25 juin 1741, Marie-Thérèse est couronnée roi de Hongrie
À la mort de son père Charles VI en 1740, Marie-Thérèse, héritière du trône des Habsbourg en vertu de la Pragmatique Sanction, lui succède. Son accession au trône est menacée car elle est femme. Elle va chercher l'appui de ses États, notamment celui de la Hongrie en s'y faisant couronner. Sa prestation sans faute lors de la cérémonie laisse deviner la souveraine qu'elle deviendra et lui gagne le coeur de ses sujets.
C'est à Presbourg (actuelle Bratislava) que Marie-Thérèse est couronnée « roi » de Hongrie fin juin 1741. « Roi », car la Hongrie a pour langue politique le latin: le souverain est désigné par le terme « rex », tandis que la « regina » (reine) est l'épouse du roi, le consort. Or Marie-Thérèse est bien souveraine. « Elle fit une entrée triomphale […], vêtue à la hongroise d'une robe blanche brodée d'or et de fleurs bleues dans une voiture découverte qui ressemblait à un char de triomphe », raconte l'historienne Évelyne Lever (Dictionnaire amoureux des reines, éd. Plon). Malgré son jeune âge, l'archiduchesse maîtrise les codes de la communication politique et démontre déjà, outre sa grande beauté et son charme, toute son habileté à se faire aimer. En adoptant la mode à la hongroise, en jouant de sa grâce toute féminine, elle séduit déjà son peuple, et gagne tout à fait son coeur en démontrant lors de la cérémonie la grandeur d'âme et la puissance d'un véritable souverain: elle reçoit l'épée et accomplit le rituel de la triple bénédiction, arme plusieurs chevaliers, et prête serment devant son peuple. Puis elle accomplit le dernier acte du sacre, le plus symbolique: « Il s'agissait d'escalader au galop une colline édifiée avec des sacs de terre venus de tous les comtés de Hongrie, explique Évelyne Lever. Parvenue au sommet de ce monticule, elle tira l'épée en direction des quatre points cardinaux afin de montrer qu'elle défendrait le royaume contre ses ennemis. Excellente
cavalière, Marie-Thérèse impressionna ses sujets. » Une majesté qui, quelques mois plus tard, lui permettra à nouveau d'émouvoir le peuple hongrois alors que sa situation est critique.
« A priori, l'archiduchesse Marie-Thérèse n'était pas destinée à régner sur le plus grand empire européen. Non parce qu'une loi fondamentale l'interdisait, telle la loi salique en France, ou que la Maison des Habsbourg ne connaissait que l'épouse du souverain, mais parce que son père ne le désirait pas. Jusqu'à ses derniers jours, l'empereur Charles VI a gardé l'espoir d'engendrer un fils », écrit sa biographe, Élisabeth Badinter (Le Pouvoir au féminin, Marie-Thérèse d'Autriche, éd. Flammarion). Et c'est tout le paradoxe, car Charles VI a pourtant tout fait pour verrouiller sa succession et assurer à sa fille d'accéder au trône, quitte à en spolier les enfants de son propre frère. Mais elle était un « plan B » auquel il répugnait. Et ne l'a donc pas du tout préparée à son futur rôle.
La Pragmatique Sanction
Depuis un demi-siècle, les Habsbourg avaient eu du mal à enfanter des héritiers mâles. Le grandpère de Marie-Thérèse, Léopold Ier, avait eu ses deux fils, Joseph et Charles, sur le tard, et constatant que son aîné n'avait que deux filles, avait fait modifier la loi de succession pour qu'elles héritent du trône si aucun garçon ne venait à naître. Ses fils avaient juré de respecter sa volonté. Mais à la mort de Léopold Ier puis de Joseph Ier, Charles VI, le père de Marie-Thérèse, décida de revenir sur sa parole et décréta en 1713, dans le plus grand des secrets et avec l'approbation de ses ministres, qu'en l'absence de fils, ce serait sa propre fille aînée, et non celle de Joseph, qui hériterait du pouvoir. C'est la Pragmatique Sanction. Les droits de Marie-Thérèse reposent ainsi sur la spoliation de ceux de ses cousines.
