Marie-Antoinette et Axel de Fersen, Les dernières révélations de leurs lettres d'amour
contraire, prisait les bals, les parades, adorait les tables de jeu, lieux privilégiés où se débitaient les cancans. Suant et soufflant dans sa vieille zibeline, Madame préférait forcer le loup ou le cerf dans les brouillards glacés de la forêt de Saint-Germain. Le mari goûtait la pompe sacrée et la musique religieuse. L’épouse ronflait à l’église, gardant pour elle « son petit religion à part soi ». Monsieur se troublait à la vue d’un joli garçon, Madame restait insensible aux personnes des deux sexes. Au début, ce couple si mal assorti connut de longues années non de bonheur mais de calme. Tandis qu’elle fermait les yeux sur la vie dissolue de son mari, lui la laissait en paix. Sa jovialité, son franc-parler, son bon sens, joint à son plaisant accent tudesque, lui attirèrent tout de suite la sympathie de Louis XIV. En retour, cette fleur bleue en tomba assez niaisement amoureuse. Monsieur fit son devoir conjugal et lui donna trois enfants – « les oeufs que j’ai pondus », disait-elle –, Alexandre, mort à 3 ans, Philippe, duc de Chartres puis d’Orléans (1673-1723), qui deviendra régent de France, et Élisabeth-Charlotte (16761744), qui épousera Léopold, duc de Lorraine et de Bar. L’actuelle famille d’Orléans descend d’elle.
Une féroce chroniqueuse de la Cour
Peu à peu cependant le climat se dégrada. Les favoris de Monsieur, qui le grugeaient allègrement, s’enhardirent jusqu’à tourmenter cette femme bafouée en son honneur. Avec le roi aussi, les relations s’aigrirent. C’est que la Palatine, comme on l’appelait, était devenue jalouse « à en crever » de Mme de Maintenon, son épouse morganatique. De surcroît, elle qui abhorrait la bâtardise avait été contrainte de marier son fils Philippe à la fille adultérine du roi et de Mme de Montespan, Françoise-Marie de Bourbon, demoiselle de Blois. Un déshonneur indélébile. Avec l’âge, elle perdit une partie de sa gaieté, devint bougonne. La plupart du temps, échappant aux servitudes de la Cour, elle s’enfermait dans ses appartements avec ses chats, ses épagneuls, son perroquet et, sous les portraits des Palatins et des princes d’Empire, lisait la Bible germanique, classait son médaillier à 26 tiroirs et – pain béni pour la postérité – rédigeait chaque jour huit, dix, douze, quinze lettres à sa parentèle d’outre-Rhin, particulièrement à sa tante Sophie, duchesse de Brunswick-Lunebourg, qui à Hanovre l’avait hébergée quelque temps dans sa jeunesse. Derrière une verve intarissable, elle exhalait ses rancoeurs, alignant copieusement comme dans un jeu de massacre ses ennemis, vivants ou morts, particulièrement Mme de Maintenon, cette « ordure », cette « guenon »,
cette « vieille ratatinée ». Liselotte avait conservé le goût de la plantureuse cuisine germanique: soupes à la bière ou aux écrevisses, boudins, saucisses à la peau craquante, salade de chou au lard, purée d’oignons au gingembre, crêpes aux harengs saurs… Sa ligne s’en ressentait, la laissant sans illusion sur son physique : « Ma taille est monstrueuse, écrivait-elle à 46 ans le 22 août 1698, je suis carrée comme un dé, la peau est d’un rouge mélangé de jaune […] et le front et le pourtour des yeux sont ridés, le nez est travers comme jadis, mais festonné par la petite vérole, de même que les joues ; je les ai pendantes, de grandes mâchoires, les dents délabrées; la bouche aussi est un peu changée, car elle est devenue plus grande et les rides sont aux coins: voilà la belle figure que j’ai! »
Même sous la régence de son fils Philippe, son rôle politique demeura restreint. En revanche, par sa gigantesque correspondance – 60 000 lettres, dont un dixième connu – elle reste le témoin privilégié de la cour de France au temps du Roi-Soleil, dont elle avait brossé l’impitoyable chronique. Fatiguée, atteinte de pneumonie, elle mourut à Saint-Cloud à 70 ans, le 8 décembre 1722, après avoir chassé les médecins – « tous des ignares ! » –, sermonné une dernière fois son fils en pleurs en lui rappelant « qu’il avait une âme à sauver et qu’il n’y pensait point ». « On perd une bonne princesse et c’est chose rare », soupira alors le petit peuple de Paris qui avait discerné, derrière ses humeurs hautaines, sa vive sensibilité et ses qualités de coeur. Elle s’était ruinée pour lui en aumônes. Son corps fut porté à Saint-Denis, où Massillon – le seul prélat qui avait eu le privilège de ne pas l’endormir à l’église! – prononça l’oraison funèbre.
Elle qui abhorrait la bâtardise avait été contrainte de marier son fils Philippe à la fille adultérine du roi et de Mme de Montespan, Françoise-Marie de Bourbon, demoiselle de Blois.