Secrets d'Histoire

Les Templiers au coeur de la tourmente

- Par Coline Bouvart

Lorsque le roi de France, Philippe le Bel, décide d’abattre les Templiers, leur prestige militaire, leur popularité comme leur puissance financière en font l’Ordre chéri de la papauté et de la chrétienté. Avant le début du xive siècle, l’Ordre est à un tournant de son histoire: la perte des États latins interroge son devenir. Et c’est en venant chercher des soutiens pour une nouvelle croisade en Occident, que son grand maître Jacques de Molay va se précipiter dans le piège du roi de France.

Al’orée du e siècle, le royaume xiv de France est en passe de devenir une grande puissance, la natalité est dynamique, les techniques agricoles ont progressé, et tout un réseau de villes et de communes s’est développé. Le roi Philippe le Bel, qui est un homme secret, extrêmemen­t prudent, réfléchi et très pieux, poursuit l’oeuvre de son grand-père, Saint Louis, en développan­t une administra­tion d’État centralisé­e, avec l’aide de légistes, des technicien­s spécialist­es du droit romain. Cela ne se fait pas sans heurt car les grands seigneurs se sentent écartés du pouvoir et se révoltent. Cette progressio­n du droit permet une uniformisa­tion de la justice. Cette reprise en main, sans en faire un monarque absolu, témoigne de la ferme volonté de Philippe le Bel d’être maître en son royaume. Et un bras de fer va bientôt s’engager entre le roi de France et le pape.

Pouvoir temporel contre autorité spirituell­e

Ce ne sont pas les premières tensions entre Rome et les Capétiens, mais elles vont s’envenimer sous Philippe le Bel. Le roi de France, soucieux de faire rentrer de l’argent dans les caisses et de marquer par la même occasion son autorité, décide de nommer les évêques français et de lever des impôts sur les biens du clergé. Il veut ainsi démontrer que « le roi peut tout ». Cette autonomie va de pair avec la centralisa­tion du pouvoir qu’il poursuit. Le pape Boniface VIII riposte en réaffirman­t la supériorit­é du pouvoir spirituel sur le temporel, et donc du pape sur les rois, menaçant le roi de France d’excommunic­ation. Philippe le Bel réplique en réclamant un concile pour faire juger et déposer Boniface VIII. En 1303, il envoie son proche conseiller, Guillaume de Nogaret, arrêter le pape à Anagni. L’entrevue est apparemmen­t violente, une légende raconte même que Nogaret aurait giflé Boniface VIII. Sous la pression de la population venue le défendre, les Français sont obligés de repartir, mais le pape

Le roi Philippe le Bel, qui est un homme secret, extrêmemen­t prudent, réfléchi et très pieux, poursuit l’oeuvre de son grand-père, Saint Louis…

Les Templiers se sont repliés à Chypre. Quelques voix se sont bien fait entendre pour leur reprocher leur richesse, leur cupidité, et de ne pas avoir assez combattu ni résisté, remettant en cause l’utilité de l’Ordre.

meurt le mois suivant. Ses successeur­s annulent les mesures engagées par Boniface VIII contre le roi de France et Clément V, élu en 1305, s’installe en Avignon en 1308. Les Templiers, ordre chéri de la papauté, vont être les boucs émissaires de cette rivalité. « Après avoir attaqué la papauté en s’en prenant à la mémoire de Boniface VIII, puis aux prétention­s théocratiq­ues du pape, Philippe le Bel a bien compris qu’en portant atteinte aux Templiers, il fragiliser­ait encore la papauté, observe Philippe Josserand (lire aussi entretien p. 26). Il engage une confrontat­ion inouïe entre pouvoir royal et pouvoir pontifical : l’innovation terrible de Philippe le Bel est de s’être voulu pape en son royaume. À cet égard, les Templiers, qui avaient historique­ment leur siège en Terre sainte, à Jérusalem, représenta­ient une sacralité particuliè­re: le roi, pour fonder une nouvelle alliance avec son peuple, devait donc abattre les témoins de l’alliance ancienne. »

Des Templiers affaiblis ?

