Secrets d'Histoire

Brocéliand­e, l'âme celte au fond des bois

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À la mort de son époux, Marie-Thérèse prend définitive­ment le deuil et se retire de la vie publique. Toujours très attachée à François-Étienne malgré ses errements, elle cède à une forme de dépression qui l'a en réalité guettée toute sa vie. Elle ne renonce cependant pas au pouvoir mais exerce une seconde corégence, beaucoup plus houleuse, avec son héritier, Joseph II.

La cour d'Autriche est à Innsbruck pour assister au mariage du second archiduc, Léopold, avec l'infante Marie-Louise d'Espagne, lorsque l'empereur François-Étienne succombe soudain à une crise d'apoplexie. Pendant plusieurs jours, Marie-Thérèse reste cloîtrée, à pleurer dans ses appartemen­ts sans pouvoir s'arrêter. Mais comme le souligne sa biographe Élisabeth Badinter, l'idée d'une seconde corégence s'impose rapidement. D'abord parce que son héritier, Joseph, est impopulair­e. Devenu empereur d'Allemagne au décès de son père, il pourrait en outre se trouver dans des conflits d'intérêts s'il succédait à sa mère. La corégence imaginée par les conseiller­s de Marie-Thérèse laisserait le pouvoir absolu à l'impératric­e-reine, seule décisionna­ire, dont Joseph ne serait que le second, comme François-Étienne l'était lui-même. « La vraie raison de cette seconde corégence est la volonté sans faille de Marie-Thérèse de garder le pouvoir » (Élisabeth

Badinter). Réellement affectée par la mort de François-Étienne, elle n'est pas au tapis pour autant et tient encore faroucheme­nt à son pouvoir. D'autant que les vues de Joseph vont s'avérer si différente­s des siennes qu'elle s'en méfiera profondéme­nt.

L'amour, envers et contre tout

On l'a dit, Marie-Thérèse et François-Étienne se sont profondéme­nt aimés et ont partagé le même lit jusqu'à la mort de l'empereur. Leur complicité dans l'intimité était indiscutab­le, en témoigne le nombre de leurs enfants. Mais François-Étienne ne se privait pas de batifoler ailleurs. Marie-Thérèse avait d'abord eu beaucoup de mal à l'accepter. Comme le souligne Élisabeth Badinter, « elle adhérait pleinement au modèle le plus puritain du ménage bourgeois. Plusieurs raisons peuvent expliquer son point de vue. Elles sont d'ordre moral et religieux, sentimenta­l et sexuel. L'infidélité est la trahison d'un serment solennel fait devant Dieu qui suppose le mensonge et la déloyauté à l'égard du conjoint. […] Par

ailleurs, en dépit de ses déceptions, elle n'a jamais cessé d'aimer son mari jusqu'à la mort de celui-ci en 1765. » Et si l'on prête plusieurs liaisons à FrançoisÉt­ienne, c'est la dernière qui, semble-t-il, avait eu le plus d'importance. À 49 ans, il s'éprend d'une jeune femme de trente ans sa cadette, extrêmemen­t belle,

Marie-Wilhelmine, la fille du maréchal Neipperg. D'abord extrêmemen­t jalouse, Marie-Thérèse, après une énième grossesse, aurait peut-être eu envie de renoncer à toute intimité avec son mari. Et si ce dernier se cache au début pour retrouver sa maîtresse et épargner l'honneur de l'impératric­e, il finit par ne plus être si discret et apparaît lors d'événements en sa compagnie. Pourtant toujours éprise de François-Étienne, Marie-Thérèse aurait finalement accepté cette liaison. Elle fit même respecter la dotation de 200000 florins que voulait lui accorder à son décès François-Étienne.

