De l'état de grâce à la disgrâce, le destin contrarié de Louis XV
Au moment de son couronnement, Louis XV cristallisait tous les espoirs de son peuple. En 1744, miraculeusement rétabli après avoir été malade lors de la guerre de Succession d'Autriche, il y gagne même le surnom du Bien-Aimé. Comment ce petit prince à l'enfance tragique et qui semblait pouvoir être le roi le plus accompli, a-t-il perdu l'affection du royaume au point de devenir le « MalAimé », cible des pamphlets les plus orduriers et victime d'une tentative d'assassinat ?
Versailles, le mardi 4 janvier 1757, fin d'après-midi. Louis XV sort de chez l'une de ses filles, Madame Victoire, qui est malade. Il regagne la cour pour monter dans son carrosse. Nous sommes en hiver, la nuit est déjà tombée. Accompagné du dauphin et d'une petite escorte, il ne remarque pas l'homme assez grand qui se précipite vers lui avant qu'il ne le bouscule. Le dauphin réprimande l'importun, tandis que Louis XV, glissant sa main sous son vêtement, comprend qu'elle est couverte de sang. Aussitôt on se saisit de l'agresseur, tandis que le roi est amené en toute hâte à sa chambre. La plaie saigne abondamment: le roi a reçu un coup de canif. Louis XV, bouleversé, très inquiet, croit sa dernière heure arrivée et réclame son aumônier pour se confesser et obtenir l'absolution. Finalement, la plaie n'était que superficielle et Louis XV se rétablit rapidement. Il en resta profondément troublé : qu'avait-il fait, ou plutôt mal fait, pour que l'on s'en prenne à lui?
Les raisons d'un divorce
Depuis quelques années, l'impopularité de Louis XV n'avait cessé de grandir. Le 18 octobre 1748, le traité d'Aix-la-Chapelle mettant un terme à la guerre de Succession d'Autriche avait été très mal accueilli par le peuple, qui avait consenti de terribles efforts sans que le royaume n'y gagne rien: Louis XV n'avait pas poussé l'avantage et tiré profit de ses victoires. Le roi sent trois « maux »: « l'excès des inégalités, les déchirements religieux, et l'obstruction des parlements », selon François Bluche (Louis XV, éd. Tempus). En effet, l'opinion publique se met à rêver d'égalité, et l'un des symboles les plus forts serait de « créer un impôt unique […] et de n'en dispenser personne, ni la noblesse, ni les membres du Clergé ».
Les déchirements religieux sont toujours aussi forts, notamment avec les jansénistes. Enfin, en cédant aux parlements et en leur redonnant du pouvoir, le régent leur a conféré un pouvoir de nuisance, qui accule Louis XV à des coups de force, par lits de justice, provoquant davantage de tensions. La liaison du roi avec Madame de Pompadour ne fait qu'alimenter son impopularité. Méprisée et jalousée par les courtisans, elle est la cible de pamphlets orduriers qui, de Versailles, se répandent un peu partout. L'image du roi, tenu pour faible, influençable et perverti, n'est que ternie. Vers 1750, l'affaire des enlèvements d'enfants, relatée par Jean-Christian Petitfils (Louis XV, éd. Tempus), est un exemple édifiant : des bandes de mendiants et de jeunes voyous rançonnaient les passants à Paris. Le lieutenant général de police voulut y mettre bon ordre et fit arrêter tous les vagabonds. Mais
des enfants d'artisans, d'ouvriers, de commerçants furent aussi « raflés », et ne furent pas tous retrouvés. Dès lors une légende, celle d'un nouvel « Hérode », commence à se répandre : les enfants étaient enlevés pour récolter leur sang afin de soigner les maladies d'un roi affaibli par ses moeurs dissolues. C'est dire à quel point l'image du souverain est désacralisée ! Son lien avec le peuple avait d'ailleurs été déjà profondément éprouvé depuis qu'en 1739, à Pâques, il avait décidé de ne plus se confesser, communier ni guérir les écrouelles. « La monarchie d'Ancien Régime était à la fois divine et paternelle, écrit Jean-Christian Petitfils. Si le souverain ne pouvait plus assumer sa fonction de roi thaumaturge […] ni celle de père de ses peuples en gardant le contact direct avec lui, au nom de quel principe était-il roi ? »
Les suites de l'attentat