Une éducation d'archiduchesse... mais pas de souveraine
Née en 1717, la jeune Marie-Thérèse est éduquée par les Jésuites et en conçoit une foi très profonde. Elle parle plusieurs langues étrangères, le latin, mais ne reçoit aucune notion de géographie, d'histoire, de diplomatie, de droit, de finances, etc. On s'attache ainsi à cultiver ses vertus privées plus que politiques. Excellente musicienne et comédienne, elle est également vive, enjouée mais plutôt fluette, ce qui inquiète ses parents.
Si, comme le souligne Élisabeth Badinter, Charles VI va tout faire pour faire reconnaître la Pragmatique
Sanction par les électeurs de l'Empire germanique mais également par les puissances étrangères, il ne laisse pas réellement Marie-Thérèse participer à son gouvernement, même s'il finit par l'admettre à son Conseil. Élisabeth Badinter rapporte ainsi que Marie-Thérèse écrivit qu'à la mort de son père, elle était la personne « la plus dépourvue de l'expérience et des connaissances nécessaires pour gouverner un empire aussi considérable et divers parce que mon père n'a jamais eu envie de m'initier ou de m'informer dans la conduite des affaires intérieures ou étrangères. »
Un mariage d'amour...
Héritière convoitée, Marie-Thérèse n'a en réalité d'yeux que pour le duc François-Étienne de Lorraine qu'elle connaît depuis l'enfance. D'abord promise au frère aîné de ce dernier, LéopoldClément, un prince accompli et vertueux mais qui meurt de la variole en 1723, Marie-Thérèse tombe éperdument amoureuse de François-Étienne, qui a neuf ans de plus qu'elle. Mais le jeune homme n'est pas si brillant que son aîné, et le mariage plus si assuré pour des raisons diplomatiques (d'autres prétendants se pressaient) mais aussi intérieures : on ne voyait pas de si bonne grâce, à Vienne, cette union avec un prince étranger à l'Empire. Nommé vice-roi de Hongrie par Charles VI en 1732, François-Étienne, malgré sa tendance à butiner d'autres fleurs, semble finalement s'attacher à sa fiancée, dont on n'attend plus qu'elle soit nubile pour célébrer leur mariage. Pour cela, FrançoisÉtienne va devoir renoncer à la Lorraine, rattachée à la France à l'issue de la guerre de Succession de Pologne, en échange du grand-duché de Toscane qui lui reviendrait à la mort de son souverain. François-Étienne s'y refuse, résiste, mais le chantage est clair: s'il ne renonce pas à la Lorraine, il n'épousera pas Marie-Thérèse. Charles VI finit même par se passer de son accord et signe le 13 avril 1736 le traité de paix. Mis devant le fait accompli, François-Étienne, humilié, trahi, rentre dans une rage noire. Mais il a épousé
Marie-Thérèse le 12 février 1736 dans l'église des Augustins de Vienne. La nuit de noces a scellé l'amour des deux époux, qui partageront la même chambre et le même lit toute leur vie, contrairement à la plupart des souverains de leur temps.
… Mais un mari fort encombrant
D'une loyauté à toute épreuve pour ce mari qu'elle adore, Marie-Thérèse s'attache à défendre ses intérêts. Elle est scandalisée par l'humiliation de la perte du duché de Lorraine et en gardera rancune contre son père. Pendant de nombreuses années, y compris au début de son règne, consciente des limites de son époux, MarieThérèse voudra ménager l'orgueil de celui-ci tout en essayant de se comporter en reine, même si elle prendra parfois, de son propre aveu, de mauvaises décisions en connaissance de cause, pour lui complaire ou ne pas l'humilier. Car François-Étienne, bien que charmant, est dissipé, peu réfléchi, brouillon, peu sympathique, hautain et impopulaire. Lorsque Charles VI lui confie le commandement de ses armées, il échoue lamentablement. Et les camouflets successifs qu'il subit ne rehaussent pas son prestige... A contrario, Marie-Thérèse, pour compenser, n'aura de cesse de vouloir réparer ces injustices et rendre son honneur à son époux.
