Les Landes, tout un roman
Après la fuite manquée à Varennes, l’étau se resserre sur la famille royale. La vie de Marie-Antoinette ne tient plus qu’à un fil. Emprisonnée aux Tuileries avec le roi et leurs enfants, elle croit trouver leur salut dans un soutien de l’étranger. Séparée de l’homme de sa vie, elle entretient avec lui une correspondance secrète, qui nous révèle une femme blessée, lucide sur les dangers qui la menacent, mais bien loin d’avoir compris l’enjeu de la situation politique et la nécessité d’aller dans le sens de l’Histoire.
Une foule hostile, difficilement contenue par la garde nationale, attend les fugitifs à Paris. La reine échappe de peu au lynchage. La famille royale retourne aux Tuileries, transformés en camp retranché. Pendant les mois qui suivent, conscients que leur vie ne tient qu’à un fil, le roi et la reine adaptent pourtant pour une stratégie dangereuse: ils semblent opter pour la monarchie constitutionnelle, alors qu'ils oeuvrent en douce pour la contre-révolution. Dans la correspondance entretenue avec Fersen, réfugié à Bruxelles, MarieAntoinette lui en tient le récit : « Il ne s’agit pour nous que de les endormir. » Elle lui narre son rapprochement avec les députés modérés, dont un certain Barnave qui a remplacé Mirabeau, mais ne se laisse pas convaincre par ses idées progressistes; son but réel est de fédérer les cours européennes au secours de la monarchie française, au prix d’une guerre s’il le faut. Que faire du couple royal? Soucieux de sauver les apparences et les avancées législatives déjà réalisées, les députés modérés ont l’idée de faire croire que la fuite à Varennes était un enlèvement. Le peuple n’est pas si bête et
Dans la correspondance entretenue avec Fersen, réfugié à Bruxelles, Marie-Antoinette lui en tient le récit : « Il ne s’agit pour nous que de les endormir. »
le mensonge suscite de graves émeutes à Paris. Séparé de son aimée, Fersen, une fois de plus, vole à son secours. Avec l’appui de son roi, Gustave III, il convainc l’empereur d’Autriche Léopold II – le frère de Marie-Antoinette – et le roi de Prusse, Frédéric II, d’ajouter un paragraphe à la déclaration de Pillnitz; il s’agit de sauver la monarchie française et la personne du roi, quitte à prendre les armes. Cet accord est le premier pas d’une escalade qui va culminer avec le manifeste de Brunswick, déclaration de guerre de l’Europe à la France, voulue par le couple royal et orchestrée par Fersen. Attachés à l’ancien monde, Axel et Marie-Antoinette n’ont pas compris que leur intransigeance aveugle va provoquer son effondrement. Le 13 février 1792, Fersen parvient à s’introduire aux Tuileries. Leur dernière nuit, à moins que ce ne soit la première et la seule, s’il faut en croire certains historiens. Fersen propose un second plan d’évasion, Louis XVI refuse.
« Tutto a te mi guida »
Pendant qu’elle enchante le roi et la reine, la perspective d’une guerre affole Paris, qui commence à prendre les armes contre les ennemis, même ceux de l’intérieur. Accroché au passé, le roi pose son veto à la déportation des prêtres réfractaires et à la constitution d’une garde nationale, attisant ainsi la colère. Le 20 juin, la foule attaque les Tuileries, le roi se coiffe d’un bonnet rouge pour la calmer, la reine a trouvé refuge derrière la barricade d’une énorme table pendant qu’on agite sous son nez des guillotines en miniature. « J’existe encore mais la journée a été affreuse », confie-t-elle à Fersen. Elle lui envoie sa dernière lettre le 1er août, qui se termine ainsi: « Il n’y a que la Providence qui puisse sauver le roi et sa famille. » Trois mois après la mort de Marie-Antoinette, Fersen recevra enfin un billet orné d’un pigeon et d’une devise: « Tutto a te mi guida » (Tout me guide vers toi). Il n’épousera pas Éléonore, ne s’autorisera que quelques aventures, et vouera un véritable culte à la reine. Devenu grand maréchal du royaume de Suède, il mourra lynché par la foule, soupçonné à tort d’avoir assassiné le prince danois Christian, le 20 juin 1810, jour anniversaire de la fuite à Varennes.