Un mariage pour la vie
Malgré les réticences de son père, Élisabeth épouse son bel officier. Mais la tâche de prince consort est parfois difficile pour un homme né au début du xxe siècle. Certes, Philip fait quelques faux pas mais il est un véritable soutien pour son épouse, le seul à la traiter en femme quand la terre entière ne voit en elle que la reine d’Angleterre.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Philip intègre la Royal Navy comme officier à bord du cuirassé Ramillies. Les échanges épistolaires entre le prince et la princesse s’intensifient si bien qu’à Buckingham, il n’est pas une personne pour ignorer les tendres sentiments de l’héritière de la couronne britannique. À l’issue de la guerre, la famille Mountbatten évoque la possibilité d’un mariage mais George VI s’insurge. Celui-ci est très protecteur et proche de sa fille. Il n’est pas question qu’elle se marie avec le premier prince charmant venu. Il souhaite qu’elle rencontre d’autres hommes pour choisir le parti qui lui conviendra le mieux. Mais si Élisabeth n’a pas un comportement volcanique, elle est terriblement résolue. Elle suit son père lors d’un voyage diplomatique en Afrique du Sud en 1946.
C’est la première fois qu’elle quitte l’Angleterre. Elle a beau voir de nouveaux paysages et rencontrer de charmants jeunes gens, rien n’y fait: son coeur est occupé par Philip.
De jeunes époux rayonnants
De retour en Angleterre, George VI se résout à inviter le jeune homme à passer quelques semaines à Buckingham puis à Balmoral. Philip fait une cour assidue à sa princesse. Ils sortent dîner, vont au spectacle. Ils sont amoureux. N’y tenant plus, Philip profite d’une promenade pour demander Élisabeth en mariage en dehors de tout protocole et la jeune femme accepte! George VI grince un peu des dents car l’idée de perdre sa fille le chagrine mais il donne son accord « avec joie ». En juillet 1947, un Court Circular, sorte de Journal officiel de la monarchie, annonce les fiançailles. Les mois suivants servent à préparer le mariage et il n’est pas si fréquent dans l’Histoire que l’on marie une princesse héritière. Tout doit être préparé avec minutie. Philip abandonne la religion orthodoxe pour l’anglicane, acquiert la nationalité anglaise et reçoit les titres de noblesse adéquats pour épouser une future reine d’Angleterre. Il devient ainsi duc d’Édimbourg, comte de Merioneth et baron de Greenwich. George VI ajoute une distinction supplémentaire en accordant naturellement la préséance à sa fille. Il la décore de l’ordre de la Jarretière, l’ordre de chevalerie le plus prestigieux quelques jours avant d’adouber son futur gendre. Le 20 novembre
1947, les cloches de Westminster sonnent à toute volée. Philip est sublime dans son habit d’officier. Élisabeth rayonne dans sa grande robe de satin ivoire. On croirait un couple de conte de fées. Les invités ont pris place dans l’abbaye pour assister à leur union. Winston Churchill est évidemment présent et, comme à son habitude, il a un bon mot pour la circonstance: « cette cérémonie est un éclair de couleurs sur la route que nous devons suivre. » Sur les photos de mariage, tout le monde sourit. On remarque à peine les absents ! Au sortir de la guerre, inviter des Allemands aurait été perçu comme un affront fait aux Anglais. Philip doit donc se passer de la présence de ses soeurs. Le duc de Windsor et Wallis n’ont pas été conviés non plus. Vexée de voir son frère écarté, la princesse Mary, la tante de la mariée, boude la noce. Malgré ces petites contrariétés diplomatiques, le couple resplendit. Et si sa petite princesse est heureuse, George VI l’est également comme en témoigne une lettre touchante qu’il lui écrit le soir même : « J’étais si fier de vous et si enthousiaste de vous avoir si près de moi pendant cette longue marche dans l’abbaye de Westminster. Mais quand j’ai donné votre main à l’archevêque, j’ai senti que j’avais perdu quelque chose de très précieux. Vous étiez si calme et sereine pendant l’office et vous avez prononcé vos paroles avec tant de conviction que je sus que tout était parfait. […] Notre famille, nous quatre “la famille royale”, doit rester soudée. » Philip apparaît comme une pièce rapportée de ce quatuor. Ce beau garçon un peu macho n’a pas encore pleinement intégré qu’il serait l’ombre de la reine toute sa vie.
Quand Élisabeth accède au trône
Au lendemain de la noce, le jeune couple s’installe à Buckingham où le duc d’Édimbourg s’ennuie. Le déménagement à Clarence House lui donne un peu plus de latitude pour faire du sport mais ses journées restent oisives. En 1948, il fait un premier voyage diplomatique avec son épouse
Ce beau garçon un peu macho n’a pas encore pleinement intégré qu’il serait l’ombre de la reine toute sa vie.