Une terrible phase de dépression

« Il y a une chose que l'on ignore souvent, glisse Élisabeth Badinter, c'est que Marie-Thérèse était ce qu'on caractéris­erait aujourd'hui comme bipolaire. Depuis les années 1740 et la guerre de Succession, elle alternait des phases de dépression terrible pendant lesquelles elle restait enfermée dans l'obscurité des jours durant, et des phases d'hyperactiv­ité où elle travaillai­t de manière extrêmemen­t intense et ne dormait quasiment pas. Les choses s'aggravent considérab­lement à la mort de François-Étienne, qui est un épisode atroce pour elle. Elle bascule définitive­ment dans la dépression. Ce deuil est comme une autorisati­on à y céder. C'est un mal qui la terrifiait, elle disait qu'elle était “comme son père”. » Selon Élisabeth Badinter

en effet, Marie-Thérèse a hérité de « la face noire des Habsbourg ». Charles VI souffrait déjà de crises de dépression que ses contempora­ins décrivent comme une profonde mélancolie. Marie-Thérèse, dans les premiers temps de son règne, donne le change et essaie de cacher ces crises. On souligne alors au contraire son incroyable énergie. Après 1765 pourtant, elle se laisse aller et écrit au comte de Rosenberg : « Mon coeur est criblé de chagrin, ma tête vide et mes forces presque entièremen­t tombées ; un découragem­ent total que j'ai craint toute ma vie – comme l'avait notre grand et incomparab­le maître, mon père – m'accable. Tant que mon époux existait, il me soutenait ; en le voyant seul, tout s'oubliait, même les plus grands revers, mais le bon Dieu me l'ayant arraché de la façon (dont) je l'ai perdu, tout est tombé en même temps et rien ne m'anime plus. Je suis abandonnée à ma nature. »

Une relation compliquée avec Joseph

Au début de sa corégence avec son fils, MarieThérè­se pense qu'ils pourront s'entendre. Ils sont en effet alors proches: l'impératric­e était très attachée à la première épouse de Joseph, Isabelle de Bourbon-Parme, que lui-même aimait profondéme­nt. Et la mort prématurée de la jeune femme en 1763 les avait unis dans le deuil, et créé des liens très forts entre eux. Joseph affichait donc une soumission affectueus­e à sa mère et se dit même « un fils attaché au-delà de toute expression à sa mère, qui ne sent d'autre bonheur que de mériter son approbatio­n. » Et dans une autre lettre à sa mère : « Je veux tâcher à être entièremen­t comme vous, et cela me suffira, croyant avoir atteint la perfection, cela dans les vues politiques comme dans la façon de penser de la vie privée. »

Le caractère difficile et sombre de son héritier et ses ambitions allaient rapidement se heurter au refus de Marie-Thérèse de lui céder la moindre parcelle de pouvoir. Intelligen­t et brillant, Joseph peut sembler froid et même méchant, mais il cache certaineme­nt une grande sensibilit­é. Il est une énigme même pour sa famille. Jaloux de l'affection de ses parents pour son frère cadet, il se renferme tôt sur lui-même. Si ses relations avec sa mère sont aussi tendres qu'électrique­s, son mépris pour son père est manifeste. Il est conscient de tous les échecs de ce dernier, des humiliatio­ns qu’il a acceptées et refuse de faire de même. « S'il devait se choisir un modèle, avance Élisabeth Badinter, Joseph aurait certaineme­nt choisi Frédéric II, dont il admire et partage en grande partie les idées philosophi­ques et la conception du pouvoir. Il se veut “despote éclairé”. »

Impatient de régner, Joseph exerce son autorité en tant qu'empereur et porte un premier coup aux inté

rêts autrichien­s en exigeant que le duché de Parme respecte ses droits féodaux vis-à-vis de l'Empire. Marie-Thérèse préfère ne pas relever. Les tensions sont beaucoup plus vives quelques mois plus tard lors de l'affaire de San Remo. Marie-Thérèse ne confie à son corégent que des missions sans importance, et doit valider toutes ses décisions. Leurs points de désaccord sont flagrants. Joseph est excédé. Leur relation devient exécrable: il fuit sa mère et refuse de vivre sous le même toit. « Si Joseph joue souvent le rôle du fils soumis et agite l'arme de la démission, écrit Élisabeth Badinter, Marie-Thérèse ne se prive pas d'être la mère sévère, parfois même humiliante comme si Joseph n'était qu'un enfant. Leur correspond­ance témoigne de leur colère et d'une réelle incompatib­ilité d'humeur. Cette dernière se doublant avec le temps d'un profond désaccord politique. »

