Secrets d'Histoire

Choiseul et Louis XV ou le calife à la place du calife

- Par Joëlle Chevé

Le duc de Choiseul a longtemps été considéré comme le Richelieu de Louis XV, son seul Premier ministre pendant douze ans et le véritable inspirateu­r de son règne. Il a dressé un portrait au vitriol du roi, tandis que ce dernier se contentait de dire en privé qu’il ne l’aimait pas. Dans ce curieux attelage, qui était mené, qui croyait mener l’autre ?

Né lorrain en 1719, Étienne-François de Choiseul-Beaupré, comte de Stainville, sert la France pendant la guerre de Succession d’Autriche. Ce n’est pas un Apollon, le prince de Montbarey le dit même d’une figure repoussant­e, mais par ses origines, sa fortune – il a épousé la petite-fille d’Antoine Crozat, richissime financier français –, sa générosité et surtout son bel esprit, il entre dans les grâces de Mme de Pompadour, puis dans celles de Louis XV. Le roi n’aime pas en lui le noble infatué et insolent, le libre penseur et l’ami des philosophe­s célébrant la monarchie à l’anglaise, mais il apprécie son assurance, son intelligen­ce politique et son dévouement à la grandeur de la France. Il n’est pas insensible à l’homme passionné d’art, collection­neur et mécène, et, peut-être, à l’amateur de femmes… Alors qu’il se plaint du manque d’hommes de talent, il pense en avoir trouvé un en Choiseul, qu’il comble de charges, d’honneurs et de titres dont profite aussi sa famille.

Une politique extérieure bien menée

Nommé ambassadeu­r à Rome, le comte obtient du pape Benoît XIV une position mesurée face aux janséniste­s. Puis à Vienne, pendant la guerre de Sept Ans, il favorise la consolidat­ion de l’alliance avec l’Autriche. Louis XV lui ouvre les portes du Conseil où il se fait le relais de Mme de Pompadour. Titré duc de Choiseul en 1758, il est soutenu par un clan familial puissant dominé par sa soeur, l’impérieuse duchesse de Gramont, dont on le dit très – trop? – proche, et par une grande partie de la haute noblesse. Sans compter sa clientèle, diplomatiq­ue, militaire, parlementa­ire, à Paris et dans les provinces, et financière – il réussit à faire nommer banquier de la Cour Jean-Joseph de Laborde, aux dépens des frères Pâris pourtant protégés de la Pompadour. De 1758 à 1770, il est en charge, parfois en même temps, des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine.

Il est persuadé que ce roi, réputé timide, paresseux et influençab­le, lui laissera le champ libre et rétablira pour lui le poste de Premier ministre occupé par le duc de Bourbon après la mort du régent. C’est mal connaître la personnali­té, il est vrai très secrète, du souverain, qui a une haute idée de sa mission de roi très chrétien, a des visions politiques très fermes et la volonté d’être le maître de la décision et qu’aucune ne soit prise sans son accord. Tant que Choiseul conduira la politique extérieure de la France selon ses voeux, leur entente sera étroite. Ménager l’alliance avec l’Autriche, renouveler le pacte de famille avec l’Espagne, détourner la Russie de l’Europe en la poussant à combattre les Turcs, et concentrer les efforts de guerre sur la Prusse et l’Angleterre en menant d’importante­s réformes structurel­les de l’armée et de la marine: Choiseul sera à la hauteur de ces enjeux en Europe, moins en Russie, sa plus grande réussite restant la cession de la Corse par la République de Gênes. Quant au traité de Paris, qui fait perdre à la France en 1763 l’essentiel de son domaine colonial, Louis XV et Choiseul en assument ensemble les conséquenc­es au nom d’intérêts supérieurs souvent méconnus. Pour autant, le duc n’est pas tenu au courant de la diplomatie secrète du roi, pas plus qu’il ne décide de l’ordre du jour du Conseil ou n’intervient dans tous les domaines, et on le voit même supplier le roi de lui accorder plus de confiance. La suite dit assez que Louis XV avait quelques raisons de se méfier.

Un abus de pouvoir fatal à Choiseul

La chute de Choiseul en 1770 éclate comme une bombe, alors que le souverain la méditait depuis longtemps. Choiseul, en n’acceptant pas en 1769 la nouvelle favorite, Mme du Barry, et en se réjouis

sant quasi ouvertemen­t de la mort du très dévot dauphin en 1765 et de celle la dauphine en 1767, s’aliène le peu de considérat­ion qu’a encore le roi pour sa personne privée. Ne manque que la goutte d’eau qui fera déborder « le pot de chambre », pour reprendre la formule par laquelle Choiseul désignait la fronde des parlements pour la minimiser: une « guerre de pots de chambre ». Louis XV, excédé par les tentatives de conciliati­on du duc, très proche de nombreux magistrats et suspecté d’activer en sousmain leur résistance, décide en décembre 1770 de frapper un grand coup et de réformer, grâce au chancelier de Maupeou, l’ensemble du système judiciaire, quitte à exiler le Parlement. Par ailleurs, Choiseul commet une faute grave qui sous Louis XIII et Richelieu lui aurait valu le billot. Il met le roi devant le fait accompli d’un engagement de la France à soutenir l’Espagne contre l’Angleterre pour obtenir la souveraine­té sur les Malouines. « Monsieur je vous avais dit que je ne voulais point de guerre! » Louis XV l’exile sur ses terres de Chanteloup en Touraine le 24 décembre 1770, ainsi que son cousin ChoiseulPr­aslin, avec lequel il avait partagé à diverses reprises les Affaires étrangères et la Marine. Tout le paradoxe du grand vizir, entre préjugé de race et désacralis­ation du monarque, tient en cet orgueilleu­x aveu : « Depuis mon enfance, sans être ébloui des titres et des dignités, j’ai regardé que mon maître et le sang de mon maître étaient au-dessus de moi et que tout le reste était mon égal ou mon inférieur…»

 ?? ?? ÉtienneFra­nçois, duc de ChoiseulSt­ainville (1719-1785), peintre anonyme du
xviiie siècle. Il fut chef du gouverneme­nt de Louis XV entre 1758 et 1770.
ÉtienneFra­nçois, duc de ChoiseulSt­ainville (1719-1785), peintre anonyme du xviiie siècle. Il fut chef du gouverneme­nt de Louis XV entre 1758 et 1770.
 ?? ?? Folie architectu­rale de 44 m de haut, la pagode de Chanteloup fut bâtie en 1775 par Louis-Denis Le Camus sur le domaine du même nom, à la demande du duc de Choiseul, en hommage à ses amis et soutiens, après son exil par Louis XV.
Folie architectu­rale de 44 m de haut, la pagode de Chanteloup fut bâtie en 1775 par Louis-Denis Le Camus sur le domaine du même nom, à la demande du duc de Choiseul, en hommage à ses amis et soutiens, après son exil par Louis XV.
 ?? ?? Le Pape Benoît XIV présentant l’encyclique Ex Omnibus au comte de Stainville, 1757, de Pompeo Girolamo Batoni (1708-1787). Choiseul obtient du pape l’encyclique Ex Omnibus, modérée vis-à-vis des janséniste­s, qui supprime le caractère obligatoir­e des billets de confession.
Le Pape Benoît XIV présentant l’encyclique Ex Omnibus au comte de Stainville, 1757, de Pompeo Girolamo Batoni (1708-1787). Choiseul obtient du pape l’encyclique Ex Omnibus, modérée vis-à-vis des janséniste­s, qui supprime le caractère obligatoir­e des billets de confession.

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