Marie-Thérèse monte sur le trône
Pour essayer de calmer les Viennois qui ont vraiment pris François-Étienne en grippe, Charles VI l'envoie, avec Marie-Thérèse, prendre possession du duché de Toscane. Le couple y mène plusieurs réformes mais s'y ennuie et ne rêve que d'un retour à Vienne. Une fois rentré, le grand-duc subit un nouvel affront: Charles VI refuse de lui confier le commandement de ses armées et de le laisser partir au combat. La mort de Charles VI, le 20 octobre 1740, prend tout le monde par surprise. Le père de MarieThérèse succombe apparemment à un empoisonnement aux champignons. À 23 ans, Marie-Thérèse revendique aussitôt la régence de tous ses royaumes et la fait proclamer. Elle est la première et restera la seule femme à régner sur l'empire des Habsbourg. Il est alors composé de l'archiduché d'Autriche, des royaumes de Bohème et de Hongrie, et de possessions éparses en Italie et dans les Pays-Bas. Décidée à prendre François-Étienne comme corégent, elle n'hésite pas à contourner la Pragmatique Sanction qui déclare la souveraineté indivisible. Comme le souligne Élisabeth Badinter, « Marie-Thérèse en appelle à son double statut de
femme et de mère. Dans le document qui déclare François-Étienne corégent, elle affirme ses droits entiers et imprescriptibles à la souveraineté, mais elle ajoute qu' “à cause de son sexe, elle a besoin de son aide pour gouverner”. En tant que femme, elle ne peut mener ses troupes au combat ; en tant que mère, les grossesses et accouchements peuvent l'empêcher momentanément de gouverner. » Ainsi retourne-telle les principaux arguments qu'on oppose à la souveraineté féminine pour en faire le principe de son mode de gouvernement « en mère de la patrie ». Et présente François-Étienne lui-même comme le père de ses enfants et de son peuple. Mais contrairement à ce que beaucoup croient, connaissant surtout l'immense amour qu'elle porte à son époux, elle ne lui cédera jamais la première place ni ne le laissera gouverner à sa place. Selon Élisabeth Badinter, François-Étienne a pu lui-même s'illusionner et se croire le maître. Et après avoir échoué une première fois à être élu empereur romain germanique en 1742, François-Étienne aura du mal à contenir ses ambitions, qui seront source de régulières frictions avec Marie-Thérèse à force d'être frustrées. Une nouvelle tentative en 1745, réussie cette fois, apaisera enfin ces conflits, lui apportant la gloire qu'il appelait de ses voeux. Marie-Thérèse refusera cependant d'être impératrice consort, ne jouera jamais les seconds rôles et sera toujours la première dans la hiérarchie.
La reine nue et les vautours
La disparition de Charles VI aiguise les appétits. Beaucoup pensent pouvoir profiter de la supposée faiblesse de Marie-Thérèse, et parmi eux, Frédéric II de Prusse. Celui-ci s'empare en une attaque éclair de son État le plus riche, la Silésie, prétendant qu'il lui revient. La France vient appuyer militairement Frédéric II. Ainsi commence la guerre de Succession d'Autriche (1740-1748) qui va durer sept ans et qui verra s'affronter les plus grandes puissances européennes. Marie-Thérèse est décidée à ne pas laisser dépecer son empire. Dépourvue de toute expérience, la jeune et toute nouvelle souveraine ne dispose pas non plus d'une armée puissante ni de finances lui permettant de soutenir un effort de guerre conséquent. Elle se tourne donc vers l'Angleterre, alliée traditionnelle de l'Autriche. Et doit garder à l'oeil François-Étienne, plus faible et moins déterminé qu'elle, et qui serait tenté de négocier avec Frédéric II, avec qui il était jadis ami...