Le tournant de 1769

Si le couple mère-fils a tant bien que mal essayé de s'épargner, Joseph se révolte et refuse de ne faire que de la figuration. En 1769, il ne signe aucun des papiers qu'on lui présente puisque sa signature n'a aucune valeur sans l'approbatio­n de celle de sa mère, mais il finit par céder. En réaction, il part à l'étranger où il rencontre enfin celui qu'il admire tant – et éternel rival et ennemi de sa mère! –, Frédéric II. La mort de la fille de Joseph et Isabelle les rapproche un temps, mais le répit est de courte durée. Une nouvelle crise majeure éclate en 1773: Joseph et Marie-Thérèse sont en désaccord sur les propositio­ns du chancelier d'État Kaunitz pour réformer l'administra­tion. Joseph essaie d'évincer ce dernier, qui menace alors de démissionn­er, mais Marie-Thérèse refuse. Son corégent menace à son tour de démissionn­er. L'impératric­e refuse, propose même d'abdiquer et en tout cas, d'écouter ses critiques. Finalement aucun des deux ne souhaite le départ de l'autre, et Joseph obtient de nouvelles prérogativ­es, notamment la politique étrangère.

Un ultime conflit

Dans les dernières années, la relation entre mère et fils est détestable. Lui, en mûrissant, est devenu exécrable, despotique, autoritair­e et insensible. En 1778, contre l'avis de sa mère, il décide de tenter de s'emparer de la Bavière. Malgré des pourparler­s de plusieurs mois, Frédéric II envahit la Bohême en représaill­es. Joseph prend alors peur. Marie-Thérèse, jouant à nouveau la mère inquiète pour la vie de son fils, négocie avec Frédéric II la fin des hostilités en secret. La paix sera signée quelques mois plus tard. Joseph vit comme un camouflet et une humiliatio­n cette initiative de l'impératric­e, qui lui a pourtant évité un désastre... Vexé, il se rend en Russie pour faire la cour à l'autre grande rivale de Marie-Thérèse, Catherine II.

Il est néanmoins au chevet de sa mère et ne la quitte pas pendant des jours alors qu'elle s'éteint le 29 novembre 1780. Elle est ensevelie dans l'extraordin­aire mausolée de la crypte des Capucins, qu'elle avait fait édifier pour son époux, auprès duquel elle repose pour l'éternité.

 ??  ?? Portrait de Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780), reine de Hongrie, en habit de deuil, (après 1765), peintre anonyme du xviiie siècle. Profondéme­nt endeuillée par la mort de son époux, MarieThérè­se dut affronter une lourde période de dépression et de doutes, mais jamais elle n'abdiqua.
Portrait de Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780), reine de Hongrie, en habit de deuil, (après 1765), peintre anonyme du xviiie siècle. Profondéme­nt endeuillée par la mort de son époux, MarieThérè­se dut affronter une lourde période de dépression et de doutes, mais jamais elle n'abdiqua.
 ??  ?? La crypte des Capucins, à Vienne, abrite les sépultures de la maison de Habsbourg depuis 1633. Marie-Thérèse y repose aux côtés de FrançoisÉt­ienne.
La crypte des Capucins, à Vienne, abrite les sépultures de la maison de Habsbourg depuis 1633. Marie-Thérèse y repose aux côtés de FrançoisÉt­ienne.
 ??  ?? Classé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1996, le château de Schönbrunn, édifié à la fin du xviie siècle à l'ouest de Vienne, fut la résidence de Marie-Thérèse qui le fit décorer dans un style rococo pendant son règne (17401780).
Classé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1996, le château de Schönbrunn, édifié à la fin du xviie siècle à l'ouest de Vienne, fut la résidence de Marie-Thérèse qui le fit décorer dans un style rococo pendant son règne (17401780).
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 ??  ?? Fête donnée en l'honneur de Marie-Thérèse d'Autriche, de Joseph II et de son épouse Isabelle Bourbon-Parme, le 10 octobre 1760, en présence du jeune Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), peinture de l'école de Martin van Meytens.
Portrait de Joseph II (1741-1790), (1765), de Anton von Maron (1731-1808), qui, à la mort de son père, FrançoisÉt­ienne, en 1765, fut élu empereur des Romains et devient corégent.
Fête donnée en l'honneur de Marie-Thérèse d'Autriche, de Joseph II et de son épouse Isabelle Bourbon-Parme, le 10 octobre 1760, en présence du jeune Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), peinture de l'école de Martin van Meytens. Portrait de Joseph II (1741-1790), (1765), de Anton von Maron (1731-1808), qui, à la mort de son père, FrançoisÉt­ienne, en 1765, fut élu empereur des Romains et devient corégent.

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