Après la perte de Jérusalem (1187) et la chute de Saint-Jean-d’Acre (1291), les Templiers se sont repliés à Chypre. Quelques voix se sont bien fait entendre pour leur reprocher leur richesse, leur cupidité, et de ne pas avoir assez combattu ni résisté, remettant en cause l’utilité de l’Ordre. D’autant que contrairem­ent aux Hospitalie­rs qui ont également une vocation sociale, les Templiers n’ont qu’une mission : défendre les États latins. Or ils ont été perdus. Mais les croisades pourraient reprendre… Jacques de Molay, dernier grand maître de l’Ordre, se rend d’ailleurs en Occident pour obtenir le soutien des souverains européens. Il découvre alors avec stupéfacti­on les rumeurs abominable­s que l’entourage du roi fait complaisam­ment circuler sur l’Ordre.

Pourquoi Philippe le Bel s’attaquet-il aux Templiers ?

« Au-delà de la guérilla contre la papauté qui va littéralem­ent empoisonne­r son règne, Philippe le Bel a de nombreuses raisons de s’en prendre à l’ordre du Temple, note Sylvie Le Clech, historienn­e, inspectric­e générale des patrimoine­s et autrice de Philippe IV le Bel et les derniers Capétiens (éd. Tallandier). Ils sont une puissance organisée et militarisé­e concurrent­e en son propre royaume. Ils sont issus de la noblesse, obéissent à des règles particuliè­res et sont placés sous l’autorité directe du pape. Grâce à leur réseau serré de commanderi­es, ils représente­nt un pouvoir économique et financier considérab­le, et les ressources qu’ils en

tirent échappent au moins en partie à l’impôt royal, grâce aux exemptions fiscales que leur a octroyées le pape. Pire, il leur a accordé de pouvoir collecter eux-mêmes des impôts sur leurs terres. Enfin, localement, ils exercent une puissance de justice et de maintien de l’ordre public concurrent­e de l’administra­tion royale à l’égard des communauté­s qui vivent autour de leurs commanderi­es. Ils ont même des maisons Dieu, c’est-à-dire des centres de soins, et apportent une aide sociale. Le roi veut être seul maître en son royaume et les Templiers sont devenus encombrant­s voire menaçants. Et il n’y a pas de meilleur moyen, au Moyen Âge, de se défaire d’un ennemi... qu’en l’accusant d’hérésie! »

Pour mieux les contrôler et amoindrir leur puissance, Philippe le Bel avait d’abord proposé de fusionner l’Ordre avec celui des Hospitalie­rs (et qu’un prince français en prenne la tête), dans la perspectiv­e de relancer une croisade. Mais Jacques de Molay refuse. Le roi de France décide alors de discrédite­r l’Ordre en faisant colporter des rumeurs d’hérésie.

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 ??  ?? Ci-dessus : Philippe IV le Bel établit le Parlement de Paris en 1303, de Jean Alaux (1786-1864).
Ci-dessus : Philippe IV le Bel établit le Parlement de Paris en 1303, de Jean Alaux (1786-1864).
 ??  ?? Ci-contre : Portrait du pape Boniface VIII (vers 12301303), peintre anonyme du xviie siècle.
Ci-contre : Portrait du pape Boniface VIII (vers 12301303), peintre anonyme du xviie siècle.
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Reddition de Richard Coeur de Lion devant Saladin après la bataille d’Hattin en 1187, de S. Tahssin (xxe siècle).
 ??  ?? Le château de Kolossi, à Chypre, bâti par les Templiers en 1210, fut reconstrui­t en 1454 par les Hospitalie­rs.
Le château de Kolossi, à Chypre, bâti par les Templiers en 1210, fut reconstrui­t en 1454 par les Hospitalie­rs.
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Portrait de Philippe IV le Bel (1268-1314), roi de France, peinture anonyme du xixe siècle.
 ??  ?? La salle des gardes, magnifique salle voûtée ornée de fresques, dans le donjon du château de Montricoux (Tarn-etGaronne), ancienne commanderi­e du xiie siècle.
La salle des gardes, magnifique salle voûtée ornée de fresques, dans le donjon du château de Montricoux (Tarn-etGaronne), ancienne commanderi­e du xiie siècle.

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