Malgré tout, lorsqu'on attente à la vie du roi, tout le royaume, les parlements y compris, tremble et resserre les rangs autour de Louis XV. On exige que le coupable soit sévèrement puni. L'assaillant, un certain Damiens, est aussitôt conduit à la Conciergerie, et torturé. Originaire de la région d'Arras, il avait exercé plusieurs professions mais vagabondait depuis quelque temps. Échauffé par les pamphlets, les discussions âpres et les critiques qui ne cessaient de se propager, il avait décidé « non pas (de) tuer le roi, mais (de) lui donner un avertissement salutaire, le rappeler à ses devoirs, lui faire entendre la voix du peuple » (Jean-Christian Petitfils). Ni fou ni fanatique, il est condamné pour crime de lèse-majesté. Son exécution est précédée d'une série de supplices dont Michel Foucault a relaté tous les détails dans Surveiller et punir (éd. Gallimard, 1975). On lui brûle ainsi la main qui a porté le coup, puis on lui tenaille le torse, avant de lui verser « du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix-résine, de la cire et du soufre liquide » (JeanChristian Petitfils). Puis on l'écartèle, et on le brûle. Jean-Christian Petitfils précise que le souverain aurait voulu pardonner le régicide, mais que la pression des parlements et de la Cour, qui exigeaient que ce crime soit puni, avait été trop forte.
L'élan de sympathie pour le roi est cependant de courte durée. Louis XV, tirant les leçons de cet attentat, comprend qu'il doit rapidement donner des gages pour apaiser les différentes parties. Il renvoie ainsi plusieurs ministres: Machault, très impopulaire, et le comte d'Argenson. Et le cardinal Bernis, en octobre 1758, demande à être déchargé de son portefeuille des Affaires étrangères au profit du duc de Choiseul. Ainsi entrait au Conseil, et pour plus de dix ans, l'un des ministres les plus puissants du règne de Louis XV.
La guerre de Sept Ans
Alors que sur son lit de mort, son aïeul Louis XIV lui avait recommandé d'éviter la guerre, Louis XV, comme lui, s'y engagea, souvent avec infortune. Déjà largement discrédité par la « mauvaise » paix d'Aix-la-Chapelle, le roi finit de s'aliéner le peuple avec la désastreuse guerre de Sept Ans.
Le 16 janvier 1756, la signature du traité de Westminster entre le roi de Prusse Frédéric II et le roi d'Angleterre George II précipite les négociations entre Louis XV et l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, qui scellent également une alliance avec la tsarine Élisabeth, la Suède, la Saxe et l'Espagne. C'est le renversement des alliances. La guerre débute officiellement le 9 juin 1756, mais elle a commencé dans les colonies d'Amérique du Nord où les Britanniques ont attaqué les territoires français. C'est le premier conflit d'envergure mondiale. Si dans un premier temps les forces françaises et leurs alliés prennent le dessus, Frédéric II parvient à rétablir sa situation. Son armée, bien que moins nombreuse que celles de ses ennemis, est mieux organisée, mieux encadrée et plus disciplinée. Une série d'événements jouera également en sa faveur, comme la disparition de la tsarine, à un moment critique, dont le successeur, Pierre III, admire Frédéric II et se retire du conflit. L'Autriche, exsangue, est contrainte également d'entamer des négociations de paix. En Amérique comme aux Indes, les Français sont défaits. Louis XV, isolé, est obligé de faire la paix. Les traités de paix de février 1763 consacrent la victoire de l'Angleterre et de la Prusse. La France perd le Canada, l'empire des Indes, la vallée de l'Ohio, une partie des Antilles, le Sénégal, l'est de la Louisiane.
Si la paix est humiliante, Louis XV est persuadé d'avoir négocié le meilleur traité possible : « La paix que nous venons de faire n'est ni bonne ni glorieuse, personne ne le sent mieux que moi, aurait-il dit (Louis XV, de Jean-Christian Petitfils, éd. Tempus). Mais dans les circonstances malheureuses, elle ne pouvait être meilleure, et je vous réponds bien que si nous avions continué la guerre, nous en aurions fait encore pire l'année prochaine. »