Secrets d'Histoire

JEAN-CHRISTIAN PETITFILS « À LA MORT DE LOUIS XV, LE PAYS EST PLUS PROSPÈRE QU’À LA MORT DE LOUIS XIV »

- Propos recueillis par Joëlle Chevé

Louis XV est sans doute le roi de France le plus méconnu, le plus énigmatiqu­e, mais aussi le plus décrié et le plus caricaturé. Pourquoi tant de haine de la part de ses contempora­ins puis des historiens du xixe et du début du xxe siècle? Jean-Christian Petitfils fait le bilan tout en nuances de son règne.

Entre le Roi-Soleil et le roi guillotiné, Louis XV est méconnu du grand public. Comment l’expliquez-vous ?

« Le Bien-Aimé », devenu de son temps « le MalAimé », a été vilipendé par la majorité des écrivains et des historiens des xixe et xxe siècles. « Le plus nul, le plus vil, le plus lâche coeur de roi », écrivait Sainte-Beuve. « Il a été le plus mauvais roi de toute notre histoire. Ce n’est pas assez de détester sa mémoire, il faut l’exécrer ! », renchérit en 1900 le Petit Lavisse. Aujourd’hui l’affaire est réglée: il a disparu des programmes scolaires, alors que son règne – cinquante-neuf ans – a été le plus long de l’histoire de France après celui de Louis XIV! Que lui reprochait-on? Sa faiblesse de caractère devant ses ministres et ses favorites, ses frasques sexuelles, les lourdes défaites de la guerre de Sept Ans, la perte du Canada et de l’Inde, joyaux du premier empire colonial français. Tout ceci dans une perspectiv­e nationalis­te de revanche contre l’Allemagne. De nos jours, on ne peut plus soutenir un tel point de vue. Timide, secret, il eut sans doute du mal à assumer son métier de roi, mais il fit face avec intelligen­ce à l’opposition d’une société bloquée, animée par les parlements, les janséniste­s et surtout par la noblesse.

La postérité semble n’avoir retenu que des clichés : le roi débauché, influençab­le, irrésolu…

L’image du roi d’alcôve, faible devant la marquise de Pompadour, du débauché du Parc-aux-Cerfs, lui a collé à la peau sans rémission possible, à la différence d’un Henri IV ou d’un Louis XIV! Victime en son temps du tribunal de l’opinion, de la puissance de l’Église, il a été poursuivi après sa mort

par l’implacable moralisme laïc des historiens, qui, épousant paradoxale­ment les préjugés de l’aristocrat­ie, lui ont reproché l’origine obscure de sa dernière maîtresse, Mme Du Barry. Orphelin de père et de mère, élevé dans la solitude d’un enfant-roi, dépressif, souvent désabusé, traversé d’obsessions morbides, cherchant à se fuir lui-même, il voulut toujours garder sa part de mystère, donnant l’impression d’un être double, simple et accueillan­t au milieu de ses amis, d’une froideur majestueus­e en public. Il aimait en revanche les coups de théâtre, mettant en scène la disgrâce de ses ministres, mais n’avait qu’un sens limité de la communicat­ion.

S’inscrit-il par sa culture dans le Siècle de Lumières ?

Assurément, même s’il se méfiait de l’esprit subversif des philosophe­s et des songe-creux, il ne fut pas étranger à une société en pleine mutation scientifiq­ue et technologi­que. Il préférait les savants, les ingénieurs aux intellectu­els et gens de lettres, se passionnai­t pour l’astronomie, les sciences physiques, collection­nait les lorgnettes, lunettes d’approche, télescopes, boussoles, baromètres et microscope­s. Les questions médicales et chirurgica­les, l’anatomie et la physiologi­e du corps humain piquaient aussi sa curiosité, ainsi que la botanique. Il créa notamment les splendides serres de Trianon.

Peut-on le qualifier de « despote éclairé » ? Servi par une grande intelligen­ce des problèmes politiques et géostratég­iques, Louis avait un réel sens de l’État et de son devoir de roi. En mai 1745, il parut sur le champ de bataille de Fontenoy comme un courageux roi de guerre, refusant de reculer au pire moment de la bataille. Pour sortir des blocages institutio­nnels des parlements et de la haute noblesse, il se résigna, trop tardivemen­t sans doute, à ce qu’on a appelé le « coup d’État » de Maupeou, réformant le système judiciaire et bâillonnan­t l’arrogance des parlements. On ne peut pour autant parler de « despotisme éclairé », modèle politique fondé sur une vision rationnell­e, laïque et réformatri­ce du pouvoir, tel qu’ont tenté de le pratiquer, au cours du xviiie siècle, Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie, le marquis de Pombal au Portugal, plus tard Joseph II en Autriche. Louis XV s’est toujours inscrit dans la perspectiv­e du Roi Très Chrétien, celui qui avait reçu l’Onction de Dieu lors de son sacre à Reims, même si, en raison de ses addictions érotomanes, il se considérai­t comme un pécheur indigne de participer au « miracle capétien » du « toucher des écrouelles ».

Quel fut en réalité le bilan de son règne ?

On oublie souvent qu’à sa mort, le pays, infiniment plus prospère qu’à celle de Louis XIV, était la plus grande puissance économique et politique européenne, riche de deux belles provinces supplément­aires, la Lorraine et la Corse. Sous son règne, le rayonnemen­t intellectu­el et artistique de la France fut inégalé, et la langue française à son apogée. « La science doit parler la langue universell­e, et cette langue est le français », disait Frédéric II ordonnant la publicatio­n des travaux de l’Académie de Berlin. Il reste que le monarque, du fait de la complexité croissante de l’État, n’arriva plus à gérer les contradict­ions de la fonction royale comme sous Louis XIV : maintenir les équilibres sociaux et arbitrer les conflits en bon père de famille, tout en assurant la modernisat­ion et la lente centralisa­tion de l’État.

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 ?? ?? Portrait de Louis XV en mars 1774, d’ArmandVinc­ent de Montpetit (1713-1800). Quelques semaines plus tard, les symptômes de la petite vérole commencent à apparaître. Le roi meurt le 10 mai 1774.
Portrait de Louis XV en mars 1774, d’ArmandVinc­ent de Montpetit (1713-1800). Quelques semaines plus tard, les symptômes de la petite vérole commencent à apparaître. Le roi meurt le 10 mai 1774.
 ?? ?? René de Maupeou (1714-1792), de Pierre Lacour (1745-1814). Principal ministre d’État sous le règne de Louis XV, il est célèbre pour la réforme des parlements (1771).
René de Maupeou (1714-1792), de Pierre Lacour (1745-1814). Principal ministre d’État sous le règne de Louis XV, il est célèbre pour la réforme des parlements (1771).
 ?? ?? J.-C. Petitfils est l’auteur de nombreux livres dont les biographie­s des cinq rois Bourbons. Son Louis XV a été publié en 2014 (Perrin). Son dernier livre, Henri IV, vient de paraître aux éditions Perrin.
J.-C. Petitfils est l’auteur de nombreux livres dont les biographie­s des cinq rois Bourbons. Son Louis XV a été publié en 2014 (Perrin). Son dernier livre, Henri IV, vient de paraître aux éditions Perrin.
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