« Il a simplement été ma force durant toutes ses années et le demeure. Et moi, et sa famille entière, et ce pays, et beaucoup d’autres pays, nous lui devons plus qu’il ne le dira jamais. »
Le duc d’Édimbourg devient par la suite un grand-père dévoué. Les photos complices en compagnie de ses petits-enfants sont pléthore. Il marche même à côté de Harry et de William derrière le cortège funèbre de Lady Diana.
en France. Les Parisiens leur font un accueil chaleureux mais les paparazzis sont de la partie! Alors qu’ils déjeunent au restaurant, un photographe caché derrière un pilier vole des photos de la princesse enceinte. Élisabeth, stoïque, laisse faire. Philip est moins patient. Au bout d’un moment, il se lève sous le regard médusé de sa femme et moleste le photographe. Le duc est parfois volcanique et il n’est pas toujours en mesure de se canaliser. Il apprendra un peu… avec le temps. Après quelques mois d’errance dans les salons décorés de soie et de tableaux anciens, Philip demande l’autorisation à son beau-père de s’engager à nouveau dans la marine. Le duc devient premier lieutenant à bord du destroyer Chequers. Alors que le bateau est au large de Malte, Élisabeth rejoint son époux pendant les mois d’hiver de 1949-1950. Elle a laissé son fils à Londres et vit l’existence d’une femme d’officier. Elle confessera qu’elle a alors vécu les meilleurs moments de sa vie. Elle ne rentre à Londres que pour accoucher de la princesse Anne. George VI est malade. La succession est sur le point de se produire. Le roi meurt le 6 février 1952, tandis que le couple Édimbourg est au Kenya, en pleine tournée des pays du Commonwealth. Élisabeth II devient reine. Lors de leurs apparitions publiques, Philip est tenu par le protocole de marcher trois pas derrière sa femme. Fini les missions militaires. L’oeuvre de sa vie sera désormais d’être le soutien, le conseiller et le confident de la reine. Même si la tâche est ingrate pour un homme né au début du siècle, il s’en acquitte plutôt bien. Tous les matins, le couple prend le petit déjeuner ensemble. Élisabeth lit la presse pendant que Philip exerce son humour caustique. Celui-ci est en effet devenu légendaire car le duc est sans filtre. Il crée plus souvent qu’à son tour des incidents diplomatiques et ne s’excuse jamais lorsqu’il heurte quelqu’un. Mais la reine lui pardonne toujours… La connivence du couple résiste à tout car Philip est le seul à traiter Élisabeth en femme et non en reine. Il n’hésite pas à la contredire et la taquine. Alors qu’elle répète un discours avant un
événement en direct, il lui lance « n’aie pas l’air triste ma petite saucisse ! » Le micro est branché et la voix du duc retentit dans les haut-parleurs faisant du public les témoins de leur intimité.
Philip, inoubliable pilier des Windsor
Le poids de la fonction de Philip est pourtant difficile à porter. Une crise survient suite à une saillie malheureuse de son oncle. Louis s’est amusé à raconter que les Mountbatten régnaient sur l’Angleterre. Cela ne fait rire ni la reine ni Churchill. Élisabeth est obligée de publier dans le London Gazette du 9 avril 1952 une note qui rappelle que ses enfants appartiennent à la maison Windsor. Pour Philip, c’est un camouflet. Pour digérer cette blessure infligée à son orgueil de mâle, il part en voyage pendant plusieurs mois sur le yacht Britannia. Peu après son retour, en 1957, la reine l’élève au rang de prince consort et permet à ses descendants mâles qui ne porteront pas le titre d’Altesse de prendre le nom de Mountbatten. La brouille est terminée. Le couple est plus uni que jamais. Deux autres enfants viennent agrandir leur famille, Andrew en 1960 et Edward en 1964. Pendant que la reine incarne la monarchie, le prince consort joue le rôle de pater familias. Père aimant mais sévère, il veille à l’éducation de ses quatre enfants. Charles sera le premier prince à être éduqué en pension. Philip l’envoie à Gordonstoun en Écosse. On y élève des hommes, des vrais. Au programme: douche froide et sport! L’aîné des princes est hélas d’une nature sensible et en voudra longtemps à son père de l’avoir envoyé dans cet enfer. Le duc d’Édimbourg devient par la suite un grandpère dévoué. Les photos complices en compagnie de ses petits-enfants sont pléthore. Il marche même à côté de Harry et de William derrière le cortège funèbre de Lady Diana. Il est le pilier de la famille. Un homme caustique et pourtant discret, attentionné et sévère, fondamentalement aimant. En 1997, le jour de leurs noces d’or, Élisabeth, toujours amoureuse, lui rend un vibrant hommage: « Il a simplement été ma force durant toutes ses années et le demeure. Et moi, et sa famille entière, et ce pays, et beaucoup d’autres pays, nous lui devons plus qu’il ne le dira jamais. »
Après 73 ans de mariage, la reine d’Angleterre est désormais veuve. Elle a troqué ses tenues acidulées contre des vêtements noirs. Les funérailles, retransmises à la télévision dans le monde entier, ont eu lieu le 17 avril en la chapelle Saint-George de Windsor en petit comité. Philip, en prince consort assumé, ne voulait pas de funérailles nationales. Leur amour et la longévité de leur couple resteront longtemps un exemple indépassable : on ne leur a jamais connu d’amants, ni à l’un ni à l’autre.