BERNARD HOURS « LE CARDINAL DE FLEURY N’EST PAS LE MAÎTRE »
Nommé par Louis XIV précepteur du futur Louis XV, Fleury, évêque de Fréjus puis cardinal, a été longtemps considéré comme le Premier ministre en titre du roi. Son pouvoir reposait en fait moins sur un statut officiel que sur la confiance que lui accordait son ancien élève fidèle au conseil de son aïeul: « Soyez le maître! »
Quelle relation entretient Louis XV avec Fleury ?
Précepteur du jeune roi orphelin, Fleury a su gagner et garder sa confiance, qu'il doit partager avec le régent, jusqu'à la mort de ce dernier en 1723. Jusqu’à sa propre mort en 1743, il reste son conseiller privilégié et son principal ministre sans le titre ni les prérogatives. Sa situation est ambiguë: il n’est pas le maître, bien qu’aucune affaire ne passe au Conseil sans lui avoir été rapportée.
Quelle est la position de Fleury vis-à-vis des jansénistes et de la bulle Unigenitus ?
En 1713, la bulle Unigenitus condamne comme hérétiques les thèses jansénistes sur la grâce et la prédestination. Le clergé se divise alors entre gallicans, favorables aux prérogatives de l’Église de France, mais qui considèrent les jansénistes comme des schismatiques, et les jansénistes eux-mêmes, « ultra-gallicans », qui refusent la sanction du pape. Le gallicanisme repose ainsi, au xviiie siècle, sur un équilibre délicat entre Rome, la Couronne et les évêques, mais aussi entre la Couronne et les parlements qui comptent de nombreux jansénistes dans leurs rangs. Fleury, en gallican prudent, « main de fer dans un gant de velours », tente d’étouffer le jansénisme ecclésiastique. Remettre en cause la bulle, érigée en loi en 1730, aurait été un aveu de faiblesse de la Couronne. Il compte sur le temps pour éliminer les opposants et mettre en place une génération de prélats soumis, recourant à des mesures ponctuelles et des pressions discrètes sur les individus ou les communautés religieuses. Quant au célèbre mouvement des convulsionnaires de la paroisse Saint-Médard à Paris, avatar populaire du jansénisme, il donne des martyrs à la cause, mais sa dérive sectaire l’isole rapidement.
Pourquoi le Parlement s’oppose-t-il à la bulle et comment Louis XV met-il fin à la fronde des magistrats ?
Le Parlement de Paris refuse l’enregistrement de la bulle Unigenitus jusqu’en 1730, puis se soumet. Une minorité de jansénistes très actifs en son sein se posent en défenseurs de la vérité religieuse persécutée par le pape et le roi, tandis que d’autres défendent la vérité des lois monarchiques. Tous sont plus royalistes que le roi, lui donnent des leçons, tout en affirmant leur déférence pour la Couronne, et prétendent, parce qu’ils enregistrent les lois, avoir le devoir de « recadrer » le pouvoir royal. Il en résulte une longue période de crises parlementaires, politico-religieuses, de la fin des années 1740 à la fin des années 1760. Par un « remaniement ministériel » et la nomination du chancelier Maupeou dévoué à la Couronne, Louis XV, en 1771, réduit les droits du Parlement et l’affaiblit en mettant fin à la vénalité des offices, c’est-à-dire à la propriété de leur charge par les magistrats et à sa transmission à leurs descendants. Ce « coup d’État Maupeou », est-il porteur d’une refonte totale de la justice ou bien n’est-ce qu’une mesure de circonstance pour rétablir l’autorité royale? Louis XVI, dès son avènement en 1774, tranche en rétablissant l’ancien Parlement.
Fleury pacifiste, Louis XV belliciste?
Cette opposition est artificielle. Le règne de Louis XV, de 1715 à 1774, est marqué par une constante: construire un équilibre entre les puissances européennes, ce qui passe aussi bien par la défense de la paix que par la guerre et, au final, par le rôle d’arbitre de la France. Une idée-force dont Louis XV a pu trouver l’inspiration dans les leçons de Dubois et du régent comme dans celles de Fleury. Lors de la guerre de Succession d’Autriche, le roi ne cherche pas le conflit à tout prix: l’avènement de la jeune et inexpérimentée archiduchesse Marie-Thérèse en 1740 offre l’occasion de mettre fin au monopole des Habsbourg sur la couronne du Saint-Empire, mais il ne veut pas la dépouiller de ses États. Le conflit tourne à un affrontement principal avec l’Angleterre, dont il triomphe à Fontenoy. Lors du traité d’Aix-la-Chapelle en 1748, au risque de ne pas être compris de l’opinion, il ne conserve pas les Pays-Bas autrichiens et, après la calamiteuse guerre de Sept Ans qui se conclut en 1763 par le traité de Paris, il refuse la revanche contre l’Angleterre au grand dam du duc de Choiseul qui sera disgracié.
Qu’a signifié la mort de Fleury pour Louis XV en 1743 ?
On dit que cette date marque le début du règne personnel de Louis XV. Le décès de son mentor l’a probablement affecté, mais dès la disgrâce du duc de Bourbon en 1726, il annonce qu’il se passera de principal ministre. Fleury ne l’a donc jamais été à ses yeux. D’autres – le cardinal de Tencin, le cardinal de Bernis, le duc de Choiseul – cherchent ensuite à tenir ce rôle mais aucun conseiller, même le maréchal de Noailles, ne tiendra la place de Fleury.