un cousin installé dans le fief de Menton. Ledit fiancé a trente ans de plus que sa promise et doit partager le pouvoir avec sa future belle-mère. Inutile de préciser que ces deux-là ne s’entendent guère. La veuve de Jean a prouvé qu’elle n’avait besoin de personne pour gouverner mais l’époque n’est pas clémente envers les femmes et Lambert lui fait comprendre qu’elle ferait mieux de retourner à sa couture. Déterminée à trouver un gendre plus docile, Pomelline ourdit un complot contre Lambert. Malheureus­ement, celui-ci est déjoué. Le fiancé de la princesse profite des événements pour réunir tous les chefs de famille du Rocher afin qu’ils lui prêtent un serment de fidélité. Nouveau suzerain appuyé par ses vassaux, Lambert prononce la déchéance des droits seigneuria­ux de Pomelline. La veuve est envoyée en résidence surveillée à Menton mais on n’abandonne pas le pouvoir si facilement quand on a goûté à son ivresse. La Génoise écrit des lettres et cherche des soutiens parmi les puissantes familles de la république maritime. Toutes ses tentatives de coup d’État contre Lambert échouent. Celui-ci épouse Claudine alors âgée de 14 ans en 1465 afin de stabiliser définitive­ment sa position de prince régnant. Contre toute attente, leur union sera heureuse et féconde. Deux de ses fils lui succéderon­t. À la mort du prince Lambert en 1494, le Rocher est devenu une puissance méditerran­éenne prospère et indépendan­te. Les Grimaldi sont désormais reconnus comme les maîtres de Monaco mais ce port stratégiqu­e reste très envié par les puissances alentour. Les Monégasque­s continuero­nt cependant à se tourner de manière privilégié­e vers la France et l’Histoire prouvera que ce n’était pas un mauvais choix.

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Honoré II (15971662), premier prince de Monaco, de Philippe de Champaigne.
 ??  ?? Ci-dessous, Rainier Ier (1267-1314), d’Eugène Louis Charpentie­r (1811-1890). Le premier seigneur de Monaco porte une cotte de mailles recouverte d’une tunique à losanges rouges et blancs, caractéris­tiques de l’écusson de Monaco.
Le palais DorsiTursi fut bâti à partir de 1565 dans le centre historique de Gênes pour Niccolò Grimaldi dit « le monarque », proche du roi d’Espagne, Philippe II, dont il gérait les finances. En photo, la double loggia vers la cour intérieure du majestueux édifice.
Ci-dessous, Rainier Ier (1267-1314), d’Eugène Louis Charpentie­r (1811-1890). Le premier seigneur de Monaco porte une cotte de mailles recouverte d’une tunique à losanges rouges et blancs, caractéris­tiques de l’écusson de Monaco. Le palais DorsiTursi fut bâti à partir de 1565 dans le centre historique de Gênes pour Niccolò Grimaldi dit « le monarque », proche du roi d’Espagne, Philippe II, dont il gérait les finances. En photo, la double loggia vers la cour intérieure du majestueux édifice.
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 ??  ?? Le musée du Bastion Jean Cocteau a ouvert en 1966 à Menton, dans cet ancien fortin du xviie siècle.
Le musée du Bastion Jean Cocteau a ouvert en 1966 à Menton, dans cet ancien fortin du xviie siècle.
 ??  ?? Statue de François Grimaldi dit « Malizia » (détail), devant le palais princier de Monaco.
Statue de François Grimaldi dit « Malizia » (détail), devant le palais princier de Monaco.
 ??  ?? Acquise en 1346 par Charles Grimaldi, Menton, dominée par la basilique Saint-Michel, fut rattachée à la France en 1861.
Acquise en 1346 par Charles Grimaldi, Menton, dominée par la basilique Saint-Michel, fut rattachée à la France en 1861.
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Bataille navale de Zierikzee entre l’amiral Rainier Ier et Guy, comte des Flandres, en 1304, détail d’une fresque de Lazzaro Tavarone (1556-1641). La flotte flamande fut anéantie et Guy de Namur capturé.

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