Madame Palatine, princesse épistolière, par Jean-Christian Petitfils
Seconde épouse de Monsieur, le frère de Louis XIV, Élisabeth-Charlotte de Bavière s’installe à la Cour en 1671. En dépit de son couple mal assorti, elle devient, avec sa personnalité truculente, sa franchise et son talent pour décrire le quotidien de la Cour dans des milliers de lettres, un témoin exceptionnel du règne du Roi-Soleil.
Jean-Christian Petitfils, historien, docteur en sciences politiques, est l’auteur de plusieurs essais, ouvrages historiques et biographies, notamment sur Philippe d’Orléans, Le Régent (Hachette Pluriel Reference, 2013) et Louis XIV (Tempus Perrin, 2018).
En ce morose début de novembre 1671, dans le carrosse qui la menait vers Strasbourg, Élisabeth-Charlotte de Bavière, dite Liselotte, fille de l’électeur palatin Karl Lugwig, ne cessait de pleurer et de se lamenter. À 19 ans, avec pour seuls bagages quelques robes usagées et dix chemises de nuit, elle quittait définitivement son cher Heidelberg, où elle avait passé la majeure partie de sa jeunesse dans l’atmosphère rustique et bohème d’une petite cour germanique, au milieu des piqueurs, des cochers et des blanchisseuses. De ce vert paradis sans étiquette, elle garda toute sa vie la nostalgie. « Mon Dieu, écrira-t-elle cinquante ans plus tard, que de fois j’ai mangé des cerises dans la montagne, à cinq heures du matin, avec un gros quignon de pain ! » Avec son teint coloré par ses longs vagabondages, cette sauvageonne, hier encore gaie, vive et turbulente, ressemblait à une jeune paysanne plus qu’à une princesse destinée à épouser « Monsieur », Philippe, duc d’Orléans, frère cadet de Louis XIV, veuf de sa première femme Henriette d’Angleterre. « Papa me portait sur les épaules, racontera-t-elle, tremblait que je ne devinsse vieille fille et s’est débarrassé de moi le plus vite qu’il a pu. » À première vue, c’était un parti fort peu reluisant pour un fils de Saint Louis: calviniste,
n’appartenant à aucune grande lignée royale, elle arrivait sans dot. En réalité, elle était la victime d’une combinaison diplomatique qui la dépassait, apportant à la France la promesse d’une alliance étroite avec un État allemand installé sur le Rhin, le palatinat, et des droits à la succession de son père.
L’union politique d’un couple très mal assorti
Vivre définitivement loin de sa ville natale, s’intégrer dans cette cour de France mondaine et frelatée, où en tant que belle-soeur du roi, elle était appelée à jouer un rôle majeur, lui soulevait le coeur. En route, pendant huit jours, on dut alimenter de force cette pauvre Iphigénie. Le 15 novembre, à Metz, sans reprendre son souffle, elle abjura le protestantisme et se confessa, le lendemain fit sa première communion, reçut le sacrement de confirmation et se maria par procuration. La rencontre avec cet époux inconnu dont on lui avait dressé tant de portraits flatteurs eut lieu près de Châlons-en-Champagne. Que vit-elle ? Un petit homme affable, brun, au visage soyeux, juché sur des talons hauts, enrubanné, parfumé, bichonné comme une coquette. Quand il l’aperçut pour la première fois, le frère du roi eut le choc inverse : un visage rustre et sans apprêts, avec un nez épais, de petits yeux et des joues flasques, un corps taillé à coups de serpe. « Oh ! murmura-til atterré, comment pourrai-je coucher avec elle ? »
L’entente cordiale avec Monsieur
Philippe et Élisabeth-Charlotte formaient en effet un contraste des plus étonnants. Un hermaphrodite marié à une amazone! Monsieur regrettait de ne pas être né fille; Madame était un garçon manqué. Le fils cadet d’Anne d’Autriche n’avait joué qu’avec des poupées et des chiffons. Dès son jeune âge, le rejeton féminin de Karl Ludwig maniait l’épée et tirait au pistolet. Philippe était fluet, délicat, précieux, mondain. Son épouse était impétueuse, hommasse, au langage parfois scatologique. Il n’aimait rien tant que la parure, les diamants, les colliers, les pendants d’oreilles et s’inondait de parfums aux senteurs violentes. Elle était rude, franche, détestait la toilette, paraissant toujours mal fagotée avec son bonnet ou son tricorne de travers et sa lourde amazone écarlate. Elle appréciait les égards dus à son rang, tout en maudissant les cérémonies. Monsieur, au
La rencontre avec cet époux inconnu dont on lui avait dressé tant de portraits flatteurs eut lieu près de Châlonsen-Champagne.