ÉLISABETHBADINTER: « MARIE-THÉRÈSE INCARNE LA PREMIÈRE, ET PLUS QUE TOUTE AUTRE, LES TROIS CORPS DE LA REINE »
« Guerrière, politique avisée, mère tendre et sévère », Marie-Thérèse d'Autriche est l'une des femmes les plus puissantes de son temps. Pour cela, celle que son père refusa de former au pouvoir, sut concilier avec maestria ses trois vies d'épouse, de mère et de souveraine. Car l'impératrice-reine fit de sa féminité une force, dessinant une toute nouvelle souveraineté au féminin, comme en témoigne sa biographe, Élisabeth Badinter, autrice des ouvrages Le Pouvoir au féminin, Marie-Thérèse d'Autriche et Les Conflits d'une mère, Marie-Thérèse d'Autriche et ses enfants (éd. Flammarion).
En quoi la souveraineté féminine était-elle si incongrue pour l'époque ?
L'historien médiéviste Ernst Kantorowicz avait élaboré la théorie des deux corps du roi, qui expliquait que la souveraineté ne s'éteignait jamais. Le roi est doté de deux corps : un corps naturel, sujet aux passions, aux maladies et à la mort ; et un corps politique immortel qui incarne
la communauté du royaume. À la mort du roi, celle-ci lui survit et se transfère à son successeur. Mais on répugnait à ce que la femme puisse incarner ce corps politique. On ne pouvait imaginer qu'elle puisse mener ses armées au combat par exemple. Et sa fonction reproductrice l'engluait dans un monde naturel et mortel qui semblait inconciliable avec la fonction symbolique de la souveraineté. La reine perpétue la lignée mais ne peut transmettre une souveraineté qu'elle-même ne peut recevoir. La maternité semblait alors l'entrave majeure à la souveraineté féminine.
Comment Marie-Thérèse fait-elle de sa féminité un atour majeur pour asseoir son pouvoir ?
Face aux deux corps du roi, Marie-Thérèse innove et transgresse. Elle invente les trois corps de la reine : celui, naturel et mortel, de la femme, celui, immortel, de la souveraine, mais également le corps maternel qui perpétue la lignée. Ce dernier est un instrument de puissance: alors que pendant plusieurs générations, les Habsbourg ne parvenaient pas à avoir d'héritier mâle, MarieThérèse aura 16 enfants. C'est d'elle que dépend la transmission et c'est un pouvoir supplémentaire, aux dimensions très politiques.
Elle va également en faire un mode de gouvernement...
Marie-Thérèse va en effet incarner un corps représentatif de bonne mère, et se présenter comme la mère symbolique de tout son peuple. Elle est la mère bienveillante, à rebours des rois, qui se posent souvent en pères sévères. MarieThérèse met en scène avec grand soin cette maternité, qui est un pouvoir supplémentaire pour asseoir sa légitimité. Elle éduque et garde auprès d'elle ses enfants, comme aucune autre souveraine, ce qui rend encore plus crédible sa maternité. Sa féminité, son charme que tous les ambassadeurs saluaient, sa finesse, son sens de la psychologie, ont également été des atouts indiscutables. Elle savait se faire aimer et jouer de tous les rôles.